Chapitre 19 : Démonstration (2/2)

9 minutes de lecture

Chris s'assura que Taller suivait, puis entama l'ascension... et passa dans un autre monde ! À l'étage, une véritable salle de réception mondaine l'attendait. Il trouva pêle-mêle bar et serveurs, sièges et divans molletonnés, éclairage tamisé et chaleureux, tables garnies de mets délicats ou encore de coupes emplies de liquides aux couleurs exotiques. Le plus important restait cependant le groupe de personnages aux tenues luxueuses et bigarrées qui l'attendait.

— Mesdames et messieurs, voici notre petit génie ! annonça le colonel Fisher, apparut aux côtés de Chris pour lui poser une main caleuse sur l'épaule.

Il se comporte comme un père protecteur, constata le jeune homme avec dégoût. 

Le tonnerre d'applaudissement qui empli la salle détourna vite son attention. Sous le choc, il se laissa approcher par un premier groupe. Chris ne connaissait pas une personne sur dix dans cette assemblée, mais repéra quelques visages familiers : monsieur et madame Duverne, pour commencer, tous deux en tenue de soirée. Le professeur Garner de l'Institut Haut-Cour était également présent, dans l'une de ses tenues colorées complètement invraisemblables.

Le jeune homme dût saluer et échanger quelques mots de courtoisie avec une succession d'inconnus. Ils se présentaient, mais impossible de suivre le rythme effréné auquel se succédaient noms et postes.

Qu'est-ce qui se passe ici ? C'est quoi tout ça ?

Dès qu'on lui laissa un instant, le jeune homme balaya l'assemblée du regard à la recherche de Taller. Il la repéra à proximité du général Duverne et du colonel Fisher, qui semblaient partager une conversation animée. Chris ne put faire qu'un pas dans cette direction avant de se retrouver nez à nez avec deux magnifiques jeunes femmes.

Au second regard, il convenait déjà que "magnifique" était un terme assez pâle pour les décrire. Deux anges à la taille de guêpe et au sourire éclatant, voilà ce qu'elles étaient. Ces jeunes femmes rayonnaient dans leurs robes de soirées bleues et roses, taillées de sorte à ne laisser planer aucun mystère sur leurs charmes. La première, brune, possédait des yeux d'un bleu si transparent que Chris aurait pu s'y noyer. La tresse platine de la seconde glissait quant à elle avec élégance sur une épaule nue, puis jusqu'au creux de son opulente poitrine. Celle-ci étant du reste dévoilée par un décolleté qui défiait toute convenance.

Hypnotisé et la bouche pâteuse, Chris ne comprit pas la moitié des paroles qu'elles lui adressèrent. Les fixer dans les yeux demandait déjà un effort considérable.

— Tu ferais merveille dans la Garde de la Cité ! assurait la première. Avec toi, les derniers contestataires à l'ordre public se dépêcheraient de se mettre au pas.

— Ridicule ! contra l'autre. De tels talents... sa place est évidemment avec les Patrouilleurs ! À la surface, son savoir-faire pourra être mis à contribution pour...

Chris demeura complètement passif tandis que les deux jeunes femmes débattaient de l'utilité supérieure de l'un ou l'autre des corps de l'armée, à grand renfort de minauderies à son attention. Le jeune homme finit tout de même par remarquer que Taller, qui s'était rapprochée, ne le quittait pas des yeux. La soldate se tenait à l'écart de l'assistance, au garde à vous, comme si elle cherchait à se fondre dans le décor.

Après avoir bafouillé quelques mots d'excuse, Chris prétexta avoir besoin d'un verre et battit en retraite sans demander son reste. Les deux belles le regardèrent en souriant, l'air de penser qu'il avait dit quelque chose de drôle.

Je ne suis pas prêt pour affronter ça !

Tandis qu'il avançait vers le major, il sentait de nombreux regards braqués sur lui. Peut-être tous les regards. Préparé à un tête-à-tête avec un ou plusieurs officiers guindés, Chris ne s'était pas préparé à une plongée dans les élites de l'Arche.

Comment aurais-je pu me préparer à ça, de toute façon ?

— Alors, laquelle tu préfères ? souffla Taller dès qu'il fut assez près pour l'entendre.

— De quoi vous... oh !

Il suivit le regard de la militaire vers les oiseaux de proie aux serres desquels il venait d'échapper.

— Cecilia et Margaery, présenta le major, toujours à voix basse. Elles sont responsables de la communication entre leurs corps d'armée respectifs et la branche civile. On se demande pourquoi elles ont hérité de ce poste, n'est-ce pas ?

