Chapitre 30 : Détruire la Pierre (2/2)

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Quoi maintenant ? L'Espace ? Mais je peux respirer...

En revanche, Chris s'avisa qu'il ne ressentait plus aucune douleur, ses blessures avaient tout simplement disparu. Il battit des bras et des jambes sans obtenir d’effet visible. Au bout d'un moment, une lueur se matérialisa toutefois dans le lointain. Le jeune homme hésita, puis entreprit de courir vers elle. Ce geste simple lui prodiguait une étrange sensation, sans contact avec un sol, pourtant cet objet lointain prit rapidement de l'ampleur. Il redoubla d'effort.

Chris s'immobilisa lorsqu'il fut capable de discerner son objectif plus en détail, une sphère où le bleu prédominait.

C'est la Terre.

Devant lui gravitait une réplique de la Terre de la dimension d'une balle de football. Sa planète tournait sur elle-même, comme de juste. Alors qu'il s'attardait sur le tracé des continents, il vit apparaître la lune. En pivotant il s'aperçu que le soleil et les autres planètes du système solaire apparaissaient à leur tour.

C'est comme si j'assistais à la naissance de l'univers... sauf que la Terre comme commencement, c'est stupide.

Chris n'eut pas loisir de s'attarder sur les astres se révélant l'un après l'autre, il sentit qu'on le saisissait, qu'on le tirait tout entier vers la planète bleue. Incapable de résister, il vit le globe terrestre s'agrandir et commença à descendre dans l'atmosphère à la manière d'un météore. Il voyageait à vive allure, maintenant ses yeux mi-clos pour faire face à des vents puissant — une résistance ridicule comparée à ce qu'il aurait dû subir en pareille circonstances ! —. Un paysage finit par se dessiner au-dessous de lui avec des montagnes, des forêts et des lacs. Un lac en particulier s'imposa, il devina qu'il s'agissait de sa destination. Une forme dorée se détachait sur la berge. Sans qu'il ne maîtrise quoi que ce soit, le jeune homme atterrit aussi délicatement qu'un oiseau au sommet d'un grand bâtiment très familier : la pyramide de Triam.

Le village lui-même s'étendait aux pieds de la structure. Tout semblait à sa place, à l'exception notable des habitants. Chris prit le temps d'observer en détail la vallée, les ruisseaux : tout était fidèle à son souvenir, au point qu'il ne fut pas réellement surpris de découvrir une femme agenouillée dans la loge. Tout était à sa place.

Mais ce n'est qu'une illusion.

Il ne put s'empêcher pour autant d'approcher de cette femme qui lui tournait le dos.

— Mérilla ? appela-t-il.

Ce n'était pas elle. Il le comprit bien avant d'obtenir une réaction, car au lieu du blanc immaculé de la matriarche, la chevelure de cette personne mystérieuse était brune. Lorsque l'inconnue — qui n'en était pas une — se redressa et lui fit face, Chris sentit son cœur se serrer.

— Démétra.

Le major Taller lui sourit, avec ce sourire discret, en coin, qui la caractérisait.

— Bonjour Chris.

La voix aussi était celle qu'il lui connaissait. Ébranlé malgré lui, le jeune homme recula et leva les poings vers ciel en signe de défi.

— Arrête ! Arrête avec ces jeux cruels ! Montre-toi !

— Toujours aussi emporté, constata Démétra avec un soupir.

Chris reporta son attention sur l'apparition, qui attendait les bras croisés, l'air réprobateur. Là encore, du Taller tout cracher.

— Tu n'es pas elle ! rétorqua Chris plein de hargne. Je l'ai vue mourir, je l'ai enterrée. Tu n'es qu'une vision que m'impose la Pierre !

— Personne ne cherche à te tromper, répliqua calmement l'apparition.

Le temps d'un clignement d'œil, le monde bascula une nouvelle fois dans les ténèbres. Chris se tenait désormais au milieu du vestiaire des Aigles Ardents, son équipe de mechaball, avec Démétra à ses côtés.

— Qu'est-ce que...

Chris bondit à l'écart de son ancienne amie, puis s'efforça d'ouvrir la porte de la salle. Elle était verrouillée. Taller secoua la tête, comme elle le faisait à chaque fois qu'elle jugeait ses actions stupides.

