Chapitre 27 : Un rêve mystérieux (2/2)

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Chris grimpa les marches du temple quatre à quatre. Mérilla attendait au sommet, assise en tailleurs à même le sol. Une unique lampe, accrochée dans la loge derrière elle, permettait de discerner vaguement ses traits.

« Te voilà enfin », le salua-t-elle.

— Matriarche, je suis désolé pour les remerciements, attaqua Chris aussitôt. Je vous promets que...

« Joins-toi à moi », contra la dirigeante du village en désignant l'espace à ses côtés.

Durant son court séjour, Chris avait compris que Mérilla n'était pas, comme il le pensait au début, une prêtresse. La matriarche représentait plutôt une sorte de chef — ou de maire — de Triam.

Il obtempéra, puis dut attendre plusieurs minutes avant qu'elle ne reprenne la parole.

« Tu n'es pas un garçon comme les autres », commença-t-elle.

— Sol... La prêtresse Soleya m'a révélé que je suis spécial, oui. Je possède ce qu'elle appelle une Concentration Supérieure.

« Une découverte surprenante, en effet. Mais qui ne justifie pas à elle-seule de te faire venir à cette heure. Parle-moi plutôt de l'arbre. »

— L'arbre ? Quel...

« Celui de tes rêves, voyons ! »

Chris fronça les sourcils. Sur ce sujet, il ne s'était confié qu'à Domi.

— Je n'ai plus fait ce rêve depuis que j'ai quitté l'Arche.

La matriarche montra des signes d'impatiences, aussi se hâta-t-il de continuer.

— Il est immense, si grand que ses branches pourraient recouvrir toute la vallée. Ses feuilles ont une forme d'étoiles et la couleur du rubis. À ses pieds s'étend une vaste plaine arborée.

« Dans tes rêves, où te trouve-tu exactement par rapport à cet arbre ? »

— Dans une cabane perchée sur ses branches. Il y en a des centaines comme elle, mais suis toujours dans la même, exactement la même. Mais pourquoi ces questions ?

« Tu apprends vite. Nous n'enseignons pas le Don à des adultes d'ordinaire, mais même en tenant compte de cette spécificité, ta capacité d'apprentissage dépasse de loin nos attentes. Tu possèdes la Concentration Supérieure. Pour finir, tu vois un Arbre-monde dans tes rêves. Cela fait trop pour de simples coïncidences. »

— Un Arbre-monde ?

« Suis-moi. »

Mérilla se leva, prenant grandement appuis sur son bâton. D'habitude, elle ne montrait pas de tels signes de son âge. Chris la suivit dans le cabanon de pierre, découvrant l'intérieur pour la première fois. Des étagères couvraient les murs latéraux, présentant des dizaines de flacons colorés ainsi que des livres particulièrement volumineux qui avaient vu passer bien des hivers. Le jeune homme sourit, comparant les lieux à un repère de sorcière.

Mérilla saisit un petit récipient rouge, se mit à genoux et lui fit signe de l'imiter. Elle lui tendit la flasque.

« Bois, une gorgée seulement. »

Son expérience onirique encore fraîche dans son esprit, Chris fixa la petite bouteille avec méfiance. La matriarche attendit calmement qu'il se décide.

Si elle m'avait voulu du mal, elle n'aurait aucun besoin de me piéger...

Il retira le bouchon en liège et déversa une partie du contenu du flacon dans sa bouche. Le liquide lui fit l'effet d'une eau glaciale : pas de goût ni d'odeur, mais une sensation de froid qui lui donna la chair de poule. Dès qu'il eut rendu la potion à la matriarche, celle-ci en absorba à son tour une gorgée puis la posa à l'écart. Chris ne sentait rien de particulier.

— Qu'est-ce que c'est ?

