Chapitre 20 : Résolution

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Perdu dans les brumes matinales, un pâle soleil luttait pour se faire une place. Chris observait la forêt endormie avec mélancolie. Le grand air lui manquait. Ces instants rêvés, aussi mystérieux soient-ils, constituaient de véritables échappatoires.

— Tu vas accepter ça ? Tu vas rester sans rien faire ?

À regret, le jeune homme s'arracha à la contemplation du paysage pour faire face à l'Ombre.

— C'est vrai que je trouve ça injuste. Mais je ne peux rien y faire.

— Tu n'es qu'un lâche ! Tu n'es plus seul !

— Quoi ? Comment ça ?

Un flash de lumière détourna Chris de son interlocuteur. Quelque chose approchait au-dehors, très rapidement.

Déjà ? C'est... un missile ?!

En se redressant dans son lit, le jeune homme sentait encore le souffle de la déflagration sur son visage. Il y avait une constante dans ces songes : la destruction finale du cabanon. Un élément qui ne lui fournissait guère d'indice sur leur nature, puisqu'il était passé du tremblement de terre à la tornade, en passant par un tsunami. En pleine forêt !

Cette fois, pas énigme, il m'a dit quoi faire.

Sur ce point, en revanche, il s'agissait d'une première. Le jeune homme se dégagea doucement des draps, mais Lily remua aussitôt dans son dos et ouvrit les yeux.

— Il est trop tôt... râla-t-elle d'une voix ensommeillée. Il nous reste deux heures...

— Je dois faire quelque chose, souffla-t-il. Mais j'ai besoin d'aide.

— En pleine nuit ? De quoi tu parles ?

Chris grimaça, il n'y avait pas de bonne manière d'aborder le sujet.

— L'exécution de la Sauvage est pour demain, lança-t-il.

— La Sauvage ?

Non sans soupirer, la jeune femme finit par se redresser.

— Celle du centre de détention ? Ce n'est pas très étonnant. Elle a tenu longtemps... Mais en quoi ça te concerne ?

— Elle a été maltraitée, utilisée comme un cobaye de laboratoire. Maintenant on s'en débarrasse comme un vulgaire déchet !

— Et... tu la défends ? Alors qu'elle a cherché à te tuer ?

— Seulement parce qu'on s'est servis d'elle. Elle reste un être humain, pas si différente de nous.

— De toi en particulier, c'est ça ? piqua Lily.

À moitié endormie, la jeune femme visait pourtant très bien ses points faibles. Elle n'avait pas tort : pourquoi se sentait-il si concerné par le sort de la jeune Sauvage ? Par pur humanisme ? Non, même s'il aurait aimé s'en convaincre. L'étrange relation tissée avec elle, peut-être ? Ou parce qu'il s'imaginait pour de bon à sa place ?

— Peu importe, trancha-t-il. Je dois empêcher ça. Il doit y avoir une autre solution.

Lily vint poser son menton sur l'épaule du jeune homme.

— Prendre la défense d'une Sauvage ne t'apportera que des ennuis, tu le sais n'est-ce pas ? souffla-t-elle. Mon père t'as dit de ne pas te faire remarquer.

— Je ne vais pas... je ne peux pas rester sans rien faire juste pour plaire au général !

— Alors sois réaliste : la gestion des Sauvages prisonniers est la responsabilité du colonel Fisher, qui les hait de toutes ses forces. Pour lui forcer la main, il faudrait viser plus haut, ce qui ne laisse que mon père et le général Harwel, des Patrouilleurs. Et encore, je ne suis pas sûre que mon père ait le bras assez long pour le coup.

Décidemment, pour quelqu'un qui ne songeait qu'à dormir un instant plus tôt, Lily raisonnait étonnement bien. Evidemment — et même si elle s'en défendait —, elle avait depuis toujours un pied dans la politique et l'autre dans l'armée.

— Je ne pensais pas vraiment à plaider sa cause, avoua Chris.

Lily arqua ses sourcils.

— La Lumière du Renouveau, précisa le jeune homme. Ils ont dit qu'ils m'aideraient si j'avais besoin d'aide.

Sa compagne se dégagea brusquement, secouant la tête.

— Tu plaisantes ? De quoi on parle, là ? De la faire évader ?

— Tu l'as dit toi-même, il n'y a pas d'autre solution.

— Mais je ne pensais pas que... De toute façon, tu ne convaincras jamais le professeur Reinard de te suivre !

— Je n'en suis pas si sûr. Si je suis à nouveau emprisonné, comment pourrais-je jouer le rôle de sauveur qu'ils attendent de moi ? Et qui sait comment doit s'accomplir "ma mission" ?

— Chris...

— Si je menace d'agir seul, ils seront bien obligés de...

— Chris !

— Je sais que ça a l'air dingue, mais c'est juste... Je sens que je dois le faire. Je n'ai pas le choix.

