Chapitre 21 : Sauvetage (1/2)

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— Comment vont les Aigles ?

Dans la rame de monorail qui les menait au quartier de détention de la renarde, Chris dévisageait ses amis retrouvés, Jess et Jake. Par lâcheté, il avait repoussé cette question aussi longtemps que possible.

Ses deux anciens coéquipiers échangèrent un court regard avant de répondre.

— Après ton exploit, ils étaient finis, asséna finalement Jake. Sans toi, sans Lily, avec nos pépins physiques... sans compter que le public nous a complètement lâchés. En dépit des dénégations de la ligue, à leurs yeux on a triché, au mieux.

— Je suis vraiment désolé, se lamenta Chris. Je sais combien vous teniez à cette équipe... En plus, vous avez été arrêtés à cause de moi...

— On a vite été relâchés, oublie-ça, intervint une Jess tout sourire.

Les cheveux de la jeune femme avaient retrouvé leur teinte rose flashy, ce qui lui allait bien mieux.

— On a tous trouvé un petit boulot dans le civil, continua Jake. Et Jess a particulièrement bien tiré son épingle du jeu. Avec un petit coup de pouce de Lily, elle a obtenu un poste de journaliste politique. Elle s'est faite une place dans le milieu en temps record. Il faudra que tu lises l'article qu'elle a pondu sur...

— Elle se montre particulièrement critique des activités des Patrouilleurs, nota le major Taller en grimaçant.

— Ce n'est pas ma faute si vous vous montrez si opaques quant à vos activités ! rétorqua Jess.

Chris sourit, vraiment heureux de retrouver la Jess énergique et enjouée de son souvenir.

— Et toi, Jake, tu fais quoi maintenant ?

— J'ai d'abord passé quelques semaines dans une usine alimentaire, avec Quin, mais ce n’était vraiment pas mon truc. Et puis Jess m'a proposé un poste d'assistant technique, alors j'ai sauté sur l'occasion.

— C'est moi la cheffe, maintenant ! triompha la jeune femme.

En dépit de la bonne humeur qu'ils affichaient tous les deux, Chris repéra une forme de gêne dans l'atmosphère. Il sentait qu'ils ne lui disaient pas tout, mais avait du mal à mettre le doigt sur le problème. Ses deux amis se tenaient bizarrement à distance l'un de l'autre, ils évitaient de croiser leurs regards. L'explication finit par le frapper.

— Tous les deux, vous... Vous êtes ensemble ! s'écria-t-il.

S'il avait cru cela possible, le jeune homme aurait juré que Jake venait de rougir. En tous cas, l'ancien défenseur de mechaball détourna effectivement les yeux d'un air gêné, ce qui confirma ses doutes. Jess, elle, rayonnait.

— Ça s'est fait tout seul, expliqua-t-elle. Bon, j'ai dû le secouer un peu... il se trouvait trop vieux pour moi, n'importe quoi !

— Désolée d'interrompre ces confessions si touchantes, coupa Taller, mais nous sommes arrivés.

La rame s'immobilisa et le petit groupe débarqua sur le quai. Chris s'imprégna un instant des lieux. Il ne les avait quittés qu'une petite semaine auparavant, au terme de son entraînement.

Quelques recrues partageaient un instant de détente sur l'un des terrains de sport, mais sinon l'extérieur du complexe était désert. La zone carcérale et les casernements occupaient l'aile gauche de l'énorme bâtiment. De l'autre côté, de fines tours blanches s'extirpaient de la construction. Elles abritaient les laboratoires de recherche. Chris ne tenait pas à réfléchir au type de recherche justifiant leur présence à cet endroit précis.

Du centre de la structure s'élevait le pilier central, celui qui soutenait la voûte locale. Sans y avoir beaucoup traîné, Chris savait que le poste de commandement et les infrastructures techniques se concentraient dans ce coin.

J'espère que tout se passe bien du côté de Lily.

