Chapitre 12 - Partie 2

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Pendant qu’elle réfléchissait, Valdon continuait sa discussion.

— Vous n’êtes pas originaire d’Yrian, disait-il.

— D’où viendrais-je alors ? demanda Deirane.

— Je n’en ai aucune idée. La blondeur de vos cheveux semble indiquer une exposition au soleil. Donc un pays du sud comme Helaria, Orvbel ou Nasïlia. Mais votre teint clair laisse plutôt supposer que vous venez du nord. En tout cas, cela exclus Fraker et la Nayt.

— Pourquoi ?

— Parce que la plupart des Frakerseny et tous les Naytains ont la peau encore plus sombre que le bois de cette table.

— Ce n’est pas possible ! s’écria Dresil.

— Et si ! J’y suis passé il y a des années. Je les ai vus.

— Ce doit être laid, remarqua Deirane.

— Ça dépend. Certains sont beaux, d’autres moins, comme dans tous les peuples du monde. Vous êtes trop ancrée dans vos propres critères de beauté. Mais je pense que si vous alliez là-bas, vous seriez d’accord avec moi.

— C’est marrant, remarqua Dresil, je connais la Nayt. Mais je n’ai jamais entendu parler de Fraker.

— C’est parce qu’ils se sont mis à l’écart du monde. Ils partagent deux points communs avec l’Helaria, la langue et ils descendent d’esclaves en fuite. Mais contrairement à l’Helaria, ils n’ont pas la puissance militaire pour se défendre. Beaucoup d’anciens propriétaires voudraient récupérer leurs esclaves. Alors ils se sont protégés autrement. On ne peut accéder à leur territoire qu’en traversant le Chabawck.

Il but une gorgée de bière.

— Il faut absolument que vous me disiez d’où vous venez, ajouta-t-il. Imaginez que je me rende sur un marché avec des onguents en provenance d’une contrée réputée pour la beauté de ses femmes. Je deviendrai riche.

Emporté par sa véhémence, il soulignait ses propos de grands gestes des bras. Deirane sourit, amusée par les idées qu’il évoquait. Cet homme commençait à lui plaire finalement.

— Je penche pour un royaume de l’est. Mais je ne peux pas préciser lequel.

Brusquement il s’immobilisa, la main en l’air. Un sourire illumina son visage.

— J’ai trouvé. Vous venez du Shacand. Je n’y suis jamais allé, je ne connais pas les pays qui s’y trouvent. Mais je suis sûr que c’est de là-bas que vous venez.

Deirane se décida à briser ses illusions.

— Hélas non, je ne suis pas si exotique que ça, dit-elle.

— Comment ça ? Vous venez d’Ectrasyc ?

— Je suis née en Yrian, à côté d’Ortuin.

La déception se lisait sur le visage du commerçant. Il tenta une dernière escarmouche.

— Vos parents peut-être ?

— Mes parents sont yriani depuis la création du royaume et avant ça, esclaves des feythas. Pas d’exotisme là-dedans.

Valdon semblait triste après son exubérance précédente. Mais cela ne dura pas.

— Pourquoi ne pas vendre à l’étranger les secrets de beauté des femmes yriani ? Ortuin n’est pas très connue hors des frontières. Pour un habitant de Nasïlia, ce doit être exotique.

— C’est eux qui sont exotiques, intervint Dresil, pas nous.

— C’est une question de point de vue. Et votre famille, elle est comme vous ?

— Ma sœur aînée, oui. Ma cadette est encore jeune, mais elle devrait beaucoup me ressembler aussi.

— Et vos parents ?

— Ce sont mes parents, répondit simplement Deirane, gênée à l’idée d’évoquer leur physique. Ils sont normaux.

Le visiteur réfléchit un instant. Des gens normaux qui donnent naissance à des filles très belles. Rien d’impossible à cela. Mais il faudrait quand même qu’il vérifie les archives génétiques feythas. Par chance, les Yriani les avaient conservées et ils disposaient des personnes qui savaient les interpréter. Pas par chance, corrigea-t-il en son for intérieur, par intérêt. Les humains étaient le peuple à la durée de vie la plus courte. Les Yriani avaient entrepris de grands projets pour prolonger cette durée. Quoi qu’il en soit, il devrait aller voir ces archives. Les anciens tyrans avaient peut-être inséré des gènes récessifs dans certaines de leurs lignées, des caractères cachés ne se révélant que si deux porteurs du gène se rencontraient. En identifiant le gène en cause et en recherchant, parmi ces lointains ancêtres, qui l’avait reçu, il pourrait trouver d’autres jeunes femmes comme cette paysanne.

Deirane se leva, laissant les deux hommes discuter entre eux. Elle alla surveiller le ragoût qui mijotait sur le feu. Ce soir c’était elle qui nourrissait le groupe. Elle avait fini par se rendre compte qu’en se mettant en ménage avec Dresil, elle prenait en charge toute la bande de célibataires. Ils étaient peut-être compétant dans leur exploitation, mais ils se révélaient incapables de se débrouiller seul dans la vie de tous les jours. Deux fois par douzaine elle rendait visite à Mace ou à Vorsu pour faire le ménage. Avant son arrivée, c’était Nëppë qui s’en chargeait. La jeune femme appréciait l’aide apportée par la présence de Deirane, même si son opinion vis-à-vis de la nouvelle venue n’avait pas changé. Deirane reconnaissait cependant que pour ne pas mettre son frère dans une situation inconfortable, forcé de choisir entre la femme qu’il aimait et sa sœur, elle faisait des efforts, se montrant par moment presque aimable. Et puis, elle avait vraiment besoin de l’aide de Deirane pour gérer tous ces hommes.

D’ailleurs, c’est à ce moment que le premier entra. C’était Mace.

