Chapitre 18 : Leçon brutale (2/2)

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— "Mon Colonel", corrigea l’officier supérieur. Monsieur Martin, vous êtes dans le rang désormais. Ce sera donc "Mon Colonel" pour vous. Major, vous devriez peut-être commencer par lui apprendre le respect.

Quelques répliques cinglantes se disputaient dans l'esprit de Chris lorsque ses yeux s'arrêtèrent au second rang, derrière le détestable officier. La renarde se tenait là, avachie, encadrée par deux soldats qui la tenaient fermement par les bras. Leurs regards se croisèrent et celui de la Sauvage glissa sur la tenue qu'il portait.

Si l'expression du visage de la jeune femme ne changea pas, si elle se contenta de le fixer mollement, Chris ne sentit pas moins monter en lui un besoin impérieux de se justifier, d'expliquer qu'il n'avait pas eu le choix...

— Je vous ai apporté un petit cadeau, reprit le colonel en faisant signe aux soldats d'avancer.

— Qu'est-ce que vous lui avez fait ? s'exclama Chris, avant que le major Taller n'ait pu ouvrir la bouche.

Il rêvait de serrer le cou de ce petit homme, d'enfoncer ses doigts dans la peau de l'officier, creuser des sillons sur sa gorge. Il lui arracherait ces yeux froids, briserais... Pris de vertige, Chris chancela et se prit la tête entre les mains.

Qu'est-ce qui m'arrive ? D'où me viennent ces images horribles ?

— Eh bien, que vous arrive-t-il monsieur Martin ? ricana le colonel. Je ne pensais pas vous faire tant d'effet.

— Pourquoi avoir ramené la Sauvage ? intervint le major Taller tout en posant une main apaisante sur l'épaule du jeune homme.

— Monsieur Martin pourrait passer des semaines à fixer béatement ce bouclier sans obtenir de résultat. Il me semble que cette chose pourrait lui servir de modèle. Peut-être même de motivation. Si vous les aviez vus, tous les deux, à partager leurs repas en cellule... c'était très mignon. 

Chris fut traversé par un frisson glacial. 

— Vous... vous songez à la libérer ? s'étrangla le major. C'est beaucoup trop dangereux !

— Allons donc, cette zone est isolée, contra l'officier supérieur. Les batteries qu'on vous a fournies sont protégée de l'influence des sauvages tant qu'elles ne sont pas activées, par ailleurs il n'y a aucune autre source à moins d'une centaine de mètres. Aucun des leurs ne parvient à canaliser moitié aussi loin.

— Mais...

— Major, dois-je vous rappeler votre rang à vous aussi ?

— Non, Mon Colonel.

Chris suivit du regard la renarde, menée à quelques mètres de lui. Les yeux de la jeune femme partaient désormais dans toutes les directions. Elle avait l'air plus folle que désorientée.

— Monsieur Martin ?

Le jeune homme revint sur le colonel, qui l'observait attentivement.

— Comme je le disais, nous allons libérer la Sauvage. Vous pouvez être certain qu'elle utilisera la puissance contenue dans ce générateur dans la seconde qui suivra, gardez les yeux grands ouverts.

Chris hocha la tête à contrecœur tandis que l'un des gardiens de la renarde la libérait de sa racine de Pikral. À peine le piston de la seringue enfoncé, les deux soldats reculèrent hâtivement, sans même prendre le temps de retirer l'outil. Chris sentit la tension de Taller, à ses côtés. Elle retenait sa respiration.

Rien ne se produisit. La renarde maintint ses yeux fixés sur le sol, sans bouger.

— Que se passe-t-il ? Secouez-la un peu ! s'énerva le colonel.

Les gardes échangèrent un regard, puis tout s'enchaîna. Lorsque le premier arriva à sa portée, la rouquine chétive et d'une maigreur extrême se redressa avec une vivacité insoupçonnée. Elle griffa le premier de ses geôliers au visage, puis attaqua l'autre, qu'elle mordit au bras au point de lui arracher un hurlement. Le regard de la sauvageonne se braqua tout aussi soudainement sur Chris.

Le bouclier s'évapora. Il ne s'agissait pas d'un déplacement, comme lorsque le colonel le manipulait, il disparut tout bonnement, comme s'il n'avait jamais été là ! En revanche, la pression formidable qui heurta le bas ventre de Chris était bien réelle. Plié en deux, le souffle coupé, il sentit qu'on lui agrippait les cheveux. Quelque chose de dur vint lui enserrer la gorge et un souffle chaud balaya son visage. Il découvrit des yeux exorbités à quelques centimètres des siens. Il n'arrivait plus à respirer.

La pression sur sa trachée disparut presque aussitôt, remplacée par un poids mort qui l'entraîna au sol. Il lui fallut un instant pour comprendre qu'il s'agissait du corps inerte de la renarde. Taller les dominait tous deux, une matraque à la main.

— Ça va aller ? questionna-t-elle en se baissant pour l'aider à se dégager.

Chris voulut acquiescer en se redressant, mais étouffa un gémissement. Il avait toujours le souffle court et ses côtes lui faisaient un mal de chien ! Il suivit le regard du major sur son abdomen et constata que son uniforme était en sale état. Le tissu avait été déchiré, une sorte de plastique intégré à la combinaison était enfoncé.