— Je suis là pour te prévenir, reprit-elle toujours sans élever la voix. Détruire la Pierre condamnera tes amis.

— Tu crois que je suis si stupide ? C'est la Pierre qui parle ! Elle veut me décourager d'agir !

— Tu fais erreur. Tu ne peux pas contrôler une telle puissance, mais en refusant de couper le contact, tu n'as pas cessé de drainer le fragment. Il déjà proche de la rupture et ne peut déjà plus être sauvé.

Le jeune homme s'immobilisa. S'il était en train de puiser dans la Pierre, il devait tout de même s'en rendre compte, non ?

— Impossible...

— Tu verras bientôt. Mais tu dois te souvenir : tu sais ce qui arrive aux Enfants qui perdent le contact de leur "Père". Aucun ne l'a été aussi longtemps que toi.

— Qu'est-ce que tu veux dire ? Ma mémoire a été effacée !

— La concentration, c'est la clef.

— La clef ? Mais de quoi ?

— Il est l'heure, tu dois repartir d'où tu viens. N'oublie jamais que ton destin t’appartient.

Démétra se tourna vers la plateforme qui menait dans le stade, elle commença à s'éloigner tandis que le monde s'obscurcissait.

— Qu'est-ce que je suis sensé comprendre ? s'écria Chris.

L'apparition continua d'avancer, sans se retourner.

— Attends ! Tu savais ? Tu savais qui j'étais, ce que j'étais ? Tu connaissais la vérité depuis notre première rencontre ?

Cette fois, le major s'immobilisa. Elle le regarda, sourcils froncés.

— Je ne suis qu'une illusion, tu te rappelles ? affirma Démétra en grimaçant.

Les murs tremblaient, leur couleur changeait constamment. Les armures de mechaball — alignée contre le mur voisin — s'écroulaient les unes sur les autres, puis réapparaissaient aussitôt rangée en bon ordre. Chris se concentra sur le visage de son ancienne amie, sur son regard.

Elle est morte, depuis longtemps. Pourtant...

— Je ne savais pas, reprit finalement l'apparition. Je n'ai été mise dans la confidence que le jour de ton évaluation finale. On m'a donné l'ordre de me tenir à l'écart puis, lors de la tentative d'évasion, de faciliter ton arrestation. Mais c'en était trop. J'en avais trop vu, trop fait. Je ne voyais plus les Sauvages comme on me l'avait appris.

Tandis que l'univers s'écroulait autour d'eux, Chris gardait son regard fixé sur le visage de la soldate immobile devant lui.

— Démétra ? souffla-t-il.

Elle sourit.

***

Au travers des larmes qui embrumaient ses yeux, Chris se crut en train de fixer le soleil. Sous sa paume, le fragment de la Pierre brillait plus fort que la plus éclatante des lumières. Cela ne dura qu'un instant, puis la roche vira au terne. Des lézardes apparurent de toute part.

Pas bon !

Le jeune homme bondit en arrière, juste à temps pour éviter d'être écrasé par un premier morceau de roche. Cependant, il ne pouvait rien contre l'avalanche qui se préparait !

Pas question de finir ensevelis ! Pas après tout ça !

Chris invoqua l'Énergie Stellaire. Il déploya une barrière autour de lui, de manière à dévier les gravas qui s'éparpillèrent autour de lui, formant une forteresse improvisée. Dans l'ombre, le jeune homme conserva son attention sur le Souffle, convoqua tout ce qu'il pouvait. Empli de pouvoir, il ressentit cependant une sorte de manque.

Il aurait dû y en avoir davantage. Duverne avait raison.

Entre ses mains brillait une petite sphère, un pouvoir concentré.

"La concentration est la clef" ?

Tandis qu'il s'interrogeait sur la déclaration mystérieuse de Démétra, l'Énergie sous son contrôle s'agita sans prévenir, son bouclier s'affaissa sous le poids des rochers retenus. Quelque chose cherchait à s'agripper à son cou : la racine de Pikral. L'effet de l'injection — son repas — terminé, elle réclamait la suite.