Leur séparation avait été difficile, mais elle lui avait assuré que tout irait bien. Qu'elle ne risquait rien. En tant que fille de général, assurait-elle, même prise sur le fait elle ne subirait pas de graves conséquences.

— On y va ! décida le major. On doit se rapprocher au maximum de la cible avant la coupure.

— Vous êtes sûre que ces agents de la Lumière du Renouveau nous attendent ? interrogea le jeune homme.

— Ce sont des soldats, ils sont naturellement dans leurs quartiers, rétorqua Taller en haussant les épaules. On leur livre la Sauvage et ils se chargeront de la faire sortir. Ne t’inquiète pas, leur tâche est beaucoup plus simple que la nôtre. Même s'ils ne sont probablement pas plus enchantés de l'accomplir que moi...

Chris ressentit une pointe de culpabilité. Pour faire face à ses états d'âme, il avait embarqué le major et des gens qu'il ne connaissait même pas dans une mission qui mettait leurs carrières — sinon leurs vies — en péril. À l'exception de Jess et Jake, qui s'étaient portés volontaires dès que Lily les avait contactés, ses autres alliés suivaient simplement les ordres du professeur Reinard.

Ce n'est pas le moment de penser à ça !

Le quatuor se dirigea vers une entrée secondaire. Le garde de faction, une jeune recrue, reconnut Chris. Il le vit dans son regard. Cependant, le soldat n'eut pas l'occasion de poser de question. Jess s'imposa au premier rang, badge de journaliste bien en évidence, et il n'eut pas d'autre choix que d'autoriser leur passage.

La jeune femme devait officiellement réaliser un reportage sur les conditions de détention des agitateurs politiques — en d'autres termes ceux qui s'opposaient au gouvernement de l'Arche. Il ne s'agissait que d'une excuse pour se rapprocher de la cellule de la renarde, mais la réalité de ce sujet intriguait Chris. Il s'était promis de chercher à en savoir plus à ce sujet dès qu'il en aurait l'occasion.

Le groupe s'engagea dans une série de couloirs éclairés faiblement par des racines de Lumineas, mais très familiers pour lui. Le jeune homme les avait parcourus quotidiennement durant les deux mois précédents. Ils venaient de pénétrer dans la zone de détention lorsqu'une sirène stridente résonna soudainement ! En réponse, le major Taller pressa le bouton d'activation de la porte la plus proche, sans obtenir de réponse.

— Lily a réussi ! salua Jake.

— La cellule de la renarde n'est pas juste à côté, tempéra Chris. Comment on va faire si les portes ne répondent plus ?

Le major dégagea alors trois objets de sa combinaison : une arme de poing, un petit objet métallique et enfin une sorte de cartouche ambrée. Le jeune homme reconnu immédiatement la dernière : une batterie Stellaire.

— Qu'est-ce que c'est ? demanda-t-il en désignant le petit appareillage.

— Une batterie pour P-44, indiqua Taller en y enclenchant la cartouche. Mais ça n'a pas d'importance, n'est-ce pas ?

À la mention du P-44, Chris se remémora ses enseignements tout frais de l'académie : une arme de type sniper, utilisée par les Gardes de la Cité. Cependant, l'intérêt du dispositif se trouvait effectivement ailleurs. Tâchant d'ignorer le léger mouvement de recul de ses amis, il fit appel à l'Énergie Stellaire libérée par la cartouche et la dirigea vers la porte voisine. Il aurait aimé alimenter proprement le système d'ouverture, mais n'avait aucune idée de la faisabilité de la chose. À défaut, il se contenta d'une option plus directe : expédier un boulet de canon contre le métal, qui ne résista pas longtemps.

Jake jura dans sa barbe lorsque le lourd battant partit en arrière. Jess, en revanche, se contenta de hocher la tête d'un air approbateur. Elle semblait accepter les talents particuliers de son ami sans le juger. Chris lui en fut particulièrement reconnaissant.

— On y va ! ordonna le major. Restez discrets, si on croise encore quelqu'un il faudra le neutraliser avant qu'il n'ait vu nos visages !

