Chapitre 2 : Escapade (1/2)

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— Non, il n'y a pas de colosse de métal sur la place de l'Homme-de-Fer. Il y a un soldat en armure sur la façade d'une pharmacie, je crois que le nom vient de là. Sinon, c'est juste un carrefour de tramway, ajouta Chris sans cacher son agacement.

Le professeur Reinard hocha distraitement la tête en tapotant sur sa tablette. Son attitude faisait grincer des dents le jeune homme. 

Trois jours avaient passé depuis son éveil et, depuis, il subissait des interrogatoires sans discontinuer. Les questions portaient souvent sur Strasbourg, mais touchaient aussi des sujets plus généraux tels que la politique ou même la cuisine. L'homme en blouse blanche cherchait constamment à le piéger, bien souvent de manière ridicule, comme s'il ne connaissait pas du tout son sujet. D'autres fois, il posait des questions si pointues que Chris se trouvait bien incapable de répondre.

Le nombre exact d'habitants de l'agglomération ? La participation aux dernières présidentielles ? Qui connait ces chiffres de tête ?

Au fond, que ses hôtes se posent des questions, qu'ils cherchent à déterminer la véracité de son histoire semblait logique... si on partait du principe que la leur était véridique. Mais personne ne se souciait de le convaincre, lui !

Voyager dans le temps sans même en avoir conscience ? Mille ans dans le futur ? Et puis quoi encore ? On refusait qu'il quitte sa chambre, histoire de lui cacher que tout était normal dehors. Qu'il était simplement le sujet d'une expérience.

Mais pourquoi moi ? Impossible qu'on permette à des scientifiques de jouer ainsi avec l'équilibre mental d'un étudiant !

Ou alors, il ne s'agissait que d'un cauchemar ? Il l'avait espéré au début. À chaque fois qu'il se réveillait, il avait l'espoir de découvrir son studio universitaire. Cela durait depuis trop longtemps. Il lui fallait se rendre à l'évidence... il était bien coincé là, où et quand que soit ce "là".

— Nous en avons finis pour aujourd'hui, conclut Reinard en redressant enfin les yeux vers lui avant de se lever. Nous nous reverrons demain.

— Vous aviez promis de répondre à certaines de mes questions ! s'offusqua Chris.

— Bientôt, assura le professeur avec un sourire amical mais en se détournant aussitôt.

Tout en le regardant se diriger vers la porte, Chris serra les poings sous ses couvertures. Il aurait voulu se lever d'un bond, attraper par le col ce "professeur" et l'obliger à tenir ses promesses. Malheureusement, même s'il était libre de ses mouvements, débarrassé de la sangle qui l'immobilisait pendant son — soi-disant — coma, il demeurait incapable de s'opposer au scientifique.

Garner l'avait déclaré affaibli. Un bel euphémisme : le jeune homme ne tenait pas debout. Ses muscles semblaient atrophiés, le plus petit effort l'épuisait. Il devait lutter rien que pour se redresser dans son lit. On lui appliquait une sorte de traitement par intraveineuse, prétendument destiné à le renforcer, mais les effets tardaient à se faire sentir. Chris craignait qu'il ne s'agisse d'une sorte de drogue, destinée à le maintenir précisément dans cet état.

Je deviens complètement parano...

Tandis que la porte de sa chambre se fermait sur Reinard, le regard du jeune homme s'attarda paresseusement sur le boîtier à proximité du battant. La petite lumière verte allait basculer au rouge, signalant que l'ouverture était désormais verrouillée. Quoi qu'on lui dise, Chris était prisonnier de cette pièce ombrageuse, sans fenêtre ni le moindre interstice.

Il attendit quelques instants, puis fronça les sourcils. Le voyant demeurait vert, même une bonne minute après le départ de son visiteur.

Aurait-il oublié d'enclencher la sécurité ?

Chris n'hésita qu'un instant. Il avisa la chaise roulante qui reposait contre le mur voisin depuis le premier jour et tendit un bras tremblant. Au prix d'un effort bien trop intense pour un geste si simple, le jeune homme parvint tout de même à attraper la poignée et à ramener le siège à lui. Il retira ensuite précautionneusement l'aiguille insérée dans son bras, puis d'écarta les couvertures. Ses jambes tombèrent comme des masses lorsqu'il les fit basculer hors du lit. Assis face à sa cible, il inspira longuement.

Un peu de courage !

Pareille occasion ne se représenterait pas de sitôt. Juste un petit bond dans le vide.

Le jeune homme saisit la chaise et se laissa glisser. Il accueillit le contact avec le coussin sous lui avec un profond soupir de soulagement.

Sur l'un des accoudoirs se trouvait un bouton bleu, ainsi qu'une sorte de petit joystick. Il pressa le premier et un petit ronronnement répondit derrière lui. Il lança ensuite l'appareil en direction de la porte, qui coulissa automatiquement à son approche. Le jeune homme traversa le cadre à vitesse réduite, puis se pencha pour observer de part et d'autre du couloir qui se révéla désert.

Chris n'avait quitté la pièce qu'une seule fois auparavant, le jour où il avait émergé des limbes. Les professeurs Garner et Reinard l'avaient alors conduit jusqu'à une grande salle, où il avait dû s'introduire au cœur d'une machine qui avait la taille de sa chambre. Une sorte de scanner géant : un écran avait longuement gravité autour de lui avec de bips réguliers, s'attardant longuement au niveau de sa tête. Garner avait affirmé qu'il s'agissait d'une vérification de son équilibre cérébral. Mais comment serait-il possible d'analyser cela ?

