Chapitre 2 : Escapade (2/2)

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À la hâte, le jeune homme effectua un rapide demi-tour. Une fine silhouette se détachait dans l'embrasure de la porte du bâtiment.

—Il n'y a pas de monorail à cette heure et je n'ai pas l'impression que tu puisses être validé, continua l'inconnu.

L'inconnue plutôt, cette voix était dure, mais assurément féminine. Si sa propriétaire ne semblait pas pressée de bouger, il en identifia vite la raison : elle s'appuyait sur des béquilles. Des objets tout à fait ordinaire, qui n'avaient rien de futuristes, mais cela prouvait-il quelque chose ? Un simple coup d'œil au-dessus de sa tête hurlait le contraire.

Chris se tourna vers l'un des tunnels à proximité. Il pourrait les atteindre bien avant que l'intruse ne puisse l'arrêter, mais l'idée de plonger dans ces ténèbres inconnues n'avait décidément rien d'engageante... d'autant qu'il ne savait toujours pas où il était.

Avec un profond soupir il fit revenir son siège vers l'entrée de l'institut, en profitant pour détailler celle qui l'attendait : une jeune femme, pas plus âgée que lui. Elle portait un pyjama identique à celui qu'il portait lui-même, il s'agissait donc sûrement d'une patiente. Élancée, probablement pas loin de sa propre taille, la tenue lâche dont elle était attifée ne parvenait pas à dissimuler un physique assez athlétique. Elle possédait des cheveux blonds, coupés courts : bien que libres, ils n'atteignaient pas ses épaules.

Arrivé au niveau du hall d'entrée, Chris s'immobilisa face à l'inconnue.

Bon, et maintenant ?

— Je me promenais, j'avais besoin de prendre l'air, affirma-t-il en s'efforçant de prendre un air décontracté.

Après-tout, il ne faisait effectivement rien de mal !

Réussissant l'exploit de se tenir bien droite en appuis sur des béquilles, la jeune femme le transperça du regard. Chris s'efforça de soutenir ce dernier, non sans remarquer la couleur peu ordinaire des yeux de l'inconnue : un violet très clair. Il n'en avait jamais vu de pareils.

— Qui es-tu ? reprit-elle au bout d'un moment. Je ne t'ai jamais vu ici... tu as déjà été au centre d'éducation physiologique ?

— Au quoi ?

Le visage de l'étrange jeune femme se durcit encore. Comment allait-il s'en sortir cette fois ?

— Désolé, je ne suis pas là depuis très longtemps. Je ne suis pas familier des lieux, se justifia-t-il précipitamment.

— Mais d'où tu sors toi ? Attends... tu veux dire que tu ne viens pas de l'Arche IV ?

— Pas exactement, non...

"L'arche IV", l'endroit où il se trouvait. Chris n'avait pas pu tirer beaucoup d'informations de ses visiteurs — ses examinateurs plutôt — mais avait au moins compris ça. Ce nom désignait une ville, ou un lieu...

Sa déclaration eut un effet inespéré sur l'attitude de son interlocutrice, qui se détendit visiblement.

— Un patrouilleur ? Oh, tu es un patrouilleur ? Désolée de m'être montrée un peu agressive, mais je t'ai suivi depuis là-haut et tu paraissais si... mais je comprends mieux. Les patrouilleurs ont souvent du mal à supporter l'enfermement. J'en connais quelques-uns, tu sais ? Une bonne amie à moi en fait partie. Mais j'oublie la base : moi c'est Lily, Lily Duverne.

S'il ne comprenait rien, Chris jugea plus prudent de ne pas gâcher l'élan d'enthousiasme de la jeune femme avec des contradictions. Par ailleurs, elle avait insisté sur son nom de famille, comme si elle attendait une réaction de sa part... mais laquelle ?

— Chris Martin, lâcha-t-il en tâchant de ne pas se montrer trop sur la défensive.

Lily ne sembla pas se formaliser de sa réaction timorée, elle hocha simplement la tête.

— Je vais te guider jusqu'au le centre. Si tu as pu sortir faire un tour, j'imagine que tu es sensé commencer ta rééducation ?

Sans attendre de réponse, elle repartait déjà en direction de l'ascenseur. Chris jeta un dernier regard vers l'extérieur, se mordit la lèvre, puis lui emboîta le pas.

— Qu'est-ce qui t'es arrivé pour finir dans ce fauteuil ? reprit Lily tandis qu'ils s'élevaient vers les étages supérieurs.

Chris fronça les sourcils. Il ne pouvait pas lui annoncer qu'il venait du passé, pas vrai ? Puis une idée s'imposa : si elle ignorait qui il était, il s'agissait peut-être de sa chance !