— Par pitié, pas un mot à Lily...

— Disons que tu me devras un service en échange, rétorqua la soldate en souriant. Prend mon bras.

Soupçonneux, Chris choisit de considérer cette invitation comme une bouée de sauvetage. Taller le guida plus à l'écart encore, dans un coin de la salle. Le général Duverne les y attendait.

Ai-je échappé à un danger mortel pour tomber sur un autre ?

Le major se dégagea et tourna le dos aux deux hommes, formant un bouclier entre eux et le reste de l'assistance.

— Beau travail Chris, salua le général. Alors, que pense-tu de cette petite réception en ton honneur ?

Le jeune homme jeta un œil à la ronde.

— Je suis pris au piège, n'est-ce pas ?

— Que veux-tu dire ?

— Je n'ai jamais eu de choix à faire. Je suis et resterai un atout dans votre jeu.

S'il ne l'aurait pas juré, le jeune homme crut voir de l'amusement pétiller dans les yeux de l'officier supérieur. Cela ne dura qu'un instant, cependant, avant que ce dernier ne reprenne son expression ferme habituelle.

— Qu'est-ce que vous avez prévu pour moi ? relança Chris, frappé par une soudaine lassitude. Je n'irais pas à l'académie ?

— Bien sûr que tu vas faire tes classes, le corrigea le général. Tu vas même rejoindre directement la section réservée aux futurs officiers.

Conscient que les choses ne s'arrêtaient pas là, le jeune homme dû attendre que le général achève une longue lampée du liquide violacé contenu dans sa coupe. Le militaire fit signe à un serveur, qui le délesta de cette dernière, avant d'enfin revenir sur Chris.

— Tu vas accomplir quelques missions, annonça-t-il.

— Quel genre de missions ?

— Tu le sauras en temps voulu. Dans un premier temps, tu vas demeurer sous terre. Tu as encore quantité de choses à apprendre sur les Arches et leurs habitants. Et je ne parle pas seulement du domaine militaire. Ma fille se chargera de te donner des enseignements complémentaires en privé. Cela devrait te convenir, n'est-ce pas ?

Duverne adressa au jeune homme un regard équivoque, devant lequel Chris eut bien du mal à ne pas se décomposer. Sélène était au courant de leur relation, mais Lily elle-même pensait que son père l'ignorait encore.

— J'entends que tu n'utilises pas tes "talents" sous le dôme, à moins d'une d'absolue nécessité, précisa encore le général. Tu dois gagner la confiance de ceux qui t'observent. Et ils seront nombreux. Ton unique but, dans un premier temps, est de devenir un citoyen modèle de l'Arche, c'est bien compris ?

Chris commença à hocher la tête, mais interrompit son geste presque aussitôt. Il eut une étrange sensation, comme s'il émergeait des brumes matinales.

— Pourquoi devrais-je vous obéir ? lança-t-il avec une pointe d’agressivité.

— Comment ?

Le militaire, qui avait semblé considérer l'entretien clos, revint sur lui sans cacher sa surprise.

— Qu'est-ce que j'ai à y gagner ? insista Chris. Troquer une cellule contre une autre, jouer les pantins, ça ne m'intéresse pas ! Si je dois vous...

— Attention à ne pas dépasser les bornes ! avertit froidement Duverne en le fusillant du regard. Si tu...

— Vous ne me renverrez pas en prison, contra le jeune homme.

Il s'agissait d'un énoncé de fait, rien de plus. Les choses lui semblaient soudain si claires, si évidentes...

— Je ne comprends pas tout, mais vous avez besoin de moi. Ça au moins c'est une certitude. En échange, il me semble que je suis en droit d'attendre quelque chose de votre part, non ? Je veux ma liberté !

— Ça suffit !

Bien que lancé, Chris parvint à contenir sa fougue. Il continua cependant d'affronter le regard du général. Ce dernier l'étudiait désormais avec des yeux glaciaux et calculateurs. Cet échange silencieux s'éternisa sans que l'un ou l'autre ne cède. Le jeune homme puisait tout le courage nécessaire dans la colère sourde qu'il sentait en lui. Il en avait plus qu'assez de subir la volonté des autres !

— Si tu te crois en position de force, tu es bien loin du compte, reprit Duverne sans la moindre trace de chaleur dans la voix. Je vais passer l'éponge pour cette fois, mais tu vas t'acquitter de ta tâche. Avec application !

Il marqua une hésitation, défiant Chris d'ouvrir la bouche.