Peut-être à court d'argument, Lily s'installa à ses côtés, au bord du lit. Tandis que le silence s'éternisait, Chris frissonna. Torse-nu, il songea qu'il ne faisait pas chaud dans sa chambre.

— Très bien, laisse-moi leur parler, décida Lily.

— Je peux...

— Tais-toi et écoute-moi ! Tu vas aller à l'académie comme si de rien n'était, sinon quelqu'un se rendra compte que quelque chose cloche.

— Les espions de ton père.

— Il n'y a pas que les siens, tu te souviens ? Tu as eu un aperçu du jeu d'influence au sommet de l'Arche, mais sans en prendre la pleine mesure. J'ai plus de latitude, je peux justifier quelques déplacements étranges.

— Je suis désolé Lily, je... merci.

La jeune femme lui retourna un petit sourire, puis elle se leva, retira sa nuisette et s'empara de la pile formée par ses vêtements de la veille. Chris ne pu s'empêcher de s'attarder sur elle tandis qu'elle s'habillait, ce qui ne sembla pas particulièrement lui déplaire.

— Tu t'en va ?

— Je dois prendre de l'avance si je veux m'en sortir avec mon programme de la journée. On se retrouve chez toi ce soir, d'accord ?

Sa combinaison vite enfilée, la jeune femme l'embrassa rapidement.

— Agit comme si tout était normal, rappela-t-elle. Et essaie de dormir encore un peu !

Chris la regarda partir et se perdit un instant dans le panorama de sa chambre. Il disposait d'une vue plongeante sur une grande partie du quartier martial, avec le lac souterrain en fond. L'éclairage diffus au large rendait le tableau proprement magnifique. Posséder un tel logement passait aisément pour un luxe, luxe qu'il pouvait perdre en un claquement de doigt si les choses tournaient mal.

Je dois le faire.

Convaincu de ne pas pouvoir retrouver le sommeil, il se laissa tout de même retomber sur son lit. Il s'endormit presque aussitôt.

L'académie militaire supérieure de l'Arche IV dominait le quartier martial. L'ensemble de tours qui la constituaient s'extirpait de l'un des grands piliers à la manière d'une étrange excroissance, tout en possédant une architecture parfaitement équilibrée, une forme de symétrie d'où qu'on la regarde. Pour la rejoindre, la seule solution était d'emprunter une longue série d'escaliers. Un bon exercice pour débuter la journée des aspirants officiers.

Chris interrompit sa progression le temps de souffler un peu. Il en profita pour observer l'arène qui le dominait : suspendues dans le vide, au-dessous de l'académie, un groupe de plateformes sphériques se balançaient. Reliées aux tours par d'étroites passerelles, ces cercles possédaient des dimensions variables, mais aucun ne possédait de barrières ou quoi que ce soit d'autre : il s'agissait de simples disques. Les étudiants aussi bien que d'autres individus pouvaient s'y affronter, défiant le vertige. Pour gagner, la meilleure méthode consistait à propulser son adversaire dans le vide !

— Sans les boucliers, ce serait une chute d'au moins cent mètres, souffla Chris. Même si on atterrit dans le lac...

— On n’est jamais à l'abri d'un dysfonctionnement, glissa quelqu'un derrière lui.

Il s'agissait de l'un de ses condisciples de formation, un dénommé Dylan. Petit blond à peine sorti de l'adolescence, ce jeune homme devait être issu d'une bonne famille, pour être entré à l'école d'officier si jeune. En seulement deux jours, Chris n'avait pas eu le temps de faire très ample connaissance avec ses camarades.

— C'est déjà arrivé ? questionna-t-il. Il y a déjà eu des morts lors de compétitions dans l'arène ?

À dire vrai, il ne tenait pas à connaître la réponse et avait moins encore l'intention de grimper lui-même sur ces plateformes. Cependant, faire la conversation constituait un moyen efficace de s'attirer de la sympathie.

Voilà que je cherche à tisser des amitiés par calcul...

— Pas pendant les entraînements, affirma Dylan. Mais l'arène a déjà été utilisée pour régler des différents importants entre...

— Hé, les gars, regardez qui on a là ! Le Sauvage et la gueule d'ange ! s'écria soudain quelqu'un dans leur dos.

— C'est peut-être un rendez-vous d'amoureux ! s'esclaffa un autre.

Chris et Dylan firent volte-face. Un petit groupe progressait dans les escaliers au pas de course. Cette dizaine de jeunes effectuait l'ascension sans sembler s'essouffler, ce qui démontrait leur très bonne condition physique ou la force de l'habitude — ou les deux. Plus âgés que Chris, ils ne partageaient pas moins ses enseignements à l'académie.

