Chapitre 21 : Sauvetage (2/2)

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Ils trouvèrent rapidement la cage d'ascenseur. Par acquis de conscience, Jake pressa le bouton d'appel sans obtenir de réaction. Puis le groupe rejoignit la cage d'escalier que ce dernier avait évoqué. La porte passée, Chris leva les yeux et retint sa respiration. Des volées de marches en métal se succédaient, se perdant dans les ténèbres.

On ne va jamais y arriver !

La renarde lui donna un coup dans les côtes. Étonné, il la laissa se dégager et elle entama aussitôt l'ascension, alors même qu'elle tenait à peine debout. Les autres échangèrent des regards circonspects avant de lui emboîter le pas.

Marche après marche, Chris avançait sans découvrir de changement dans son environnement. Il n'y avait aucune porte, aucune indication sur leur progression, rien. Il arrêta vite de compter le nombre de marches gravies. Ses jambes menaçant de céder sous lui, sa respiration devint rapidement chaotique. Quelques heures plus tôt, il se targuait de sa condition physique exceptionnelle. Où était-elle son endurance, désormais ?

Combien de mètres séparent l'Arche de la surface ? Lily me l'a dit, mais je ne me souviens plus...

Il se tourna vers ses compagnons, mais renonça à leur poser la question. Démétra et Jess semblaient à bout de souffles, elles-aussi. Jake s'en sortait à peine mieux. Quant à la renarde, savoir où elle puisait ses forces constituait un mystère, elle continuait pourtant de faire la course en tête. Du moins, jusqu'à ce quelle finisse par tomber à genoux en respirant bruyamment.

D'abord tenté de lui intimer de se redresser, Chris échangea un bref coup d'œil avec le major et tous s'écroulèrent à leur tour, pantelants. Dégoulinant de sueur, des tambours battant un rythme dément dans sa tête et un poignard lui tenaillant le bas ventre, le jeune homme voyait le monde tourner autour de lui.

L'unique racine de Lumineas qui éclairait les lieux était devenue rachitique, alors qu'elle avait la largeur d'un chêne centenaire dans les profondeurs. Il ne voyait presque plus rien, ce qui empêchait d'estimer leur progression.

Après un moment et tandis que Chris s'efforçait de se relever, la sirène d'alarme s'interrompit brutalement, imposant un silence de mort.

— Qu'est-ce que ça veut dire ? souffla le jeune homme.

— Comment veux-tu qu'on le sache ? grinça le major, à nouveau debout mais tremblante. On ne doit pas être loin de la surface, il faut repartir.

Le jeune homme échangea un regard avec Jake. À eux deux, ils se saisirent à nouveau de la Sauvage, qui ne se débattit que très mollement avant de se laisser entraîner par eux. Leur progression reprit, plus lentement mais avec une détermination renouvelée... qui se heurta rapidement à une porte close. Démétra ressortit la batterie de P-44, mais Chris secoua la tête.

— Elle est vide. Et il n'y a pas assez d'énergie dans le pistolet.

Il se laissa glisser par terre avec la renarde, tendant l'oreille pour guetter l'arrivée de poursuivants. Il ne perçut heureusement que le souffle haché de ses compagnons. Pour ce que ça changeait.

Tout ça pour quoi ? Qu'est-ce qu'il va advenir de nous ?

Jake s'approcha de l'issue et en saisit fermement la poignée. Il poussa, tira, secoua sans obtenir le moindre mouvement. De dépit, il la frappa du poing.

— Bon sang, si près du but !

— C'est une porte blindée, elle ne bougera pas, commenta Jess d'une voix lasse.

L'ancien défenseur répliqua quelque chose, mais Chris ne les écoutait plus. Tandis que son cœur reprenait un rythme plus normal, qu'il retrouvait un rien de calme, il commençait à percevoir quelque chose, comme une vibration familière. Au même instant, un bruit se fit entendre derrière eux.

— L'ascenseur, il bouge ! annonça Taller en se levant.

En dépit de son geste instinctif, la militaire ne cachait pas son abattement. Elle avait abandonné.

La sensation étrange de Chris persistait.

— Il y a des machines derrière cette porte ? questionna-t-il.

Jake le dévisagea, surpris.

