Chapitre 29 : Vérité (2/3)

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— Nous étions tout près cette fois, tout se déroulait comme prévu. Un grain de sable, un misérable grain de sable et tout est parti de travers...

— De quoi parlez-vous, Général ? riposta Chris. J'en ai assez de cette mascarade, je...

Le jeune homme prit une profonde inspiration pour se calmer. Il connaissait assez son interlocuteur pour savoir que l'agressivité ne donnerait rien.

— S'il vous plait, dites-moi ce qui se passe. Ce qui m'arrive.

— Tu te souviens de qui je suis ? rebondit le militaire.

— Vous êtes le général Duverne, l'un des hauts dirigeants de l'Arche IV. J'ai vécu plusieurs semaines chez vous.

— Très bien, et de quoi te rappelles-tu d’autre ? Que peux-tu me dire au sujet de ce qui précède ? De ta vie au vingt-et-unième siècle ?

Chris fronça les sourcils, où le militaire voulait-il en venir ? Il voulait des réponses, pas se soumettre à un nouvel interrogatoire !

— Je n'ai jamais vécu à cette époque, ces souvenirs sont faux ! Vous le savez très bien ! accusa le jeune homme.

— Ils sont donc toujours là, conclut le général en hochant la tête. De quoi te souviens-tu exactement ?

Tout près d'exploser, Chris ouvrit la bouche, mais la referma aussitôt. Une vague de culpabilité le saisit.

— Qu'est-il arrivé à ceux qui étaient avec moi, sur la colline ? Que leur avez-vous fait ?

Il aurait dû poser cette question à Lily dès le début ! Duverne pinça ses lèvres, probablement un signe d'agacement.

— Ils sont en vie. Si tu veux en savoir davantage, tu vas commencer par répondre à ma question.

Le jeune homme soupira de soulagement. Quel monstre d'égoïsme était-il donc devenu pour oublier si longtemps Domi ? Ainsi que les autres, bien sûr.

Le général le fixait avec impatience, aussi se hâta-t-il de reprendre le cours de ses pensées.

— Je me souviens de tout, de toute une vie. Des premières années et jusqu'à une vie à l'université. Cependant, même il m'a fallu tout ce temps pour m'en rendre compte, maintenant ces souvenirs me paraissent... superficiels. Et puis, il y a autre chose...

— Quoi ?

Chris hésita. Il s'était confié à Lily au sujet de ses rêves étranges. Si elle avait mis le général au courant, omettre de les mentionner pouvait se retourner contre lui et les prisonniers de Triam.

— J'ai vu un autre moi en rêve. Je ne l'ai pas reconnu au début, mais maintenant les choses sont très claires : c'est bien moi, adolescent et... je vis dans ce monde, à la surface.

"À la surface", quelques mots qui changeaient tout. Pourtant, le général se contenta d'acquiescer lentement.

— Cet "autre toi", te souviens-tu de quelque chose à son sujet ? De ce qu'il aimait ? De qui il fréquentait ? Quoi que ce soit qu'il ait vécu ?

— Non, rien de tout ça. Si je me remémore mon passé, c'est le vingt et unième siècle que je trouve.

Ce n'était pas tout à fait vrai. Il y avait parfois des visages inconnus ou des paroles qui remontaient à la surface. Après un long silence — durant lequel Chris s'efforça de garder son calme —, le général reprit.

— Tes amis Sauvages vont bien. Ils ont été capturés en même temps que toi.

— Ils sont indemnes ?

— La rouquine, celle que tu as libéré de l'Arche, celle-là n'a pas apprécié ta neutralisation. Sans le sacrifice héroïque de deux hommes, elle aurait tué Lily avant que l'on ne puisse la maîtriser. Mais elle n'a pas été trop amochée.

Domi a résisté ?

Une violente secousse parcourut alors leur véhicule, qui s'immobilisa.

— Qu'est-ce qui se passe ?

— Nous sommes arrivés, annonça le général.