Dans les couloirs de l'académie, le jeune homme ne pouvait ignorer les regards noirs qu'on lui jetait à la dérobée. Il ne doutait pas qu'aux yeux de bon nombre de ses condisciples, il eut été mieux en cellule. Le chef de cette bande possédait un physique imposant. Il répondait au nom de Gravan et lui ne cachait aucunement son antipathie pour Chris, ou pour ce qu'il était.

— Vous avez peut-être besoin d'aide pour arriver en haut ? reprit Gravan.

— On admirait juste le paysage, tu viens Dylan ? répliqua Chris.

Il pouvait sans problème tenir la dragée haute au groupe de Gravan le temps des dernières volées de marches, mais Dylan, lui, fut vite à court de souffle. Après avoir marqué une courte hésitation — dont il se sentit coupable —, Chris ralentit et soutint son nouveau compagnon sans tenir compte des inévitables moqueries qui plurent sur eux. Ils atteignirent l'académie juste à temps pour le début de leur programme du jour.

Soumis à un programme d'intégration intense, les jeunes gens alternaient entre enseignements théoriques et exercices physiques. Chris trouvait les deux domaines intéressants et, même sans ses dons particuliers, n'avait aucun mal à suivre dans le second domaine. En dépit de ses grands airs, même Gravan ne parvenait pas à le surpasser.

Au cours de ses premiers jours, les enseignements se concentrèrent sur les lois de l'Arche et l'armement de cette époque. Pendant cette journée, le jeune homme fut régulièrement rappelé à l'ordre quant à sa concentration. Ses pensées se tournant constamment vers la renarde.

J'espère que tout se passe bien pour Lily.

En fin d'après-midi, la majorité des camarades de Chris devaient rejoindre leur escadron pour effectuer des patrouilles. Sans affectation, lui put rapidement s'éclipser et rentrer chez lui. Son comportement ne semblerait pas étrange, puisqu'en évitant de traîner il agissait conformément aux consignes du général Duverne.

Dès qu'il franchit la porte de son appartement, deux têtes de tournèrent vers lui. À table, Lily et le major Taller se faisaient face.

— Te tenir tranquille quelques semaines, c'était vraiment trop demander ? explosa le major dès qu'il eut fermé la porte derrière lui.

— Je vous croyais déjà partie, rétorqua Chris en se retenant de sourire.

Si elle est là, alors...

— La Patrouille ne devrait pas revenir de sa mission dans l'Arche V avant quelques jours encore. Et apparemment, dès qu'il s'agit de t'aider c'est moi qu'on appelle...

— Si je n'étais pas venue te chercher, je suis sûre que tu me l'aurais reproché ! contra Lily en secouant la tête.

Le major fit une grimace, mais ne put cacher l'ombre d'un sourire au coin de ses lèvres. Chris, en tous cas, se réjouit de la voir. Si une personne dans l'Arche pouvait comprendre sa relation avec la renarde, il s'agissait assurément de Démétra Taller.

— J'en conclu que tu as pu parler au professeur, fit Chris en se joignant à elles.

— Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il n'a pas beaucoup aimé.

— Mais il va nous aider.

Les deux femmes échangèrent un regard, puis Lily lâcha un long soupir.

— Tu es vraiment sûr de vouloir faire ça ?

—Ce n'est pas que je le veux... c'est dur à expliquer, mais je le dois.

— La Lumière du Renouveau peut prendre en charge la Sauvage, annonça Taller. Elle restera captive et neutralisée, bien sûr, mais sera bien traitée.

Chris approuva de la tête. Il n'attendait pas davantage.

Alors pourquoi ai-je ce sentiment que cela ne suffit pas ?

— Nous allons nous répartir en plusieurs équipes, reprit Lily. Je me suis arrangée pour recevoir un ordre d'inspection des infrastructures de sécurité aujourd'hui. Je vais en profiter pour désactiver un instant l'alimentation dans le secteur de détention. Vous devrez en profiter.

— Tu es vraiment sûre de ton coup ? intervint le major.

— Oui, je connais très bien le local et ce système en particulier. Je sais déjà comment je vais m'y prendre, c'est un jeu d'enfant, assura la jeune femme avec un clin d'œil. Votre mission est la plus délicate...

— Après que Lily soit entrée, nous allons nous présenter de l'autre côté du bâtiment, dans le quartier de détention, attaqua Taller.

Chris hocha la tête, sentant la tension monter d'un cran.

— On nous laissera entrer ?

— Pas si nous nous présentons en tant que simples soldats, d'autant qu'on a de bonnes chances de tomber sur des visages connus. Alors nous nous présenterons comme une escorte.

— Une escorte ? De qui ?

À cet instant, la sonnerie de l'appartement résonna et Chris fronça les sourcils, dévisageant ses compagnes.

— Tu ne vas pas ouvrir ? l'aiguilla Lily.

Soupçonneux, le jeune homme se leva néanmoins. Devant la porte se tenaient Jake et Jess.

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