— Bonjour, lança-t-il à la cantonade.

Il jeta un coup d’œil à l’inconnu. Il lui tendit la main, par politesse, mais Deirane remarqua qu’il n’avait pas l’entrain habituel qu’il éprouvait face aux visiteurs de passage. Avait-il une mauvaise impression sur cet individu, ou avait-il des soucis ?

— Mace, se présenta-t-il, j’habite une exploitation à une demi-longe d’ici.

— Valdon, négociateur commercial. Je viens de Shaab.

— Ce n’est pas la porte à côté.

— Il faut bouger si on veut faire de bonnes affaires.

— Ce n’est pas faux.

— Vous vendez des noix, comme monsieur Dresil ?

L’intéressé sourit de s’entendre appeler monsieur.

— Non, je cultive des fleurs.

— Pour la décoration ou pour la parfumerie ?

— Pour la décoration. La parfumerie nécessite des champs immenses.

Les salutations terminées, il alla présenter ses hommages à Deirane. Comme d’habitude, il avait une fleur destinée à la maîtresse de la maison où il dînait. Ce soir, c’était une grande fleur rouge, avec un long pistil jaune. Une fleur magnifique que Deirane n’avait jamais vue. C’est avec plaisir qu’elle accueillit le présent. Il la plaça avec beaucoup de délicatesse dans la chevelure blonde de la jeune femme.

L’inconnu surveillait Dresil qui ne manifestait aucune jalousie devant cet homme qui touchait sa femme. Au contraire, c’est en ami qu’il l’accueillit quand il vint s’asseoir à leurs côtés. Deirane, quant à elle, continua à s’occuper du repas du soir.

Il était très tard quand le dernier ami de Dresil quitta la ferme pour rentrer chez lui. Les derniers à partir furent Nëppë et ses deux amants jumeaux. Il ne restait que Valdon, le négociant voyageur.

— Je vais aller dormir, dit ce dernier au jeune paysan.

— L’étage est préférable, vous ne serez pas embêtés par les animaux nocturnes.

— Il reste des animaux dans ces bois ? Les feythas n’ont donc pas exterminé toute vie dans la région.

— Il y en a quelques-uns. Ils sont de petite taille. Ils ne sont pas dangereux, mais ils peuvent être agaçants parfois, surtout quand on essaie de dormir.

Le visiteur acquiesça à ces paroles d’un mouvement du menton. Il ouvrit la porte pour sortir. La voix de Deirane les interrompit.

— Attendez, dit-elle.

Elle les rejoignit, les bras chargés de couvertures.

— Prenez ça, dit-elle, les nuits sont un peu fraîches.

— J’ai tout ce qu’il faut dans mes bagages.

— Il vaut mieux les garder pour des occasions où vous n’aurez pas le choix. Il n’est pas évident de faire laver ses affaires quand on voyage.

— Vous avez parfaitement raison.

Il la soulagea de son fardeau.

— Je vais vous éclairer, dit Dresil.

Il prit une petite lampe à huile qu’il alluma à la flamme d’une chandelle. Valdon regarda l’objet. Il était conçu pour s’éteindre s’il se renversait, précaution utile dans une grange bourrée de paille. Celle de Dresil n’en contenait pas, il ne faisait pas de céréales. Mais il y stockait du fourrage pour ses animaux. Valdon emboîta le pas au paysan. Dresil ne resta pas longtemps dehors, sa grange n’était pas loin. Il était revenu les mains vides, mais il connaissait sa cour et il n’y avait aucun obstacle qui aurait pu le faire trébucher dans le noir.

Le voir rentrer soulagea Deirane. Elle ne savait pas pourquoi, elle était inquiète. Elle s’attendait à ce que l’inconnu attente à sa vie. Elle se rendait compte maintenant à quel point c’était ridicule. Mais en réaction à l’angoisse qu’elle avait éprouvée, elle enlaça son amoureux, plaquant son corps contre le sien et l’embrassa. Dresil ne resta pas sans réaction, il lui rendit son baiser. Puis il l’entraîna vers la chambre sans la lâcher.

L’inconnu ne s’endormit pas tout de suite. Il descendit l’échelle de la grange et contourna le bâtiment. Caché dans l’ombre de la nuit, il rejoignit la rivière qu’il longea jusqu’au petit pont. Le fermier avait raison. Les animaux nocturnes étaient nombreux. Il les entendait vaquer à leurs affaires. À son passage ils devenaient silencieux, mais ils reprenaient leur activité sitôt qu’il s’était éloigné.

Sur l’autre berge de la rivière, un homme l’attendait.

— Alors ? demanda-t-il.

— Exactement conforme aux descriptions, répondit celui qui se faisait appeler Valdon.

— Des bijoux incrustés dans la peau ?

— Elle essaie de les cacher, mais ils sont bien là. Toutes sortes de pierres et des fils d’or.

— Et elle n’est pas trop moche au moins ?

— Au contraire. Même sans les bijoux elle est déjà bien roulée. Rien que pour son visage et son corps, on pourrait en tirer un bon prix. Un peu jeune mais ça lui passera.

— Parfait. Je peux faire venir les autres.

— Tu peux. Il te faudra combien de temps ?

— Un peu moins d’une douzaine pour les rejoindre. Le double pour revenir. Environ trois douzaines. Elle sera toujours là ?

— Je ne vois pas où elle pourrait aller.

— Des obstacles potentiels ?

— Son compagnon. Ils ont aussi quelques amis. Des paysans des fermes voisines. J’en ai vu quatre en tout, plus une femme. Et un bébé.

— Pas d’obstacle donc.

— Pas d’obstacle, confirma le voyageur.

Les deux hommes se saluèrent. Puis le nouveau venu se retira. Valdon le regarda disparaître dans la nuit. Puis il retourna à la grange.

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