— À l'Arche ?

— Je vais te détacher. Inutile de te dire de ne rien tenter de stupide, n'est-ce pas ?

Pris par surprise, le jeune homme n'eut pas le temps de répondre que deux soldats s'introduisaient déjà dans la pièce et l'encadrèrent. Le général entreprit bel et bien de défaire ses liens. Libre, Chris se redressa et détendit ses articulations avec une réelle satisfaction. Au moins ne mourrait-il pas comme un spécimen de laboratoire.

Qu'est-ce qui m'attend exactement ?

— Je n'ai toujours pas de réponse à mes questions, fit-il remarquer.

— Bientôt, promis Duverne en adressant un signe de tête à ses hommes.

Ces derniers saisirent le prisonnier sous les aisselles et le guidèrent vers l'arrière de la pièce. Chris y découvrit une sorte de sas, semblable à celui d'un avion-cargo. Une vingtaine de soldats s'y activaient, ils manœuvraient de petits engins de manutention. Lily, du nombre ne lui adressa qu'un regard furtif avant de se détourner.

Le véhicule se remit brièvement en marche avant de s'immobiliser pour de bon. Le pan arrière du hangar bascula et une douce lueur orangée s'invita dans le compartiment. Le général avança le premier, suivis par Chris et sa garde personnelle.

Un bouclier dominait l'espace extérieur, une réplique du dôme à l'Arche IV en nettement plus restreint : son diamètre n'excédait quatre ou cinq cents mètres. Sous cette coupole s'alignaient quelques bâtiments semblables au Centre de recherche 33 — des constructions préfabriquées — ainsi que divers véhicules du même type que celui dont avait émergé Chris. Avec les canons qui les dominaient, ces derniers se situaient à un juste milieu entre le char d'assaut et le camion de marchandise.

Si j'étais tombé sur un engin pareil à Triam...

Duverne mit fin à son observation en lui saisissant l'épaule pour le mener à l'écart. Les soldats qui les accompagnaient commençaient à décharger le matériel. Tous deux approchèrent de la paroi du bouclier.

— Regarde par là, commanda le général en désignant un point à l'extérieur de la bulle.

Autour de leur abri, une plaine s'étendait à perte de vue. Chris mit un instant à identifier ce que le militaire voulait lui montrer : il ne trouva qu'un simple monticule de terre, à quelques centaines de mètres d'eux. Sur ce dernier ne subsistaient que quelques touffes d'herbes, le sol semblait littéralement calciné. En son centre, une longue pierre s'élevait sur quelques mètres, une sorte de grand menhir aussi noir que du carbone.

Quelque chose en Chris lui souffla qu'il aurait dû reconnaître cet objet, pourtant il ne ressentait rien en la regardant. Il se tourna vers le militaire.

— De quoi s'agit-il ?

— De l'objet de notre présence. L'un des fragments de l'Artefact, de la Pierre du Renouveau.

Stupéfait, le jeune homme revint aussitôt sur la pierre dressée. Ce gros cailloux noir, d'apparence si quelconque, la cause d'un tournant majeur dans le cours de l'Histoire ?

Il y a quelque chose d'autre qui ne colle pas...

Selon Mérilla, chaque fragment avait donné naissance à un arbre-monde, qui le protégeait. Chris reporta son attention sur ce sol brûlé, puis il s'intéressa à la plaine dégagée dans son ensemble.

— Il y a eu un incendie ici, déduisit-il.

Le général acquiesça, mais semblait attendre davantage. Le jeune homme comprit.

— C'était ici ! L'arbre, la cabane... C'était ici ! Et vous avez tout détruit !

— Pas tout à fait, répliqua Duverne. L'arbre de tes rêves se trouvait bien ici, en revanche nous ne sommes pas responsables de sa destruction.

Les images se superposaient dans l'esprit de Chris, la destruction soudaine et systématique du cabanon dans ses rêves, l'arbre-monde en flammes...

