Chapitre 2 : Elmin. (1/4)

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Saalyn et son disciple Öta étaient arrivés à Elmin quelques jours plus tôt. C’était sa première affaire depuis des mois. Une jeune fille enlevée contre rançon. Sauf que son père ne possédait pas le moindre cel. En tant que capitaine de la garde de la ville, il ne touchait pas une solde mirobolante. Les ravisseurs ne pouvaient pas ignorer ce point. C’était donc qu’ils avaient une autre idée en tête. L’officier ainsi que son supérieur à Sernos étaient arrivés à la même conclusion. S’assurer d’un moyen de pression sur un responsable de la sécurité de l’ancienne capitale du pays n’était pas pour rassurer les autorités. D’autant plus que personne ne voyait exactement le but d’une telle action. L’Yrian était si puissant qu’il n’avait virtuellement aucun ennemi. Aucun royaume proche ne disposait d’une armée suffisante pour le menacer. Bien sûr, le capitaine avait été suspendu, le temps que ce mystère fût éclairci. Mais cela ne lui retirait pas pour autant toutes ses connaissances sur les défenses de la ville. Le danger avait été jugé assez grand pour insister auprès de la Pentarchie pour qu’elle leur prêtât leur meilleure enquêtrice.

Saalyn était la plus ancienne guerrière libre de l’Helaria. Sa nomination avait créé la corporation. Cela faisait cent dix ans qu’elle parcourait le monde en effectuant son travail d’investigation. Parce que c’était en réalité ça qu’étaient les guerriers libres. Non pas des soldats, mais des policiers mandatés pour agir dans le monde entier. Ils étaient environ trois cents à visiter les différentes contrées civilisées, menant les missions que leur confiait leur quartier général de Neiso, dans la ville la plus secrète de la Pentarchie d’Helaria.

La plupart des gouvernements auraient bien voulu les expulser de leur territoire. Mais, contraints et forcés, ils les toléraient. Bien peu avaient les moyens de les rejeter. Personne ne pouvait s’aliéner la Pentarchie. Le royaume tropical avait équipé la plus importante flotte de commerce au monde. Nul ne pouvait s’en passer sans mettre à genoux son économie, pas même l’Yrian. Cette flotte était appuyée par une marine de guerre redoutable. Et pour certains petits États, la protection qu’elle apportait était encore plus fondamentale. Une armée, à ce jour invaincue, assistait cette force. Quelques commandos d’élite complétaient cette défense. Cet ensemble faisait de l’Helaria la deuxième puissance militaire du monde.

La population, en revanche, appréciait les guerriers libres. Dans leur imaginaire, ils constituaient des justiciers, des individus altruistes venant au secours des faibles. La réalité était plus prosaïque, leur situation légale était précaire, les obligeant à s’en tenir à leur mission. Mais ils faisaient rêver.

De façon étrange, le royaume qui aurait pu facilement les chasser les avait acceptés. Toutefois, le roi d’Yrian s’était réservé la possibilité d’utiliser leurs services à volonté. Et la situation semblait si grave à Elmin que non seulement il avait fait valoir ce droit auprès du représentant de l’archonte de la corporation – l’ambassadeur d’Helaria à Sernos –, mais qu’en plus il avait choisi la meilleure guerrière libre : Saalyn.

Saalyn était la plus ancienne de ces guerriers libres. Son nom était peu connu, en tant que guerrière libre tout au moins. Seuls quelques initiés, des personnes qu’elle avait sauvées, ou des compagnons de route, le connaissaient. Paradoxalement, ses exploits avaient fait le tour du monde. Les aèdes les chantaient, les gens se les racontaient. Ils lui avaient même imaginé un nom : Gaba. Certains n’y croyaient pas, ils pensaient que cette personne avait fait trop de choses dans sa vie. Selon eux, soit toutes ces actions étaient légendaires, soit on avait attribué à une seule personne les actions de plusieurs. Et pourtant, la légende était vraie. Elle parcourait le monde depuis cent douze ans en tant que guerrière libre et elle estimait pouvoir continuer encore autant.