— En fait, je ne m'en souviens pas. J'ai été plongé dans le coma pendant un moment. J'ai émergé il y a trois jours seulement, ma mémoire est encore un véritable puzzle. En désordre et pleine de trous... un effet post-traumatique, ou quelque chose du genre...

En s'écoutant parler, Chris aurait voulu se frapper. Cette histoire-là était peut-être un peu grosse. Lily lui offrit pourtant un sourire compatissant :

— Ça explique ton comportement un peu étrange. Oh, désolée, ajouta-t-elle en s'empourprant légèrement. Mais c'est vrai que tu avais l'air un peu bizarre. Ne t’inquiète pas, tu es entre de bonnes mains ici. Les neuro-teks de l'Institut Haut-Cour font partis des meilleurs au monde. Ils vont vite te réparer.

Chris réprima un frisson.

"Neuro-teks" ? "Réparer" ?

— Qu'est-ce qui t'es arrivé, toi ? la relança-t-il de crainte de se trahir en creusant le sujet.

— Mes jambes ont été broyées, on m'en a donné de nouvelles, annonça-t-elle de manière évasive, comme si cela n'avait guère d'importance. Il parait que je m'adapte particulièrement bien, je devrais marcher normalement d'ici moins d'un mois.

Sous le choc, Chris ne put s'empêcher de fixer le bas du corps de la jeune femme. Les espèces de pantoufles qu'elle portait ne dissimulaient pas complètement ses chevilles, à priori tout à fait normales. La forme de ses jambes semblaient parfaitement ordinaire elle aussi, la forme des cuisses se détachant nettement. Rien qui laisse penser qu'il s'agisse de prothèses !

Un bip sonore interrompit son examen, ils étaient de retour au cinquième étage. Relevant les yeux, il croisa le regard de Lily et se sentit rougir, mais elle ne sembla pas offusquée de son étude pourtant bien trop invasive. Elle le devança dans le couloir et Chris la suivit... pour tomber nez à nez avec le professeur Reinard.

Le scientifique se tenait là, bien droit, les bras croisés, en compagnie d'un autre individu. À cet instant, une seule chose compta pour Chris : la combinaison d'un blanc immaculé, les bottes sombres et les gants gris portés par le compagnon du professeur. Sans pouvoir se l'expliquer, le jeune homme demeura un instant paralysé, incapable de réagir ni même de réfléchir.

— Oh, bonjour professeur, salua Lily mélodieusement.

Ces mots "brisèrent le sort" : Chris se secoua, reprenant conscience, sans comprendre ce qui lui était arrivé. Aussitôt, son regard fut attiré par la cage d'ascenseur qui se refermait. Trop tard pour faire demi-tour.

— La promenade était agréable ? questionna Reinard sur un ton tout à fait jovial.

Il s'adressait au jeune homme comme si rien ne sortait de l’ordinaire. Il lui souriait !

— Je pense qu'il est temps de regagner votre chambre, monsieur Martin, ajouta-t-il tout de même.

— Oh, je pensais lui montrer le centre d'éducation physiologique, intervint Lily.

— C'est bien aimable à vous, mademoiselle Duverne, mais notre jeune patient est encore faible. Vous l'y verrez sans doute dans les prochains jours.

La jeune femme acquiesça et se tourna brièvement vers Chris.

— Si ça ne te dérange pas, j'aimerais beaucoup poursuivre notre conversation plus tard. J'ai... on n’a pas souvent l'occasion de voir des étrangers ici.

— Bien sûr, répondit-il comme un automate.

La jeune femme n'était pas au centre de ses préoccupations immédiate. Lorsqu'il la reverrait, son mensonge par omission ne tiendrait plus cinq minutes de toute façon. Leurs relations ne seraient sans doute pas des plus harmonieuses.

L'inconnu aux côtés de Reinard fit un pas en avant, son visage ordinaire parfaitement inexpressif. Un homme d'une trentaine d'année, d'une stature plutôt sportive... et un holster contre la cuisse.

Dans quel guêpier me suis-je fourré ?

— Je te présente le lieutenant Yurian, reprit Reinard alors que Lily disparaissait derrière un angle des couloirs. Il veilleras sur toi, assurera le suivi de ton rétablissement corporel.

Par "veiller sur lui", il était clair qu'il s'agissait de le surveiller plutôt que de le protéger. Pour autant, Chris s'était attendu à pire.

— Je ne voulais pas... commença-t-il.

— Ne discutons pas de ça ici, coupa le scientifique. Retournons dans ta chambre, veux-tu ?

