Chapitre 29 : Vérité (1/3)

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Chris se redressa en sursaut.

— Lily !

Il ne trouva la jeune femme nulle part. Au lieu du jardin de Triam, il se leva dans une cabane rustique à l'ameublement minimaliste, un environnement si familier qu'il l'ignora aussitôt.

Comment a-t-elle pu me faire ça ? Lily, pourquoi ?

La bourrasque glaciale qui s'engouffra dans la pièce fournit au jeune homme l'excuse parfaite pour se laisser aller à trembloter. Il toucha son torse, là où son amie avait pointé l'objet de sa trahison. Il n'avait vraiment rien vu venir.

— Oh non, tu ne vas pas chialer quand même ? ricana une voix dans son dos.

Ravalant le sanglot qui menaçait, Chris dévisagea l'Ombre en grimaçant. L'intrus se balançait mollement sur une chaise, en équilibre sur les pieds arrière.

— Ta gueule, ça ne te regarde pas !

— De la colère ? C'est un peu mieux, répliqua l'étrange créature en souriant. Plus utile, en tous cas.

Ignorant l'importun, Chris lui accorda un point : le moment était mal choisi pour s'apitoyer sur son sort. Il devait se concentrer, tirer le meilleur parti de ce rêve. Il émergeait parfaitement alerte de ces songes, un avantage non négligeable.

Je suis toujours vivant, mais sûrement déjà prisonnier.

Chris palpa sa gorge sans rien trouver d'inhabituel. Cela signifiait-il quelque chose ? Combien de temps avait passé depuis son évanouissement ? Dans le monde réel, il était peut-être déjà isolé du Souffle.

— Domi, les autres, ils vont bien ? questionna-t-il à voix haute.

L'Ombre haussa les épaules. Cet être mystérieux avait pourtant déjà prouvé qu'il en savait très long sur le monde extérieur.

Mais est-il réel, ou le fruit de mon imagination ?

Le jeune homme repoussa les pires scenarios concernant ses amis, il lui fallait commencer par affronter ses propres problèmes. Il devait s'en sortir pour leur venir en aide !

— Je n'étais plus venu ici depuis ma fuite de l'Arche. J'y suis de retour ? tenta-t-il.

Cette fois encore, l'Ombre mima l'ignorance. La nonchalance de son interlocuteur commençait sérieusement à lui taper sur les nerfs.

— Si tu ne sais rien, à quoi sers-tu ?

— Tu ne poses toujours pas la bonne question, contra l'autre.

Chris s'interrompit, grimaça. L'Ombre était coutumier de cette déclaration, elle revenait à chaque fois que le jeune homme l'interrogeait sur sa nature. Une erreur qu'il avait appris à éviter, car elle provoquait invariablement la fin du rêve. Il se tourna donc vers la fenêtre, prêt à affronter un cataclysme.

Il n'y avait rien, plus de fenêtre, de murs ni même de toit ! En équilibre sur un plancher en ruine, Chris se tenait au bord d'un abîme ! Un souffle brûlant le gifla, il se laissa tomber à genoux pour se stabiliser. Un air corrosif se fraya un chemin jusque dans ses bronches. Perdu, désarmé, le jeune homme constata que tout brûlait autour de lui : la forêt, le village, l'arbre-monde tout entier !

— Cesse de le nier, tu connais la question, statua l'Ombre en se matérialisant à nouveau à ses côtés. Demande-moi, pose-moi la vraie question maintenant. Finissons-en.

La créature ignorait la fumée âcre qui envahissait l'espace, tout comme les branches enflammées qui s'abattaient partout autour d'eux. Chris, secoué par des quintes de toux ingérables, ne pouvait en dire autant. Il se plaqua au sol à la recherche d'un air plus respirable, chercha à se protéger le visage avec sa tunique et entreprit de ramper vers le chemin, mais ses forces lui échappaient. Chaque respiration était plus douloureuse que la précédente. Il mourait.

Pourtant, le rêve refusait de s'achever.

— La question ! insista l'Ombre, imperturbable. Pose-la, sinon le calvaire continuera !

Des mots qui frappèrent Chris de plein fouet. Il ne pouvait plus reculer. Il lui fallait affronter la vérité, quoi qu'il lui en coûte.