Il existait quelques différences entre la mythique Gaba et Saalyn. Elle y avait veillé. L’une était sombre comme la nuit alors que la seconde était aussi lumineuse que le soleil. L’une voyageait en compagnie d’une femme – toujours la même – qui était son égale en tout, alors que l’autre était accompagnée principalement de jeunes hommes, des apprentis qu’elle formait au métier et qui partaient ensuite vivre leur vie.

Mais les ressemblances étaient plus nombreuses. Toutes deux avaient une silhouette qui ne laissait personne indifférent, suffisamment athlétique pour la rendre apte à manipuler une épée, mais qui remplissait à la perfection une robe de soirée lors des réceptions officielles. Son visage aussi était remarquable. Elle aurait pu servir de modèle à des artistes, peintres ou sculpteurs. Et d’ailleurs, elle avait posé autrefois.

Toutefois, Saalyn dénotait dans cette ville provinciale. Noyés parmi les regards admiratifs que sa beauté attirait, certains individus manifestaient de l’hostilité, voire une haine franche. Si la capitale de l’Yrian, Sernos, avait accepté les stoltzt, ici les préjugés perduraient. Ce n’était plus l’agressivité qui existait quelques douzaines d’années plus tôt, mais le racisme anti-stoltz persistait toujours sous la surface. Et son appartenance au peuple stoltz, elle ne pouvait pas le cacher. Elle avait leurs yeux de reptiles à la pupille fendue verticalement, verte dans son cas, et sa peau chatoyait sous les rayons du soleil.

Bien qu’elle possédât plusieurs robes, quand elle exerçait son métier elle choisissait généralement une tenue neutre, discrète et confortable : une tunique brune en tissu léger dont le corsage lâchement lacé laissait entrevoir des promesses de délices et un pantalon serré de même couleur en cuir velouté. Des bottes qui montaient à mi-mollet complétaient l’ensemble. Elle ne semblait pas avoir d’armes sur elle, mais, accroché à son cheval, un fourreau contenait une magnifique épée de bronze. Au cours de la guerre, soixante ans auparavant, de nombreuses mines étaient devenues inaccessibles. C’était donc un objet rare, la plupart des armes actuelles étant en bois ou en pierre avec au mieux un tranchant métallique fixé sur ce corps.

Son compagnon aussi était remarquable. Métis de Mustulsis et d’Helariasis, il avait la carrure impressionnante des premiers, ce qui en faisait un adversaire redoutable au corps à corps. Il cultivait un air farouche en portant une cuirasse et plusieurs poignards en obsidienne polie à la ceinture. Des deux, il semblait être le chef du groupe, mais ce n’était pas le cas. Un dicton disait : « Les guerriers libres vont toujours par deux, le maître et le disciple », et beaucoup de hors-la-loi étaient morts de l’avoir oublié. Öta n’était que le disciple, le maître c’était Saalyn.

Dès son arrivée en ville, Saalyn était allée déposer ses affaires au consulat de l’Helaria. Elle ne garda sur elle que ses petites armes, celles qui étaient assez discrètes pour rester invisibles. Elle voulait se rendre au domicile du capitaine. Ralsen logeait dans la caserne de la garde. Mais il possédait également une maison familiale en ville. Pour des raisons de sécurité, c’était là-bas que le rendez-vous avait été pris.

Elle effectua une rapide toilette pour se débarrasser de la poussière du voyage. Puis elle enfila un manteau et se rendit à l’entrevue. Il n’y avait qu’une longe entre le consulat et le domicile du capitaine. Elle décida d’y aller à pied. Les deux guerriers libres constituaient un couple peu commun, elle d’une beauté étourdissante ; lui un colosse dépassant tous ceux qui les entouraient d’une bonne tête. Mais perdus dans la foule, personne ne faisait attention à eux.

La maison était adossée à un petit temple. Elle était de taille moyenne, signe que la famille était aisée, mais pas riche. Cela confirmait les renseignements qu’on avait fournis à la guerrière libre avant son départ de Sernos. Elle frappa à la porte grâce au heurtoir. On l’attendait, car il ne fallut pas très longtemps avant qu’elle s’ouvrît. Un officier se tenait devant eux. Il les salua à la façon des militaires. Par politesse, elle lui rendit son salut.