— Quelques engins autonomes tournent constamment dans les cultures. Il y a aussi des hangars de matériel de maintenance ou des Patrouilleurs. Par contre, je ne sais pas où nous sommes par rapport...

Chris n'écoutait plus. Il se concentrait.

Oui, je peux y arriver...

— Jake, éloigne-toi, murmura-t-il.

La porte trembla. Un instant, le jeune homme craignit de s'être fait des idées, mais le flux était bien réel. Il pressait contre le pan de métal. Les gonds cédèrent d'un coup et le panneau s'arracha du mur pour voler dans la cage d'escalier comme une fusée. Il frappa et s'inséra littéralement dans le mur d'en face.

— Bon sang, tu as failli me tuer ! s'écria Jess, qui s'était jetée au sol pour éviter le projectile.

Se sentant un peu coupable, Chris vit Jake courir vers leur amie, tandis que Taller jurait. En se tournant vers l’ouverture, il ne put cependant s’empêcher de sourire béatement : une lueur orangée les inondait de clarté. Il fut le premier à s'aventurer dehors.

La luminosité n'était pas due qu'au filtre du dôme, le soleil se couchait et le jeune homme repéra une lune bien ronde dans le ciel. Tandis qu'il sentait le contact la terre battue sous ses pieds, toute sa fatigue s'envola. Il ressentit un bonheur indescriptible à fouler le sol de la surface, enfin ! Pour la première fois depuis son arrivée dans le futur.

Non loin de là, une ombre mouvante l'interpella. Une sorte de moissonneuse-batteuse géante, l'engin qui les avait sauvés. Il fit un pas vers lui.

— Plus un geste ! imposa une voix rauque.

Le jeune homme ne pivota que pour se faire aveugler par deux puissants projecteurs. Ainsi, Chris ne découvrit que trop tard les deux détachements de soldats qui se déployaient autour des fugitifs. Descendant de la plateforme qui les surplombait, un homme en particulier attira son attention : le colonel Fisher.

Libre un instant plus tôt, leur groupe se retrouvait à la merci d'une vingtaine d'hommes qui les tenaient en joue !

— Je n'attendais rien d'autre de la part de ce Sauvage infiltré, jubila Fisher en fixant Chris. En revanche, je suis surpris de voir un membre si prometteur des Patrouilleurs se compromettre de la sorte. Major Taller, votre supérieur avait de grandes attentes pour vous... quelle déception !

Dévisageant les hommes qui l'entouraient, Chris tomba sur le visage juvénile de Dylan. Le jeune soldat le fixait lui en particulier, avec un mélange de haine et de dépit dans ses yeux.

— Posez vos armes ! ordonna le colonel. Puisque vous teniez à libérer cette chose, vous allez partager sa condition. Nous verrons ce que le général pensera des actions de son protégé. Même lui ne pourras pas le sauver cette fois !

Les armes !

Dans le stress et la précipitation, Chris avait manqué l'essentiel.

— Préparez-vous à courir vers la machine agricole, chuchota-t-il tandis que le colonel jouait les méchants James Bondien.

— Qu'est-ce que vous dites ? réagit ce dernier.

Les regards incrédules dont le gratifièrent ses compagnons valaient de l'or, mais le jeune homme ne pouvait pas se permettre de s'y attarder. Il se concentra sur les armes de leurs opposants, des fusils d'intervention classiques de la Garde. Comme l'essentiel de l'arsenal de l'Arche, ils fonctionnaient à l'Énergie Stellaire. Sous ses yeux, ils brillaient davantage que les étoiles naissantes sur la voute céleste !

Cependant, Chris n'avait jamais divisé son attention sur autant de cibles à la fois.

Je n'arriverai jamais à contrôler tout ça.

Serrant les dents, il libéra pourtant la charge contenue dans chaque arme. Il sentit les barrages qui tombaient, l'énergie qui s'engouffrait dans la brèche créée, inarrêtable.

— Jette ton arme ! cria-t-il à l'attention de Dylan.