— Ton arme... commença Chris.

— Elle a une option paralysante, précisa Taller.

En progressant, ils croisèrent bel et bien la route de quelques recrues déboussolée. Le major ne leur laissa jamais l'occasion de s'approcher et Chris choisis d'ignorer les corps avachis en les dépassant. Il fit céder trois autres portes, dont l'une se révéla particulièrement résistante, avant d'atteindre enfin l'espace de sécurité maximale. Il ne restait plus beaucoup d'énergie dans la cartouche.

— On y est ! annonça Taller en se tournant vers lui.

Chris jeta un œil dans la cellule. La jeune Sauvage était à sa place, prostrée dans un recoin obscur. Jake s'imposa aux côtés du jeune homme.

— Elle a l'air dans un sale état. Tu es vraiment sûr de vouloir faire ça ?

Chris serra le poing, refusant de répondre.

Elle doit tenir.

Il convoqua un nouveau flux d'Énergie Stellaire et frappa la porte de plein fouet, l'arrachant de ses gonds. Cette fois, les réserves de la cartouche étaient vraiment épuisées.

La renarde ne remua même pas. Ce fut à peine si elle leva à peine la tête lorsque la lourde porte s'effondra. Chris s'approcha de la malheureuse, jeta un œil méfiant à la racine de Pikral qui ornait son cou, puis se baissa pour la saisir doucement par les épaules. Il la forçant à le regarder.

— On va te sortir de là, chuchota-t-il.

Au moins la Sauvage fronça-t-elle les sourcils, à défaut d'avoir une réaction plus sensible à cette déclaration.

— Il faut se dépêcher ! rappela Taller. Le courant peut être rétabli à tout moment. Si c'est le cas, nos visages seront visibles partout. On doit être de retour dans la zone non sécurisée avant !

Serrant les dents, Chris s'efforça de pousser la renarde à se lever, mais elle résista. Il lui restait un peu de force, finalement.

— Fais-moi confiance, insista-t-il.

Jake avança à son tour.

— Prend un bras, décida ce dernier.

Chris acquiesça et ils soulevèrent la jeune femme de concert. Avec sa petite taille et sa maigreur, la renarde pesait à peine plus qu'une enfant. Elle ne remua pas en se sentant soulevée du sol, mais le jeune homme la garda à l'œil.

Je ne serais pas étonné qu'elle me morde à la première occasion.

— On y va ! pressa le major tandis qu'ils s'extirpaient de la cellule. On doit faire le chemin à rebours, jusqu'à...

Elle fut interrompue par un changement net dans l'intonation de la sonnerie. La sirène stridente laissa place à un écho plus lent et grave.

— Qu'est-ce que... souffla Jess.

— Alarme d'évasion ! enragea Taller. Le courant est rétabli ! Ils ont été beaucoup trop rapides !

— On doit y aller ! réagit Jake en tirant vers la porte défoncée donnant sur le couloir voisin.

— Non ! intervint cependant le major en bloquant le passage.

Les autres la dévisagèrent et la militaire grimaça.

— L'alarme donnée, tous les soldats disponibles vont se diriger vers nous ! Et vous voulez aller vers les casernements avec elle ? Vous jeter dans la gueule du loup ?

— On la laisse là, alors ? On abandonne la Sauvage et on revient en arrière pour jouer l'innocence devant les gardes ? proposa Jess.

— Hors de question ! explosa Chris.

En dépit des circonstances, il ne pouvait toujours pas se résoudre à abandonner la renarde. Il sentit le regard de cette-dernière sur lui, mais celle-ci ne broncha pas.

— Il est trop tard pour ça de toute façon, fit remarquer le major d'un air dépité. Le courant est rétabli et il y a une caméra juste en face de la cellule, nos visages ont dû apparaître bien en évidence lorsque les écrans se sont rallumés.

— Alors on fait quoi ? rétorqua Jake. On attend de se faire arrêter ?