— Qui... Qui suis-je ? abandonna-t-il d'une voix brisée.

Cette question qu'il repoussait, se refusait à poser. Celle à laquelle il ne voulait pas faire face. La quête qu'il se refusait à mener.

La silhouette de l'Ombre vacilla et les ténèbres se dissipèrent. Le cataclysme s'acheva aussi soudainement qu'il avait débuté, sans que les dégâts ne disparaissent pour autant. Lorsque Chris revint sur l'Ombre, un adolescent avait pris sa place. Cet inconnu portait une tunique de toile d'un beau turquoise, malheureusement ravagée par les brûlures et les cendres qui la maculaient. Plutôt grand, il possédait des muscles saillants, des yeux très sombres et des cheveux bruns qui frôlaient ses épaules. L'attention de Chris se concentra sur les traits couverts de suie de l'Ombre révélée. Jusqu'à ce que le rêve se dissipe entièrement, il continua de contempler cette version juvénile de son propre visage.

***

Chris perçut un vrombissement, puis une secousse. Tenté d'ouvrir les yeux, il se retint au dernier moment et se contenta de gestes minimes. Il était retenu par les poignets à une couche très inconfortable.

Un véhicule en mouvement ?

Cette fois, il entrouvrit les yeux le plus discrètement possible et affronta une clarté trop importante : un néon juste au-dessus de son lit. Sa couche ressemblait à une civière, aussi dure que du bois. La "pièce" ne payait pas de mine, il ne vit qu'une sorte de caisson métallisé où il ne discerna rien d'autre qu'un banc à ses côtés et quelqu'un qui le veillait. Il referma les yeux avant d'être pris sur le fait.

Quelque chose le gênait, physiquement. Une démangeaison au niveau de la tête qu'il réfréna, comprenant très bien sa nature : on lui avait réimplanté une racine de Pikral. Cela écartait les options les plus directes pour résoudre son problème, il devait réfléchir posément à la suite.

Ce rêve... Bon sang...

Cet adolescent portait les vêtements d'un Enfant de Père, aucun doute là-dessus. Par ailleurs, il s'agissait assurément de lui en plus jeune. Deux éléments incompatibles : il se rappelait très bien son adolescence, il n'avait jamais mis les pieds dans ce monde !

Ou alors, j'y serais déjà venu mais l'aurais oublié ?

Jusqu'à quand remontait sa mémoire exactement ? Sa grande sœur s'imposait dans la majorité des premières images de son enfance, Zoé et ses grosses nattes. Les détails du visage de celle-ci lui échappaient, mais il était si jeune... Il y avait son premier chien, un pékinois nommé Zog qu'il l'adorait. Il avait beaucoup pleuré à sa mort. Son entrée au collège était bien plus claire, avec cette fille, Florence, qui lui avait souri. Un coup de foudre.

Le flot ininterrompu de réminiscences qui s'enclencha rassura Chris. S'il se souvenait de toute sa vie passée, comment aurait-il pu être également cet Enfant du clan Khaï ?

Le clan Khaï ? Oui, Mérilla m'a donné ce nom. C'est pour ça que je le connais.

Quel âge pouvait avoir l'Ombre, telle qu'elle lui était apparue ? Treize ans peut-être ? À cet anniversaire-là, Chris avait reçu un nouveau smartphone.

Depuis le temps que je l'attendais, celui-là, j'ai été très heureux, je crois...

Quelque chose clochait. Il se remémora tour à tour l'obtention de son bac, son premier rendez-vous avec Florence, l'enterrement de sa grand-mère... Aucun évènement marquant ne déclenchait de réaction : pas de nostalgie, de bonheur, ni aucun regret. Des images, des scènes se superposaient qui auraient aussi bien pu appartenir à un autre. Cela n'avait aucun sens !

Une nouvelle secousse le fit décoller de sa couche. Cette fois, le choc du retour en place fut trop rude et il lâcha un grognement. Son gardien ne le manqua pas et bondit sur ses jambes.

— Tu es réveillé ! constata Lily.

Elle s'approcha, lui saisit le bras. Lui aurait voulu se dégager, mais en était incapable. Il se contenta donc de la défier du regard.