Des exclamations de surprises fusèrent de partout en même temps. Le fusil dans les mains d'un vieux briscard explosa sous l'effet de la surcharge, puis les détonations s'enchaînèrent. Les plus vifs se débarrassèrent de leur arme aux premiers signes d'emballement, d'autres hurlèrent de douleur. Dylan fut des seconds. Le regard de Chris resta bloqué sur les bras et le visage sanguinolents de son camarade de l'académie, puis quelqu'un empoigna son épaule et il se retrouva à courir derrière Taller en s'efforçant d'ignorer les gémissements qui accompagnaient leur fuite.

Je suis désolé, tellement désolé !

— Non ! Ne les laissez pas partir, feu à volonté ! hurla le colonel derrière lui.

Avant d'avoir compris ce qui lui arrivait, Chris décolla du sol. Il atterrit tête la première dans un champ en friche, un bourdonnement sourd dans les oreilles. Déséquilibré, il se força pourtant à se remettre debout presque aussitôt et regarda autour de lui. Il tomba sur le visage de Jess, déformé par la terreur. Elle criait, sans qu'il ne parvienne à comprendre ce qu'elle disait. Le major la retenait, l'empêchait d'avancer. Il suivit le regard de son amie et découvrit une sorte de cratère derrière eux. De l'autre côté gisait Jake, inerte et sur le point d'être rejoint par une nouvelle unité de l'Arche qui chargeait.

Avant qu'il n'ait pu éclaircir ses pensées, Chris sentit qu'on lui saisissait la main. Son regard plongea dans les yeux émeraudes de la renarde. Le visage de la jeune femme était couvert de poussière, ses cheveux en désordre, mais elle affichait un air décidé, presque héroïque. Elle le tira derrière elle.

— Jake ! criait encore Jess lorsque le duo arriva à sa hauteur.

L'audition de Chris lui revenait, sans se départir d'un sifflement.

— On ne peut plus rien pour lui, il faut fuir ! imposa Démétra. Si on peut trouver le hangar de la Patrouille, on pourrait...

Cette fois, il ne se laissa pas surprendre. Chris sentit une décharge d'adrénaline dans sa nuque, un flot important d'Énergie Stellaire se mettait en branle derrière lui. Du coin de l'œil, il distingua le canon d'une pièce d'artillerie au sommet d'un bâtiment voisin. Impossible d'arrêter le processus, trop loin et pas assez de temps !

— Nouveau tir, courrez ! hurla-t-il.

Lui-même fonça sans attendre les réactions de ses compagnons, au point de mettre quelques instants à s'aviser qu'il tenait toujours la main de la renarde, qu'il la tirait derrière lui. Tous deux furent déséquilibrés par l'impact du second tir et jetés contre la paroi métallique de l'engin vers lequel ils se dirigeaient. Ils s'en tiraient bien mieux cette fois, d'autant que Chris repéra Démétra et Jess qui se relevaient déjà quelques pas seulement derrière eux.

— Dans la cabine ! Montez ! cria Taller, une traînée de sang sur la tempe.

Au moins trois fois plus grande que les équivalents de son époque, l'énorme moissonneuse ne comportait pas moins de six rouleaux de front. Bien qu'automatisée, la machine possédait bel et bien une cabine que Chris repéra presque immédiatement, au beau milieu de la structure. Il poussa la renarde à s'agripper aux barreaux qui y menaient, puis invita le major à le précéder dès que celle-ci les eut rejoints. Jess arriva la dernière, les yeux embués de larmes.

— On le libérera ! s'entendit promettre Chris. Je te jure qu'on reviendra chercher Jake, mais on doit d'abord s'échapper !

La jeune femme hocha brièvement la tête et fit un pas en avant, puis ses yeux s'exorbitèrent. Elle tomba dans les bras de Chris, qui la réceptionna par réflexe en s'écroulant contre la carcasse de la moissonneuse.

— Jess ? Jess !

Lorsqu'il souleva le visage de la jeune femme, il découvrit que les yeux félins de celle-ci, immobiles, fixaient le ciel sans le voir. Une tâche rouge s'élargissait sur son abdomen.

Chris entendit un sifflement tout près de son oreille et baissa la tête en portant ses doigts au côté de son visage. Il les ramena avec de petites traces de sang. Le colonel Fisher émergea d'un écran de poussière, bras tendus. Il portait quelque chose, un petit appareil qu'il pointait droit vers lui.

Une arbalète ?