— Je ne vous crois pas ! Vous êtes forcément responsables ! s'énerva le jeune homme. À quoi bon me mentir à ce stade ?

Face au monolithe, les bras croisés, le militaire continua d'une voix mesurée, comme s'il ne tenait pas à ce que d'autres entendent leur dialogue.

— Si nous n'étions pas venus, cette catastrophe ne se serait pas produite, concéda-t-il. Mais nous n'avions aucune intention belliqueuse. Nous ne nous intéressions qu'au fragment, pas à l'arbre ou la population locale.

— Mais vous les avez attaqués ! Vous les avez attaqués et... Vous m'avez capturé, n'est-ce pas ? C'est ça ! J'étais l'un de ces villageois !

— Du calme, tu sautes trop vite aux conclusions. Laisse-moi t'expliquer...

— Et pourquoi vous croirais-je ? Vous n'avez fait que me mentir et me manipuler depuis le début, pas vrai ?

— Parce que, comme tu l'as dit toi-même, je n'ai plus de raisons de te cacher la vérité. Pour tout te dire, j'ai même besoin que tu sois parfaitement conscient des enjeux. Alors, tu veux bien m'écouter ?

Luttant contre la frustration et la colère, Chris donna toutefois son assentiment. Il avait trop de questions sans réponse.

— Bien. Commençons par le commencement : un nuage de particules stellaires couvre la surface du globe et la rend hostile, invivable pour nous. Combattre ce phénomène est la priorité de nos chercheurs depuis le début de notre exil. Ils ont remporté un succès modéré : les Arches ou la bulle dans laquelle nous nous trouvons en sont des exemples.

— Je sais déjà tout ça ! s'agaça Chris.

— Et sais-tu ce qui arrive lorsqu'un de ces espaces cesse d'être protégé ?

Le jeune homme soupira.

— Les particules autour de la zone vide vont l'investir, le nuage s'équilibre dans l'espace.

— Pas tout à fait, corrigea Duverne. L'espace assaini va retrouver sa concentration initiale, celle précédant notre intervention. Très exactement la même concentration.

— Il y aurait donc plus de particules qu'au début ? Mais d'où viendraient-elles ? Où voulez-vous en venir ?

— Une telle perfection, une telle uniformité à l'échelle d'une planète, n'a rien de naturel. Quelque chose est à l'œuvre qui régule, contrôle le phénomène. Or il n'y a qu'une chose qui puisse logiquement influer ainsi. Tu ne devines pas ?

Chris hocha distraitement la tête. Les Enfants de Père considéraient la Pierre comme une divinité vivante, consciente. La théorie des exilés concordait avec cette vision.

— L'Artefact, bien sûr. Vous vouliez donc étudier la Pierre. Que s'est-il passé alors ?

— Nous n'avons pas attaqué. Nous sommes venus et les Sauvages nous ont laissé approcher. Ils nous ont laissé nous mêler à eux sans heurt. Durant une semaine, nous avons circulé et vécu librement dans leur village suspendu sur cet arbre gigantesque. Nous avons cartographié les lieux, étudié ce peuple... Je commandais l'un des escadrons impliqués dans cette mission et veillait personnellement à ce qu'il n'y ait aucun dérapage.

Un ricanement échappa à Chris. Après avoir vu les troupes de l'Arche à l'œuvre à Triam, il avait du mal à croire un mot de cette histoire de respect mutuel. Le général continua comme si de rien n'était.

— Il fallut plusieurs jours pour trouver ce que nous cherchions réellement : un passage habilement dissimulé menait au cœur de l'arbre. Sous une épaisseur de plusieurs mètres, le tronc se révéla creux. Une plateforme suspendue sur des espèces de racines soutenait le fragment de l'Artefact. Nos scientifiques se sont approchés avec une unité de l'Arche II, mais un individu s'est alors interposé. Ce jeune Sauvage semblait déterminé à interdire à notre expédition l'accès aux la structure. Le général Gomès, qui dirigeait le groupe, a tenté de le raisonner...