Chris acquiesça et laissa le professeur Reinard le guider, suivis en silence par Yurian. Arrivés à destination, le nouveau garde de Chris l'aida à retrouver son couchage tandis que le professeur se chargeait de réinstaller la perfusion.

— Ton exploration était intéressante ? questionna l'homme en blouse blanche d'un air entendu.

Chris étudia le visage de son interlocuteur sans y trouver les réponses qu'il cherchait. Reinard se comportait comme si rien ne s'était passé. Puis une idée lui vint :

Il m'aurait volontairement laissé sortir ? Pour que je vois par moi-même que ce monde n'est pas le mien ?

— J'ai une... nouvelle pour toi. Bonne ou mauvaise, je ne saurai en juger, reprit Reinard. Nous avons les résultats des tests effectués sur ton génome. Ils confirment ta version.

— Sur mon génome ? Que voulez-vous dire ?

Le professeur prit place dans le siège de la chambre, se caressant la barbe un instant.

— Tu dois savoir, reprit-il, que l'humanité a affronté beaucoup d'épreuves, subit des... évolutions marquantes depuis ton époque. Je ne vais pas te faire un exposé scientifique maintenant, mais j'imagine que ça a commencé avec les problèmes de fécondité.

— Ce problème existait au vingt et unième siècle, fit remarquer le jeune homme.

Il frissonna, se rendant compte qu'il acceptait de plus en plus naturellement l'idée d'être dans le futur.

— On parle ici d'une stérilité quasi-généralisée, précisa Reinard. Nous avons dû trouver un moyen d'assurer notre survie, ce moyen consiste en des gestations artificielles. Les profils génétiques des couples sont combinés en laboratoire, puis les embryons ainsi créés sont implantés. De générations en générations, nous en avons profité pour procéder à des altérations généralisées.

Chris le fixa sans en croire ses oreilles.

— Vous avez...

— Immunité contre des maladies, contre des dégénérescences... ce genre de choses. C'est là où je voulais en venir : nous ne trouvons pas ces modifications chez toi, Chris. Tu es... et bien, un individu tel qu'il n'y en a plus eu depuis des siècles.

Le jeune homme resta silencieux un moment.

Leurs incessantes séances de questions devraient cesser maintenant... mais ça ne répond pas aux miennes.

— Donc, selon vous, j'ai bel et bien voyagé dans le temps ? Cela signifie-t-il que vous en êtes capables aujourd'hui ? Quelqu'un de cette époque m'aurai amené ici ?

— Non, rétorqua catégoriquement Reinard. Hier comme aujourd'hui, l'espace-temps, la relativité... trop d'éléments à maîtriser, trop de limites. Des obstacles que nous n'avons toujours pas franchis. La tâche est d'autant plus ardue que les efforts scientifiques, encore aujourd'hui, doivent répondre à des besoins plus "essentiels".

— Qu'est-ce que vous voulez dire par là ? rebondit Chris.

Le professeur lui offrit un sourire contrit.

— Abrégeons sur ce sujet, veux-tu ? Tu ne ferais qu'allonger la liste de tes questions alors que tu as grand besoin de repos.

— Mais...

— Demain, trancha Reinard, le professeur Garner te mènera au planétarium. Il t'expliquera tout mieux que moi. L'important à retenir est qu'il n'y a jamais eu de voyage dans le temps, ni hier, ni aujourd'hui, trancha Reinard. Tu es un véritable mystère, Chris, le centre d'une attention qui te dépasse. Profite du calme qui t'es offert, tant que tu en as l'occasion.

Pour ne pas laisser davantage d'occasions au jeune homme de rétorquer, le professeur se redressa, prêt à partir.

— Le centre physiologique, qu'est-ce que c'est ? lança pourtant Chris avant qu'il ne franchisse la porte.

— L'endroit où tu réapprendras à contrôler ton corps. Tu y retrouveras mademoiselle Duverne.

Le professeur disparu après lui avoir adressé un ultime sourire énigmatique. Yurian lui emboîta le pas et la porte se referma sur lui. Cette fois, le boîtier voisin vira immédiatement au rouge, mais de toute façon Chris ne doutait pas que son gardien demeurerait devant la porte.

Il se laissa tomber sur son oreiller et resta là un moment, avachi, les yeux attachés à la racine au plafond sans la voir.

Je suis seul. Complètement seul. Dans le futur.

Il était également rincé. Les efforts fournis pendant son escapade l'avaient laissé sans la moindre force. Bercé par le doux ronronnement des appareillages qui l'entouraient, il bascula lentement dans un profond sommeil.

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