— Je te promets que tu n'auras pas à le regretter, ajouta-t-il enfin.

Ces derniers mots ressemblaient beaucoup à une concession. En dépit du brasier qui le consumait de l'intérieur, Chris trouva assez de lucidité pour acquiescer cette fois.

— Je t'ai attribué un logement de qualité dans le centre, à proximité de l'académie, reprit le général. Le major t'y guidera bientôt, mais tu vas encore devoir tenir compagnie à cette assemblée un moment. Fais bonne figure, souris, répond à toutes les sollicitations. Mais veille également à ne prendre aucun engagement. Pour cela, n'hésites pas à jouer de ta jeunesse et de ton inexpérience pour ne pas froisser tes interlocuteurs. Il s'agit là de ta première leçon ainsi que d'une épreuve du feu.

— D'accord...

Je dois jouer les politiciens ? Il me lâche dans une arène pleine de fauves ?

Tandis que le militaire se tournait vers Taller pour lui glisser quelques mots, Chris tressaillit.

Mais qu'est-ce qui m'a pris ?

Avait-il vraiment tenu tête au général, un instant plus tôt ? Le jeune homme ouvrit la bouche, mais l'officier supérieur ne lui prêtait plus attention, il s'éloignait déjà. Comme s'il répondait à un signal, un vieil officier à la voix chevrotante alpagua aussitôt Chris pour vanter son expérience des pouvoirs des Sauvages, mettre en avant combien ses conseils pourraient être utiles. Duverne disparaissait dans la foule.

Chris ignorait combien de temps avait passé lorsque Taller l'exfiltra enfin. Il était lessivé, tant moralement que physiquement. Tous ces gens avaient quelque chose à demander, un conseil à donner ou des ambitions pour lui. Bien sûr, certains contacts avaient été plus agréables que d'autres : la manière directe des deux jolies filles, régulièrement revenues à la charge, demeurait plus agréable que les menaces à peine voilées du colonel Fisher. Il avait même rencontré une ou deux personnes qui semblaient réellement compatir à ce qu'il vivait.

Se tenant au bras de du major, la démarche peu sûre après quelques gorgées de trop destinées à satisfaire les "invités", le jeune homme la laissa l'éloigner peu à peu des festivités.

— Tu es complètement fou, murmura Taller tandis qu'ils s'engageaient dans le couloir menant à la salle inférieure. Défier le général comme ça, c'était...

— Je ne comprends pas ce qui m'est arrivé...

— Tu ne comprends pas ? C'est tout ? Et s'il avait pour de bon décidé de te renvoyer derrière les barreaux ? Ne crois pas que quelqu'un s'y serait opposé dans cette salle !

Chris cessa d'avancer, le temps de regarder en arrière.

— Une société égalitaire où chacun a son rôle à jouer, où chacun peut atteindre le sommet... Ce n'était qu'un écran de fumée, souffla-t-il.

— Tu as trop bu, réagit le major.

— Et toi, tu as bu quelque chose ? Avalé ne serait-ce qu'une bouchée ?

Ouvrant la bouche, Taller ne trouva visiblement pas de réponse qui la satisfasse.

— Non, car tu n'appartenais pas à cette assemblée, asséna Chris. Les Arches prétendent sauvegarder l'ancienne civilisation. Elles le font si bien qu'elles ont conservé cette forme d'élite indéboulonnable. Ces gens jouent à un jeu cruel et impitoyable, un jeu dans lequel le reste de la population se résume à des pions sur l'échiquier.

— Ton jugement est trop hâtif, trancha le major. Le général a raison lorsqu'il dit tu as encore beaucoup à découvrir sur nous. Mais on devrait vraiment y aller, si tu ne veux pas que l'un des membres de ton "élite" décide que finalement tu ne voulais pas partir...

Lorsque Chris se rendit compte que certains convives regardaient effectivement dans leur direction, il se pressa de repartir. Le duo atteignit ainsi la salle qui avait accueilli la démonstration de ses talents. Les cibles avaient été retirées, mais la renarde était toujours là, consciente mais avachie. Ses gardiens ne se pressaient pas de l'évacuer, ils bavardaient, riaient un verre à la main.

— Ses souffrances seront bientôt terminées, murmura Taller en suivant le regard du jeune homme.

— Que veux-tu dire ?

— J'ai entendu le colonel Fisher parler d'elle. Elle ne tient plus le coup et un nouveau spécimen est déjà en route. Elle sera éliminée dans trois jours.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Borghan ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0