Chapitre 16 : Tout en délicatesse (1/2)

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Un crissement de bottes sur les dalles humides tira Chris du sommeil léger dans lequel il avait sombré. Il découvrit deux soldats dans l'embrasure de la porte.

— Debout, tu es attendu ! tonna le plus proche, voyant les yeux du prisonnier ouverts.

Se redressant, courbaturé, Chris dévisagea ses invités. Tous deux très jeunes, il les aurait croisés dans la rue sans les remarquer. Celui qui venait de parler, plus en chair que son compagnon, se démarquait par une barbichette ridicule. Les matraques tenues fermement par les militaires l'étaient moins.

— Allez, du nerf ! s'emporta le même soldat en venant lui saisir le bras. Le colonel n'est pas connu pour sa patience !

— Où voulez-vous m'emmener ? rétorqua Chris.

Tandis que l'autre prétendait le mettre debout de force, il résista. La mâchoire de son adversaire se contracta, son regard se durcit de plus belle lorsqu'il se rendit compte qu'il n'avait pas le dessus. Chris réfléchissait déjà à la stratégie à adopter : en s'avançant ainsi, cet idiot s'offrait à lui. Il pouvait le maîtriser sans problème, s'emparer de son arme, puis...

Le jeune homme se reprit et secoua vivement la tête, rejetant ces pensées. Il se leva si vite qu'il prit son vis-à-vis par surprise.

Qu'est-ce qui me prend ? Pourquoi je chercherais à m'évader ? Pour aller où ?

— Du calme ! intervint le second soldat, se méprenant probablement sur les raisons de la brusquerie du jeune homme. Le colonel souhaite seulement échanger quelques mots avec toi. Il n'y a aucune raison de s'énerver.

La voix de celui-ci se révélait calme et mesurée. Le militaire prit même soin de dissimuler son arme. Chris prit une grande inspiration. La veille déjà, Taller l'avait averti qu'on l'interrogerait, il n'y avait donc rien d'étonnant. Au contraire, cela signifiait que les choses avançaient et il ne pouvait que s'en réjouir. Il affronterait ce qui l'attendait et se montrerait patient.

Avisant les restes de son déjeuner, il jeta un coup d'œil dans la salle voisine, mais n'y repéra pas la prisonnière.

Elle est dans un coin sombre, ou bien ?...

Chris leva la tête et regarda les membres de son escorte droit dans les yeux.

— Je vous suis !

Tandis qu'il arpentait des couloirs aseptisés, les pensées du jeune homme revinrent vers Lily. La scène où elle l'abandonnait se rejouait en boucle sous ses yeux.

Taller se trouvait à ses côtés à son réveil, elle l'avait veillé tandis qu'il gisait sans connaissance. Lily, elle, ne lui avait toujours pas rendu visite. Cela le laissait partagé entre colère et anxiété. Il avait un besoin urgent de la voir, de lui parler. Cette idée l'obsédait au point d'oublier dans quelle situation il se trouvait.

J'ai des problèmes plus urgents, se sermonna-t-il.

Le bâtiment s'étirait en longueur. Un long couloir bardé de portes parfaitement identiques. Le garde en tête s'immobilisa devant l'une d'elle et présenta un badge.

— C'est ici, annonça-t-il.

Soucieux de ne pas trahir la moindre crainte — il n'avait rien à se reprocher —, Chris pénétra sans attendre dans ce qui se révéla une salle spacieuse et particulièrement bien éclairée. En lieu et place des habituelles racines de Lumineas, un plafond haut de trois bons mètres fournissait une lumière blanche.

Ce serait le fruit de cette fameuse "Énergie Stellaire" ?

Il ne voyait rien de particulier au plafond, rien qui ressemble aux boucliers de mechaball en tous cas. La pierre semblait briller naturellement. Pour autant, il sentait tout de même quelque chose, comme une sorte de chaleur...

Frissonnant sans raison apparente, Chris reporta son attention sur la pièce elle-même. Le sol était couvert des mêmes dalles grises que le couloir ou sa cellule, mais les murs révélèrent une longue rangée de vitres opaques.

Je suppose qu'elles ne sont opaques que d'un côté.

En dehors de ces observations, il ne trouva dans la pièce qu'un étrange bloc métallique et un... mannequin ? L'appareil lui évoquait le moteur d'une voiture désossée. En revanche, il ne trouva nulle trace d'un bureau ou d'une chaise, pas plus que d'un interlocuteur.

— Je croyais que j'étais là pour être interrogé ? s'étonna-t-il en se tournant vers son escorte.

— À genoux ! ordonna en réponse le plus agressif des deux.

— Quoi ?

Chris découvrit que ce militaire brandissait une petite seringue.

— Qu'est-ce que vous... commença-t-il.

— Du calme, c'est pour la racine de Pikral, expliqua le second soldat.

— Le truc que j'ai autour du cou ? Qu'est-ce que vous voulez faire ?

— Tu l'ignores vraiment ? répliqua le garde, un instant dubitatif. Mets-toi à genoux, s'il te plait, c'est sans danger je t'assure.

— Tes minauderies sont d'un ridicule, Torek ! trancha la brute. Cette racaille n'est pas en position de discuter. On ordonne, il obéit, un point c'est tout !

Chris laissa le soldat poser une main sur son épaule pour l'inviter à se baisser. Au contact, il serra les dents pour contrôler ses nerfs à vif.

Je pourrais lui tordre le bras et la lui enfoncer dans le crâne, sa seringue !