Taller fit le tour des lieux du regard, imitée par les autres. Un long couloir désert qui longeait les geôles, dont les seules issues donnaient vers la caserne. Ils étaient piégés !

— Il doit y avoir une bouche d'aération, non ? proposa Jess.

— L'aération est reliée au pilier central, contra le major. On s'éloignerait encore de la sortie !

— Vous voyez une autre solution ?

La militaire ne pondéra qu'un quart de seconde, puis partit au pas de course. Chris et Jake tirèrent la renarde à sa suite. Celle-ci s'accrochait à leurs épaules comme si elle avait peur de tomber... ou qu'ils ne la laissent sur place ?

Le major ne s'immobilisa qu'après avoir pratiquement atteint le bout du couloir. Il y avait une grille au plafond, la militaire touchait déjà les réglages de son arme et fit feu. Quelques tirs suffirent à détacher la plaque qui tomba en produisant un boucan de tous les diables. Jake laissa la Sauvage à Chris et fit la courte échelle à Démétra, qui se hissa la première. Quelques instants plus tard, ils étaient tous en haut, progressant à quatre pattes dans une obscurité presque complète.

— Ça schlingue, geignit Jess.

Elle avait raison. Chris s'abstint de tout commentaire, mais il sentait également sous ses doigts une humidité poisseuse. Il remarqua plusieurs embranchements en progressant, mais Taller — en tête — avançait sans marquer d'hésitation.

— Tu es sûre de savoir où tu vas ? demanda-t-il au bout d'un moment.

— Il faut monter, expliqua-t-elle. Ainsi, on atteindra le point central.

Leur lente avancée dura de longues minutes. Pendant tout ce temps, l'alarme ne cessa de résonner dans leurs oreilles. En quelques occasions, ils entendirent des voix ou des bruits de pas. Dans ces cas-là, Démétra imposait aux autres de s'immobiliser.

— Ici, aidez-moi à soulever la grille ! souffla enfin le major.

Autour de cette issue ils disposaient d'à peine plus d'espace, suffisamment cependant pour que Jess, Chris et Taller parviennent à tirer de concert sur la pièce métallique. Celle-ci finit se détacha lentement et ils la déplacèrent sur le côté.

— On pose à trois, sans bruit, imposa la militaire.

Au-dessous, Chris n'entendait rien d'autre que la sirène d'alarme. Il jeta un coup d'œil derrière lui, cherchant la renarde. La Sauvage lui rendit son regard, impassible. Ils se laissèrent glisser en bas l'un après l'autre.

— Où sommes-nous ? Questionna Jess.

— En bordure du pilier, répondit Taller. À deux pas du poste de commandement et de ses troupes d'élites, prêtes à nous cueillir comme des fruits mûrs. Il va être temps de songer à une ligne de défense...

La renarde, à nouveau appuyée contre lui, regardait Chris avec insistance. Il ne lut pas la peur dans ses yeux, pas plus que l'épuisement. Non, ce qui brillait dans son regard tenait davantage du défi.

— Il doit bien y avoir une issue qui ne soit pas bloquée ? insista-t-il.

— En haut ? proposa Jake.

L'ancien défenseur de mechaball s'attira les regards surpris de ses compagnons.

— Tu veux dire la surface ? rebondit Démétra. Le site est en mode de sûreté, les ascenseurs sont désactivés. De toute façon, il n'y a nulle-part où se cacher là-bas !

— J'ai travaillé quelques jours dans les fermes, répliqua Jake. Il y a des escaliers de secours. Par ailleurs, un garde m'a confié que la surveillance était très réduite dans les hangars de maintenance. Il avait dans l'idée de me faire participer à un traffic je crois... j'ai quitté mon poste le lendemain.

Le major fit mine d'hésiter, ce qui ne fut pas le cas de Jess.

— Va pour la surface ! J'ai toujours rêvé de voir le ciel en plus !

Elle brille toujours par son sens des priorités.

— Très bien, suivez-moi, lâcha une Taller fataliste.

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