— Lieutenant Vernon, se présenta-t-il, vous êtes les guerriers libres envoyés par Sernos ?

— En personne.

Il jeta un coup d’œil à Öta.

— Vous venez de Mustul ? demanda-t-il.

— De l’île de Mustul en Helaria, pas du royaume.

— Je ne voudrais pas avoir à me battre contre vous.

Il invita les deux Helariaseny à le suivre. Au passage, il ne put s’empêcher de jeter un bref coup d’œil sur la silhouette sculpturale de la guerrière libre. En voyant les muscles bouger sous le cuir de son pantalon moulant, il révisa son jugement. Elle devait être aussi bonne combattante que son compagnon. Surtout qu’elle portait une bague de maître et pas lui. Il n’était donc qu’apprenti. Il était curieux d’en savoir davantage sur ce couple. Mais ils ne diraient rien, même pas leur nom, tant qu’ils ne seraient pas tous enfermés dans un bureau.

— Le capitaine Ralsen a préféré vous recevoir dans sa maison plutôt qu’à la caserne, expliqua Vernon.

— En fait, c’est moi qui l’ai demandé, corrigea Saalyn.

Le capitaine les attendait dans un petit salon, à l’étage. C’était une pièce confortable, faite pour se détendre après une dure journée de travail : fauteuils en cuir, table basse, une petite réserve d’alcool. Dans cette maison familiale, on sentait qu’il s’agissait du coin personnel que s’était aménagé Ralsen. En tout cas, c’était ce que ressentit Saalyn en entrant, tant l’endroit et le soldat se ressemblaient. Toutefois, Ralsen ne profitait absolument pas des lieux. Il tournait en rond, incapable de tenir en place. Il avait un verre d’alcool à la main. Mais il n’y avait pas touché. Il était trop nerveux pour accomplir quoi que ce fût, même quelque chose d’aussi simple que boire. Ça lui aurait fait du bien pourtant. Saalyn comprenait son comportement. Sa fille avait été enlevée. Les chances de la retrouver vivante semblaient très minces, celles qu’elle fût violée élevées. Il avait peur pour elle.

L’ordonnance débarrassa les deux arrivants de leur manteau.

— Vous êtes les guerriers libres, commença-t-il, je suis le capitaine Ralsen de la garde intérieure de la ville. Je me demandais qui Sernos allait m’envoyer.

— Je suis Saalyn de Hylsin et Larsen, grand maître de la corporation des guerriers libres, et voici mon apprenti Öta de Dinia, Amonen et Kialtap.

Ralsen eut l’air surpris, mais il se ressaisit vite. Par contre, son ordonnance avait du mal à faire le lien entre cette femme, certes athlétique, mais apparemment inoffensive, et la guerrière libre qui parcourait déjà l’Ectrasyc alors que les humains n’existaient même pas. Leur réaction n’échappa pas à celle-ci. Ils faisaient donc partie de ceux qui connaissaient son nom véritable.

— Sernos prend vraiment l’affaire au sérieux, remarqua Ralsen, mais je croyais que vous ne preniez plus d’enquêtes.

— Il faut bien reprendre le travail un jour. La Résidence a estimé que je m’étais assez reposée.

— Vous voulez boire quelque chose ? J’ai de l’hydromel gris, si vous le désirez. J’ai aussi quelques alcools locaux.

— Merci, j’ai un petit faible pour le vin de Burgil, si vous en avez.

— Bien sûr.

— La même chose, répondit Öta.

Il remplit deux verres avec le vin cuit naytain puis en donna un à chacun des guerriers libres.

— Sernos a parfaitement compris la gravité de la situation, expliqua Öta en s’asseyant sur le fauteuil de cuir que lui désignait le capitaine. Quand une bande de ravisseurs s’attaque à la famille du capitaine de sa garde, elle a quelque chose en tête. Votre famille semble aisée si j’en juge par cette maison, mais pas au point de payer la rançon demandée. Je l’ai compris, le roi l’a compris et les ravisseurs certainement aussi. Ils ont donc une autre idée. Comme vous avez un poste élevé dans la garde de la ville, il est fort probable que cela soit lié. La question est : que veulent-ils réellement ?

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