— J'ai bien compris, vous êtes des envahisseurs exemplaires, grinça Chris. Et ensuite ?

— Ce Sauvage a fait appel à son pouvoir et perpétué un véritable massacre.

— Je ne vous crois pas ! Chris. Le pacifisme est dans le sang de ce peuple, je l'ai vu de mes yeux ! Même attaqués, ils refusent encore de se défendre !

— Ne sois pas aveugle, tu as eu la preuve du contraire ! Dans l'Arche, ta copine rouquine a cherché à te tuer sans hésiter dès qu'elle t’a identifié comme une menace. Plus tard, elle a attaqué nos troupes lorsque tu as été neutralisé. Certains Sauvages cèdent plus facilement que d'autres à leurs émotions et tu devrais t'en réjouir : cela démontre qu'ils ont encore une part humaine.

— Que... "identifié comme une menace" ? Qu'est-ce que vous voulez dire ?

— Elle a su voir ce que tu étais, un des nôtres capable d'utiliser leurs pouvoirs. Nous allons y revenir, mais continuons d'abord notre histoire. Ce "gardien" s'est rapidement écroulé, à bout de force. Avant d'être capturé, il s'est tourné vers l'Artefact, a posé sa main contre sa surface. J'étais dans le village, lorsque c'est arrivé : du calme plat, le monde a basculé d'un coup dans le chaos. Le sol tremblait, les branches partaient dans tous les sens. Hommes et constructions étaient éjectés dans le vide tandis que les chemins suspendus entre ses branches s'écroulaient les uns après les autres. Des incendies éclataient de partout. J'ai cru ma fin arrivée.

— Qu'est-ce que...

— Le rapport de l'un des rares survivants à avoir assisté à la scène dévoile que, tandis que ce "gardien" touchait la Pierre, des morceaux s'en détachaient et tombaient en poussière avant d'atteindre le sol. Nos armes ne parvenaient pas à atteindre le Sauvage, protégé par une sorte de bouclier invisible, mais la dévastation qu'il a provoqué a causé sa perte : le promontoire de l'Artefact s'est écroulé, l'emportant dans sa chute. Malheureusement, le mal était fait : l'arbre titanesque n'était plus qu'un brasier qui se propageait à toute la forêt.

— Les habitants...

— Nous nous sommes repliés aussi vite que possible mais les autochtones, eux, étaient pris de folie. Ils s'élançaient vers le cœur de l'arbre, se jetaient directement dans les flammes ! Une vision d'horreur ! Pour sauver une poignée d'entre eux, j'ai ordonné à mes hommes de les assommer.

— Vous avez... J'étais...

— Oui. Oui, tu étais l'un d'entre eux. Un gamin d'une dizaine d'années, nous t'avons emporté avec nous tandis que nous retournions vers l'Arche.

Ses forces lui échappèrent, Chris se laissa glisser le long de la paroi de la bulle, se recroquevilla contre ses genoux. Il avait compris ce qu'il était durant son rêve, confirmé ce soupçon qui s'était insinué en lui depuis plus longtemps encore, entretenu par les déclarations de Mérilla. Mais se voir exposer la vérité par celui qui avait contribué à établir la mystification portait un coup fatal à ses dernières illusions. Tout ce qu'il pensait être... un mensonge.

— Pourquoi ? Comment avez-vous pu me faire ça ? Vous m'avez fait croire que j'étais... Que j'avais...

— Nous y étions obligés, car nous avons besoin de toi Chris. Besoin de quelqu'un qui possède les pouvoirs des Sauvages ainsi que le souvenir du monde qui fut. Quelqu'un qui possède à la fois la volonté et la capacité de restaurer le monde tel qu'il fut.

— Qu'est-ce que vous voulez-dire ? Qu'est-ce que vous attendez de moi ?

— Tu dois détruire l'Artefact.

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