La jeune femme portait l'uniforme blanc traditionnel et non plus la combinaison d'extérieur des Patrouilleurs, ce qui signifiait que l'environnement était viable pour elle. Chris ne put s'empêcher de noter que les cheveux de Lily avaient poussé, au point de lui frôler les épaules. Cela conférait à son joli visage un air moins sévère, ça et le fait qu'elle semblait réellement ébranlée.

Non, je ne dois plus laisser mes sentiments prendre le pas sur la raison !

— Chris, je t'en prie, ne m'en veux pas, attaqua la jeune femme. Je n'avais pas le choix, je n'ai fait que suivre les ordres.

— Tu m'as trahi, contra froidement le jeune homme. Il n'y a rien à ajouter à cela.

— Chris...

— Je ne m'appelle pas comme ça !

Quoi ?

Lily lui lâcha le bras comme s'il lui avait poussé des écailles. Elle recula, l'air aussi perturbée que lui.

— Qu'est-ce que tu veux dire ?

Le jeune homme hésita. Un instant, les choses lui avaient semblé évidentes, mais à froid il pouvait encore repousser ses conclusions. Pourtant, comme le lui disait souvent Maître Guéron, il devait regarder la vérité en face.

Guéron ?

Certain de ne connaitre personne de ce nom, une image s'imposa pourtant à lui : un homme aux cheveux blancs comme neige, au visage couvert de rides, éclairé par un sourire aimable.

— Qui est Chris Martin ? lâcha-t-il. A-t-il seulement existé ? D'où me viennent ces souvenirs qui ne m'appartiennent pas ? Bon sang, dis-moi la vérité ! Qui suis-je ?

Le dire à voix haute le rasséréna, lui prodigua un peu de force et de soulagement.

— Qu'est-ce que tu racontes ? Bien sûr que tu es Chris ! rétorqua Lily en le forçant à la regarder dans les yeux. Écoute-moi bien, tu es né au vingt et unième siècle et...

— Non ! Non, ce n'est pas vrai ! Tu continues de mentir ! explosa le jeune homme.

Il s'agita, chercha à se libérer de ses sangles, mais celles-ci n'avaient rien de jouets. La civière commença à basculer et Lily dû intervenir pour empêcher sa chute de justesse.

— Calme-toi ! ordonna-t-elle. Tu es embrouillé par le choc, ça va passer. Il faut juste que tu reprennes tes esprits.

— Je n'ai jamais eu les idées aussi claires, au contraire ! Je ne suis jamais venu du passé, je suis... j'étais... C'était vous, n'est-ce pas ? C'est vous qui m'avez fait croire tout ça ?

— Chris, tu délires, tu...

— Cesse de m'appeler comme ça ! Qu'est-ce que vous m'avez fait ? Que... Qui suis-je ?

La colère l'emplissait, grandissait comme une tumeur. Elle le dévorait, cette part sombre dont il accusait l'Ombre d'être l'origine. Il faisait alors fausse route. Tous deux n'avaient toujours fait qu'un et cette colère lui appartenait, à lui et à nul autre. D'ailleurs, elle était parfaitement justifiée.

Lily cherchait ses mots, prise au dépourvue. Décidé à profiter de la faille, Chris ouvrit la bouche, mais fut interrompu par le coulissement d'une porte derrière lui.

— Ça suffit. Lieutenant, rejoignez l'arrière du transporteur, ordonna une voix rugueuse et autoritaire.

— Non ! rétorqua la jeune femme. Ce n'est pas un rejet, il n'est pas...

— Silence ! La situation n'est plus de ton ressort, ta mission est terminée. Va te reposer. Maintenant.

La dernière injonction n'avait rien d'une invitation amicale. La jeune femme adressa un regard amer à Chris, puis elle obéit. Elle semblait au bord des larmes.

Je me fais des idées. Ce n'est que de la comédie !

Le nouveau venu s'approcha à son tour de la civière, puis se tint bien droit aux côtés du prisonnier, gardant le silence bien après que la porte se fut refermée derrière Lily. Chris ne détourna pas le regard, il affronta sans faiblir ces yeux de glace qu'il connaissait bien. Son adversaire finit par laisser échapper un soupir las.

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