« Visualise le lieu de ton rêve, chaque détail qui te revient peut aider. »

Acquiesçant, le jeune homme entreprit d'invoquer son souvenir de l'arbre géant, du cabanon. Il remarqua que Mérilla manipulait le Souffle de Père, un filament presque imperceptible qui forma un lien entre eux. Chris ferma les yeux un instant. Lorsqu'il les rouvrit, le visage de la matriarche lui sembla étrange, rougeaud... Puis il grandit... Instinctivement, le jeune homme voulut battre en retraite, mais quelque chose l'empêchait de bouger, il était paralysé ! Autour de lui, les étagères se délitaient, la pierre fondait, le sol se bombait et changeait de couleur. Une terrible douleur lui traversa le crâne, il se plia en deux. Il pouvait de nouveau de mouvoir.

Lorsque Chris se redressa, le monde avait retrouvé son inertie. En revanche, il avait quitté le temple pour rejoindre la cabane, au sommet de l'arbre gigantesque. De plus, Mérilla l'accompagnait.

La matriarche hocha lentement la tête à son attention, puis se leva. Elle rejoignit la fenêtre voisine. Chris savait parfaitement ce qu'elle verrait : un océan d'arbres à perte de vue et des branches gigantesques. Il étudia plutôt son environnement immédiat. Tout était là. Tables, chaises, lit ouvragé, exactement ceux de son souvenir. Ne manquait que l'Ombre.

— Il s'agit bel et bien d'un Arbre-monde, annonça Mérilla d'une voix chevrotante qui contenait une trace d'incrédulité. L'une des trois pousses divines !

— Des pousses divines ? Qu'est-ce que... Mais... Vous parlez ?!

Aucun doute, sa compagne ne lui avait pas transmis de pensées. Sa voix avait bel et bien résonné dans la pièce !

— Je parles ? Amusant, mais pourquoi pas ? C'est ton rêve, après-tout, ricana la vieille femme.

— Un Arbre-monde, c'est quoi ?

— Les Mémoires nous disent que lorsque Père est venu à nous, à l'aube de notre temps, il partagea son enveloppe en trois part. Les trois premières tribus des Enfants émergèrent et se séparèrent, emportant chacune une part de Père avec elle. Ainsi, son influence se répandit, sa bienveillance recouvrit le monde entier.

Chris réfléchit. S'il lisait entre les lignes, la Pierre du Renouveau se serait brisée en trois morceaux lors de son impact sur Terre, puis les habitants de la surface les auraient dispersés...

— Quel rapport avec ces arbres ?

— Après que les Prime tribus se soient installés sur leur terre promise, chaque graine de Père donna naissance à une pousse divine, des plantes uniques qui jamais ne cessent de grandir.

— Les Arbres-monde, conclut Chris.

Mérilla sourit.

— Explorons un peu, proposa-t-elle.

Sans attendre de réponse, la matriarche partit vers la porte du cabanon.

— Attendez ! réagit Chris.

La dirigeante de Triam avait déjà posé sa main sur la poignée et tirait vers elle. Le jeune homme serra les dents, préparé à la suite : chaque fois qu'il tentait de quitter le cabanon, il ne faisait qu'enclencher l'inévitable processus de destruction.

La matriarche se tourna vers lui, le questionnant du regard. Derrière elle, par la porte grande ouverte, un soleil radieux s'introduisait dans la pièce. Chris se concentra, mais n'entendit strictement rien, pas même le vent. La terre ne tremblait pas. Il ne sentait aucune odeur suspecte.

Il ne se passe rien ?

— Eh bien, le rêve ne va pas durer éternellement, tu comptes rester là à bayer aux corneilles ? gronda sa compagne.

Chris haussa les épaules et devança Mérilla dehors. Sur le seuil du cabanon, un chemin suivait une branche assez épaisse pour accueillir un bus. Les bordures de la "route" étaient marquées avec une sorte de peinture bleutée. Il ne trouvait aucune trace de gravure ou d'autre marque sur le bois lui-même.

Pas étonnant, s'il s'agit d'un arbre sacré.

D'autres cabanes apparaissaient un peu partout dans le feuillage titanesque de l'arbre, certaines regroupés autour d'embranchements. Du tronc principal, le jeune homme ne voyait que des fragments. Il ne serait sans doute possible de voir l'arbre dans son entièreté que depuis le sol, à une grande distance qui plus est.