Lorsque l'officier supérieur pressa la détente, Chris fut surpris de se rendre compte qu'il tenait déjà une grande quantité d'Énergie Stellaire sous son contrôle. Envahi par la rage et la détresse, il laissa Jess glisser au sol et se redressa tout en érigeant un bouclier entre le militaire et lui. Le carreau traversa pourtant cette barrière comme si de rien n'était, le manqua de peu et frappa la paroi derrière le jeune homme avec un bruit d'impact métallique.

Comment ?!

— Cette arme est prévue pour affronter les monstres de ton espèce ! s'écria Fisher, qui rechargeait. Tu ne peux pas résister, c'est fini pour toi !

Enragé, Chris poussa sa protection inutile à avancer et renversa ainsi son vieil ennemi, qui ne vit rien venir. Il commença alors à avancer vers lui.

— Chris ! s'écria Taller derrière lui. Non, reviens !

Sa colère bouillonnait, le rendant incapable de penser à autre chose que l'expression incrédule plaquée à tout jamais sur le beau visage de Jess. Il continua à avancer, même lorsqu'une dizaine de soldats vinrent se poster aux côtés du colonel, tous équipés du même type d'arme que ce dernier.

Chris appela à lui toute l'Énergie Stellaire qu'il était capable de contrôler, pas seulement celle de l'appareil derrière lui, il y avait aussi celle de multiples autres dans les environs, y compris le canon d'artillerie qui avait bien failli le déchiqueter plus tôt. Il ne savait pas lui-même comment il s'y prenait, mais se sentait invincible. Lorsque ses yeux tombèrent sur sa main, déjà dressée devant lui, il se rendit compte qu'une autre se superposait à la sienne. Un membre ténébreux, l'ombre d'une personne. L'Ombre.

— Tirez ! Tuez-le ! hurla le colonel.

Le sol trembla. Les soldats s'écroulèrent, renversés comme des quilles. Chris lui-même décolla du sol, renvoyé en arrière. Il frappa la taule de la moissonneuse, mais entendit le choc sans le sentir, comme s'il concernait quelqu'un d'autre.

Lorsqu'il reprit pleinement ses esprits, le jeune homme était toujours adossé à la structure de l'engin agricole et à priori indemne. Quelque chose vint heurter ses pieds et il écarquilla les yeux : il s'agissait de la tête du colonel Fisher, bouche grande ouverte, yeux exorbités, cou tranché net juste au-dessus des épaules. Le tronc décapité du militaire se dégageait sur un monticule de terre, à quelques pas de lui. Les autres soldats se relevaient péniblement tout autour.

— Chris, Chris tu m'entends ?

Incapable de détacher les yeux de l'horreur, il lui fallut un moment pour réaliser qu'on le secouait par les épaules. Taller le fixait avec gravité.

— Ça y est, tu es de retour ? Vite, il faut partir !

Poussé contre l'échelle, le jeune homme rejoignit la cabine dans un état second. Il retrouva la renarde, callée dans un coin. Elle lui accorda un regard énigmatique tandis que le major s'imposait à son tour dans un espace étriqué.

Un flash de lumière détourna l'attention de Chris. Des projecteurs avaient été allumés sur plusieurs tours et braquées sur eux. Presque sans y penser, il s'intéressa aux réserves en énergie de la machine. Bien entamées, il en restait tout de même beaucoup.

J'ai pourtant provoqué un vrai cataclysme...

— Accrochez-vous où vous pouvez, ça va secouer ! annonça Taller en s'emparant des commandes.

Avec un grondement impressionnant, l'engin se mit en branle. Il accéléra continuellement, fonçant vers la zone la plus ténébreuse du dôme.

— Qu'est-ce que tu... souffla Chris.

— Ça va être violent ! lâcha le major entre ses dents serrées.

La paroi du dôme se rapprochait de plus en plus vite. Les herses de la moissonneuse s'élevèrent, bloquant le champ de vision du jeune homme tandis que la machine atteignait sa vitesse de pointe. Chris vit la renarde cramponnée à l'une des portières et l'imita avec l'autre.

Le choc fut assourdissant, un bruit de métal fracassé qui assomma Chris aussi sûrement qu'un choc derrière la tête. Toute la force de sa volonté ne suffit pas à l'empêcher de décoller. Il poussa un cri qu'il n'entendit jamais.

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