Chris fit exploser sa prison de pierre, puis il regarda autour de lui, ahuri. Tout n'était que chaos ! Le terrain était cabossé, marqué par des cratères dignes d'impacts météoritiques. La majorité des batteries et canons stellaires gisaient sur le flanc, certaines machines éventrées, d'autres éparpillées en pièces détachées. Des échos résonnaient partout dans la vallée : hurlements de douleur et appels désespérés. Des soldats allaient et venaient, mais plusieurs silhouettes inertes avaient été abandonnées à leur sort. Certaines ne portaient pas les combinaisons de l'Arche.

Domi, où est-elle ?

Alors qu'il cherchait à la repérer, il découvrit quelque chose de plus surprenant encore : un volcan ! Une montagne qui crachait de la fumée et une coulée de lave avait poussé comme un champignon non loin de l'ancien siège de la Pierre ! Heureusement, nota Chris, le feu liquide avançait dans la direction opposée à la base de l'Arche. Le dôme de cette dernière, par ailleurs, semblait toujours tenir bon, bien que sa surface n'ait plus rien de sphérique.

De la fumée, Chris en voyait également plus loin à l'horizon, un dégagement noir et abondant.

J'ai remis le feu à la forêt ?

— Il est vivant !

L'exclamation du général Duverne l'arracha à sa vision d'enfer. L'officier supérieur approchait, sa combinaison légèrement poussiéreuse, mais indemne par ailleurs — au grand dam du jeune homme. Quelques-uns de ses hommes le suivaient, ainsi que Domi.

Elle est en vie !

La jeune femme se traînait, portée à moitié par Kal. Si ni l'un ni l'autre n'avait l'air d'avoir souffert du cataclysme, le choc se lisait sur leur visage. Tous deux fixaient avec insistance le monticule derrière Chris.

— Que s'est-il passé ? lança le jeune homme.

— À toi de nous le dire ! riposta le militaire. Aucun canon n'a fait feu, les batteries ne se sont même pas chargées ! Dès que tu as touché l'Artefact, une succession de... pseudo catastrophes naturelles a commencé à s'abattre sur nous. Séismes, tornades, orages... et puis ça !

Le général désignait le volcan, naturellement, mais Chris porta plutôt son attention vers l'un des attroupements.

— Il y a beaucoup de victimes ?

— Tous les participants à cette mission connaissaient les risques. Tu n'as pas à te sentir coupable.

Le jeune homme hocha la tête, jugeant préférable de ne pas signaler la méprise de Duverne : peut-être ressentait-il quelque chose pour les Enfants touchés, mais il se fichait du sort des soldats !

Et Lily ?

Il secoua la tête pour chasser son ancien amour de ses pensées. Il refusait de questionner Duverne à son sujet. Elle ne représentait plus rien pour lui !

— C'est terminé, l'Artefact est détruit, reprit-il plutôt. Vous avez ce que vous vouliez, laissez-nous partir.

— Comment ?

— Vous vous êtes engagé à nous libérer en échange de mon aide. C'est fait.

Le visage du militaire s'assombrit, son regard se porta ostensiblement sur la racine de Pikral à nouveau collée à la gorge de Chris.

— C'est hors de question.

— Quoi ? Vous m'avez donné votre parole !

— Et tu seras libre, mais seulement au terme de ta mission. Quand la totalité de l'Artefact sera réduite en poussière ! Il reste encore deux fragments.

— Vous... Alors libérez au moins les autres prisonniers !

— Pour que tu refuses de coopérer, la prochaine fois ? Ils resteront sous bonne garde aussi longtemps que tu seras avec nous. Le sujet est clos, il est grand temps de regagner la base. Nous ne sommes pas à l'abri de nouvelles surprises.

Les soldats vinrent ceinturer Chris, qui croisa leur regard. Les yeux de ses geôliers ne contenaient aucune chaleur, aucune reconnaissance. Bien au contraire, ils semblaient plutôt enclins à s'en prendre à lui s'il leur offrait la moindre excuse.

Certains ont sans doute perdu des amis...

Il constituait un coupable idéal et, en vérité, il ne leur pouvait pas leur donner tort.

Domi l'observait à présent, elle aussi. Il ne lisait aucune haine dans ses yeux à elle, mais la détresse était prégnante. Peut-être avait-il détruit la confiance qui les liait en même temps que la Pierre.

Abattu, Chris adressa un dernier regard haineux au général avant de se résoudre à suivre son escorte. Il chemina vers le dôme, plus seul que jamais, bercé par des lamentations lointaines.

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