— Les uniformes de l'armées sont constitués d'un polymère particulier, avec des renforts là où il n'y a pas d'articulations, expliqua la soldate. Il s'agit de l'équivalent d'un gilet pare-balle, qu'elle a démoli aussi facilement que s'il ne s'agissait d'un bout de carton. Tu sais maintenant de quoi sont capables les Sauvages. Et pourquoi ils sont tellement craints...

Le major fixa le colonel qui approchait en serrant les dents. Si elle ne cherchait pas à cacher sa désapprobation quant à cette "leçon", elle se garda cependant de le faire savoir à haute voix.

Sans la protection de mon uniforme, ce choc à lui seul aurait probablement été fatal, réalisa Chris.

Il était passé à deux doigts de la mort sans même s'en rendre compte !

— Intéressant, entendit-il commenter. Cette chose pouvait nous attaquer, le major ou moi. Elle aurait aussi pu finir le travail avec les deux autres, au vu de leurs réflexes déplorables. Elle a pourtant choisi d'utiliser toutes ses forces contre lui...

Un soldat annonça que les réserves du générateur de bouclier étaient vides, sans que personne ne lui prête attention.

— Alors, mon garçon, as-tu vu quelque chose d'utile ? questionna Fisher sur un air paternaliste.

Luttant contre l'envie de lui mettre son poing dans la figure, Chris s'efforça de se concentrer. Ses yeux se tournèrent vers le corps immobile de la Sauvage et des bribes d'images lui revinrent. Un flash apparu de nulle part, une sorte de boule lumineuse juste devant lui. Lorsque c'était arrivé, la rouquine lui fonçait déjà dessus.

— Je crois...

Il reprit son souffle.

— Elle n'a pas manœuvré l'énergie, comme vous l'avez fait avec vos machines, annonça-t-il. Elle l'a invoquée d'un coup. Le bouclier a disparu, puis ensuite...

Le jeune homme entendit une petite plainte. La renarde bougeait déjà et les deux gardes s'empressèrent de la ceinturer. Le colonel Fisher se tapota les lèvres, puis afficha un sourire sans chaleur.

— Peut-être faudrait-il renouveler l'expérience ? Pour mieux voir ?

Chris fut pris d'une quinte de toux.

Il veut ma mort !

En dépit de ses objections — et de celles du major —, quelques instants plus tard la scène se répétait. La renarde fut maintenue à quelques mètres de Chris. La racine de Pikral avait repris sa place sur son coup, ce qui ne l'empêchait pas de le regarder fixement, avec un léger sourire sur les lèvres. Elle savait ce qui se passait, ce qui allait arriver. Elle était prête. Était-il le seul à le voir ?

Sur ordre du colonel, Taller installa une nouvelle charge énergétique dans le moteur et l'activa. L'écran brillant se déploya sous les yeux du jeune homme.

— Bon sang, elle va me tuer ! s'écria Chris.

Taller fit mine de bouger, mais s'immobilisa lorsque le colonel secoua la tête. Le jeune homme était seul face à celle qui allait lui ôter la vie.

Il faut que je trouve quelque chose, un moyen de m'en sortir, vite !

« Concentre puis relâche »

Ces mots s'imposèrent dans son esprit. Il pensa aussitôt à l'Ombre, mais la voix ne collait pas. Le timbre de l'Ombre semblait jeune et empli d'arrogance. Cette voix contenait au contraire la gravité prodiguée par une vie pleine. D'où qu'ils lui viennent, ces termes lui paraissaient extrêmement familiers. Chris avait l'impression de les avoir entendus encore et encore, comme une de ces maximes pour les enfants.

Un soldat venait d'insérer une seringue dans la racine de Pikral de la renarde. Le bouclier d'énergie s'évapora aussitôt, retournant au néant.

Non, il n'a pas disparu.

Il percevait toujours des éclats, comme des flocons de neiges convergeant depuis l'endroit où s'était dressé l'écran d'énergie. Ils se rassemblaient en un point précis, devant lui, presque à portée de main.

« Concentre »

Au travers de ces espèces de lucioles, il voyait la Sauvage courir vers lui. Les étincelles de lumière s'agitèrent.

« Relâche »

— Non ! hurla-t-il en tendant le bras, cherchant à saisir l'objet en formation.

Ses doigts trouvèrent quelque chose de matériel et il s'y accrocha fermement. Il poussa, pour repousser l'attaque en préparation. Chris capta le regard de la Renarde, qui écarquillait les yeux de stupeur. Elle se reprit vite et se jeta de plus belle dans sa direction.

Chris eut l'impression d'avoir heurté un autocar. Il décolla du sol et s'écrasa plusieurs mètres en arrière. Il se redressa presque aussitôt, légèrement endoloris, mais miraculeusement indemne. Cherchant la renarde des yeux, il la trouva déjà immobilisée par les soldats.

— Vous apprenez vite, monsieur Martin ! exulta le colonel. J'étais sûr qu'un peu de stimulation vous ferait du bien !

Le jeune homme secoua la tête.

— Que s'est-il passé ?

— Tu as valsé mais, de son côté, la Sauvage a été stoppée net elle aussi. À peu près là où tu te trouvais, expliqua Taller en le rejoignant. C'était comme si elle avait frappé un obstacle. Qu'est-ce que tu as fait ?

Je voulais que cette énergie s'arrête, qu'elle ne me frappe pas, alors... une partie est restée sur place ?

Le cœur battant, il se releva le cerveau en ébullition. Il pouvait contrôler ces fichues lucioles ! Essuyant quelques gouttes de sang aux commissures de ses lèvres, il ne put retenir un sourire.

— On réessaye ?

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