Dès que l'aiguille pénétra le collier végétal, la racine réagit. Elle commença par se contracter mais, à l'enclenchement du piston, se détendit instantanément. Chris sentit que quelque chose se détachait de sa peau à plusieurs endroits, puis l'implant entier lui glissa sur les épaules. Il ne sentait plus aucun contact avec son cou et le palpa instinctivement, y découvrant trois boursouflures.

Le jeune homme adressa un regard interrogatif au dénommé Torek, qui sembla sur le point d'ouvrir la bouche, mais une autre voix le devança :

— Il s'agit d'une injection d'Énergie Stellaire, expliqua sèchement cette dernière. Une quantité suffisante pour rassasier la racine quelques minutes, elle reprendra sa place d'elle-même ensuite.

Chris fit volte-face et découvrit un nouvel individu posté à proximité de l'étrange engin, au centre de la pièce.

D'où sort-il ?

Il n'avait pas perdu la porte de vue pendant la piqure, aussi le jeune homme s'attarda-t-il sur les murs de verres, à la recherche d'un indice révélateur d'un passage.

L'homme lui avait adressé la parole s'éclaircit la voix, obligeant Chris à mettre fin à son inspection. Plutôt petit et de faible corpulence, cet individu grisonnant arborait une fine moustache blanche qui accompagnait à merveille ses lèvres serrées et son regard glacial. Du reste, il ne semblait pas soucieux de se rendre sympathique. Bien évidemment, il revêtait un uniforme blanc.

— Je... à qui ai-je l'honneur ? formula maladroitement le jeune homme.

— Je suis le colonel Fisher, responsable du département de recherche physiologique des Patrouilleurs, le DRPP.

Si son interlocuteur attendait une réaction de sa part, Chris se contenta de le regarder d'un air bravache en haussant les épaules.

Le vieux soldat lui adressa un sourire sans chaleur et fit signe d'avancer vers lui. Il désigna ensuite la machine à ses côtés.

— Tu sais ce que c'est ?

Chris fronça les sourcils, sa main caressant toujours les marques sur son cou.

— Ce truc fonctionne à l'Énergie Stellaire, c'est ça ? devina-t-il.

— Tu n'es pas stupide, conclut l'autre d'un ton cassant.

— Vous vous attendez à ce que je l'utilise, ajouta Chris.

Le soldat se contenta de hocher la tête. Du coin de l'œil, le jeune homme vit les deux gardes qui l'avaient accompagné reculer jusqu'à l'entrée de la pièce. Celui nommé Torek se balançait d'un pied sur l'autre, l'air mal à l'aise.

— Je ne sais pas ce que vous espérez, mais c'est une erreur, un malentendu, affirma Chris. Je ne peux pas utiliser l'Énergie Stellaire. Je n'ai même jamais été à son contact, puisque je ne suis jamais sorti de l'Arche !

— Fais basculer le mannequin, c'est tout ce que je demande, rétorqua le vieux soldat sans élever une syllabe plus haut que l'autre.

—Mais puisque je vous dis que...

— Le mannequin.

Le jeune homme dévisagea un moment son interlocuteur, parfaitement impassible. À bout de patience, il s'approcha de l'objet en bois et le poussa à terre.

— Voilà, satisfait ?

Le militaire secoua lentement la tête de droite à gauche.

— Vous ne vous simplifiez pas la vie, Monsieur Martin.

Chris, de son côté, ne pouvait s'empêcher d'apprécier son petit effet.

Il n'a pas tort, pourtant. Pourquoi le provoquer ? Taller disait que les Patrouilleurs s'intéressaient à ce qui se passe à la surface et aux Sauvages...

— Je vais vous montrer à quoi sert cet appareil, reprit le colonel en glissant sa main dans l'une des poches de son uniforme.

Il en tira un gant étrange, l'air rigide, noir, Chris ne parvenait pas à déterminer de quelle matière il était constitué. Le militaire le brancha sur un câble issu de l'appareil au centre de la pièce, puis l'enfila. Il pressa enfin le pouce contre l'index et Chris entendit un petit déclic, précédant un ronronnement du moteur.

— Il s'agit d'une technologie qui t'es familière, un ancien modèle de générateur de boucliers militaire, reprit calmement le colonel. Il reste plus performant et surtout bien plus adaptable que ceux dont vous disposez dans votre pitoyable sport. Regarde...

Une barrière protectrice circulaire se matérialisa soudainement autour de sa source, sur une circonférence de deux mètres environ. Celle-ci s'étendit verticalement et Chris l'accompagna du regard tandis qu'elle prenait la forme d'un pilier qui alla jusqu'à toucher le plafond.

— Bien, nous disposons donc d'une première confirmation, annonça le colonel.

— Qu'est-ce que vous voulez dire ? s'étonna le jeune homme en revenant sur lui.

— Tu vois l'Énergie Stellaire, statua le militaire avec un rictus au coin des lèvres.

Chris grinça des dents, il s'était fait manœuvrer comme un enfant. Il reporta son attention sur le bouclier qu'il percevait en effet très clairement. De fait, il avait presque du mal à voir le moteur derrière cet écran énergétique censé être invisible.

Le militaire plaça sa main gantée vers l'avant, paume en évidence, puis fit un mouvement sec en direction de Chris. Le bouclier se déploya en réponse, fonçant à la rencontre du jeune homme qui recula instinctivement. La paroi s'arrêta à quelques centimètres de lui, sous les ricanements du militaire.

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