La salle d'examen était sur la gauche, on est passés devant une pièce remplie de personnel... Mieux vaut tenter l'autre côté..., décida le jeune homme en activant son siège.

Cette chaise roulante avait une vitesse de pointe remarquable, Chris estima qu'elle elle pourrait allègrement rivaliser avec une bicyclette. Mieux valait éviter d'en tomber en marche. Tandis qu'il progressait, il s'attarda sur la large racine qui suivait le couloir avec lui. D'une épaisseur comparable à un tronc humain, la tige était solidement agrippée au plafond, voire fusionnée avec lui. Elle suivait parfaitement le tracé du couloir et constituait sa seule source d'éclairage, dégageant une lueur phosphorescente bleu-vert. En somme, les lieux se trouvaient baignés dans une obscurité crépusculaire.

« Lumineas », c'est ainsi que l'a nommé le professeur Garner, se souvint Chris.

Selon l'étrange individu, cette racine appartenait à une plante créée artificiellement. Une création inspirée par des formes de vie issues des profondeurs océaniques. Il s'agissait d'une source de lumière continue, sans besoins énergétiques. Sans nul doute une révolution écologique, mais bien loin de valoir de bonnes vieilles ampoules en termes de puissance.

Pour le reste, le couloir ne présentait rien de spécialement intéressant. Il ne s'agissait que de longs murs délavés, agrémentés de portes similaires à celle de sa chambre. À cet égard, les lieux se rapprochaient bel et bien d'un hôpital... ou, mieux, de l'image que Chris se faisait d'un centre secret de recherche militaire.

Après avoir progressé un moment, Chris déboucha sur une porte à double battant qui lui inspirait une sensation familière. Il y avait un boîtier sur le côté, muni d'un bouton.

Un ascenseur ?

Le jeune homme regarda derrière lui. À moins de tenter sa chance avec les portes ordinaires, il n'avait pas d'autre option. Il pressa ce qu'il estima être le bouton d'appel et un grondement sourd lui répondit. Le jeune homme demeura sur place avec appréhension jusqu'à ce que les battants s'ouvrent enfin. L'intérieur était tel qu'il avait espéré : un écriteau et un nouveau boitier muni de boutons numérotés. Enfin quelque chose de tout à fait ordinaire.

Chris s'approcha de l'affichage. Le texte n'était clairement pas en français. S'il se forçait à l'analyser, se concentrait dessus, Chris y voyait de l'anglais agrémenté de caractères en alphabet russe. Pourtant, s'il se contentait de "lire" sans réfléchir, le sens lui apparaissait naturellement.

Ce phénomène l'effrayait sans commune mesure. Qu'avait-il pu lui arriver pour qu'il soit capable de lire et de parler une langue qui n'était pas la sienne ? Tenté de fuir l'écriteau, il se força cependant à revenir dessus. La fonction de chaque étage était clairement désignée : une lumière brillait à côté du cinquième niveau, définit comme "l'aile de convalescence de longue durée". Le rez-de-chaussée se voyait attribuer le rôle de "hall d'entrée et salle des gardes". Si la seconde partie n'était pas engageante, la première valait tous les risques.

Lorsque les battants se rouvrirent, Chris découvrit une sorte de grand vestibule. Bien qu'il ne soit pas beaucoup mieux éclairé que le cinquième, des couloirs étaient visibles de chaque côté de sa position. Il se focalisa sur la grande porte vitrée qui lui faisait face. Une lueur d'un bleu profond s'en dégageait. Comme hypnotisé par cette dernière, le jeune homme s'empressa de se diriger vers elle. Les battants s'ouvrirent à son approche et Chris et il sentit un souffle d'air tiède et humide, étrangement dénué de parfum. Les roues du fauteuil sautillèrent lorsqu'il fut dehors, au contact d'un sol dur et irrégulier.

— Ce n'est pas possible ! explosa-t-il.

Il fit tourner son siège sur lui-même, à la recherche d'une ligne d'horizon. En vain : s'il se trouvait bien hors de la grande tour — surmontée d'un écriteau la désignant comme "l'Institut Haut-Cour" — où qu'il regarde il se heurtait à de grandes parois rocheuses après seulement quelques dizaines de mètres. Quant au ciel...

— Qu'est-ce que c'est que cette horreur ?

Une fleur gigantesque se déployait au-dessus de sa tête. Chacun des neuf pétales d'un bleu profond de cette espèce de marguerite géante avait les dimensions d'une maison ! En outre, le cœur de la plante titanesque brillait comme un petit soleil bleuté, au point que Chris dû rapidement détourner le regard.

Le temps de s'habituer à la luminosité plus importante, le jeune homme observa les longues rainures phosphorescentes qui grimpaient le long des parois de toute la cavité, telles une toile d'araignée centrée sur la base de la fleur.

Des racines... comme celles qui parcourent l'intérieur du bâtiment. Ce serait donc ça, la fleur ou le fruit du Lumineas ?

Le bâtiment qu'il venait de quitter occupait toute la longueur de cette énorme grotte. Dans le reste de l'espace, Chris ne trouva qu'une ligne collée au sol — qui se révéla être un rail unique — ainsi que deux tunnels de modestes dimensions et qui partaient de chaque côté. Ils s'enfonçaient dans des ténèbres peu attirantes, mais il ne semblait pas y avoir d'autre issue.

Si ce décor défiait toute rationalité, il refusait toujours la seule explication qui s'imposait dans son esprit.

Qui a pu créer un endroit pareil ? Les russes ? On est plus dans la guerre froide !

— Mais qu'est-ce que tu fiche là ? questionna une voix qui interrompit ses réflexions.

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