La matriarche le dépassa tandis qu'il observait le paysage, il la suivit en direction de l'un de ces carrefours au centre duquel se dessinait une sorte de petite place. Arrivé à destination, Chris entreprit de visiter les habitations. Il entra, héla, mais seul l'écho de sa propre voix lui répondit. L'intérieur semblait pourtant avoir été occupé récemment. Dans le dernier cabanon, il tomba sur une table mise avec des aliments encore fumants.

— Chris ? appela la matriarche.

Le jeune homme se détourna du rôtis — pourtant fort appétissant —, et rejoignit sa compagne. Au centre de la place circulaire, Mérilla étudiait des lignes tracées en rouge sur le sol. Y jetant un rapide coup d'œil, le jeune homme ne vit qu'une superposition de figures géométriques : un triangle, un rectangle et un hexagone enchâssés.

— Il s'agit du symbole du clan Khaï, expliqua la doyenne. Je pense... Oui, cela expliquerait tout...

La matriarche se redressa et fit face à Chris, l'air préoccupée.

— Qu'y a-t-il ? Vous semblez avoir compris quelque chose, insista le jeune homme.

— Oui. Oui, je ne vois que cette possibilité. Tu...

Les lèvres de la matriarche continuèrent de s'animer. Chris la fixa un instant, sans comprendre. Mérilla parlait, mais il ne l'entendait plus.

— Qu'est-ce qui se passe ? Je ne vous entends pas.

La matriarche s'interrompit, son front plissé. Sa bouche forma encore quelques mots, sans effet, puis sa silhouette vacilla. Ses yeux s'écarquillèrent et elle se jeta soudain vers Chris, le poussa en arrière... avant de se volatiliser. En un instant, elle avait disparu !

Qu'est-ce qui s'est passé ?

Chris regarda autour de lui. Le paysage demeurait parfaitement stable, il ne percevait aucun signe que le "rêve" se termine. Puis un objet invisible lui heurta les côtes, le plia en deux sous l'effet de la douleur.

Qu'est-ce que...

Il n'y avait rien, rien en vue qui puisse le menacer !

Un nouveau coup le frappa, cette fois au visage. Il bascula en arrière, s'étala de tout son long. Le ciel si lumineux s'obscurcit, le monde entier bascula dans les ténèbres. Chris se retrouva plongé dans la noirceur. Il n'avait cependant pas perdu connaissance, il était simplement de retour dans la loge du sommet de la pyramide, bien après le coucher du soleil. Il laissa échapper un soupir de soulagement qui lui rappela brutalement le coup reçu au thorax, puis entendit des bruits sourds dans le lointain, ainsi que des cris.

— Ils sont vraiment pitoyables ! Se laisser massacrer sans réagir, alors qu'ils ont tant de puissance en eux... clama une voix grave, derrière lui.

Chris se fit rouler sur le côté pour regarder derrière lui. Deux individus se tenaient là, au sommet des marches. La lampe à huile de la loge révélait très bien ces deux individus qui brillaient dans l'obscurité avec leurs combinaisons d'un blanc éclatant. Le choc paralysa complètement le jeune homme.

Non ! Non, pas eux ! 

— Tient, l'autre en redemande on dirait ! Ce spécimen n'est pas si jeune, on pourrait s'amuser avec lui. On aura qu'à dire qu'on a frappé un peu trop fort par accident... ricana l'un des deux soldats de l'Arche.

— On ne peut pas prendre de risques, c'est peut-être celui qu'on recherche, contra l'autre.

Passant sur ces combinaisons bien trop familière — au détail près que ces individus portaient en sus un casque intégral avec visière digne d'un astronaute —, le regard de Chris tomba sur la silhouette à leurs pieds. Le dos de Mérilla formait un angle étrange, posé contre la plus haute marche.

La chaleur sur sa joue et la douleur qui lui vrillait l'abdomen lui firent tout à coup l'effet de désagréments mineurs. Ils appartenaient à un autre. Seule comptait la rage incompressible qui lui dévorait les entrailles.

— Vous n'auriez jamais dû faire ça !

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