Chapitre 4 : L'élu

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Selon les explications fournies par le professeur Reinard, le centre d'éducation physiologique n'était rien d'autre qu'un site de rééducation. À quoi ce genre d'endroit pouvait-il ressembler à cette époque ?

Avec un mélange d'impatience et d'appréhension, Chris s'y rendit dès le lendemain de sa première visite au planétarium, en la seule compagnie de Yurian. Cet endroit se situait dans une aile du quatrième étage, ou du moins était-ce ainsi que le soldat présenta les choses au jeune homme.

— Mais on est plus dans le bâtiment là ! s'exclama Chris en franchissant les portes.

Devant eux s'étendait une large cavité. Sans être comparable avec "l'extérieur" découvert par Chris le lendemain de son réveil, cette grotte approchait de la taille d'un terrain de football. Un espace presque désert, éclairé par les habituelles veines bleu-vert des racines de Lumineas sur la voûte. Il ne repéra que deux personnes, qui semblaient faire un footing. De légers reflets au fond de la cavité indiquaient la présence d'un point d'eau.

— L'Institut possède l'unique accès à cette cavité, expliqua Yurian. On ne se contente pas de réapprendre à marcher, ceux qui sortent de ce centre doivent retrouver le sommet de leur forme. C'est particulièrement vrai pour les militaires. Suis-moi.

Le garde désigna une porte une petite construction perdue au cœur de cet espace ouvert. Elle évoquait chez Chris l'image d'un préfabriqué. Une fois l'intérieur, il ne trouva qu'une chose : une table de torture. Un lit muni de sangles et entouré par des mécanismes abscons au premier abord.

Comme le jeune homme faisait mine d'hésiter à prendre la fuite, il entendit Yurian ricaner.

— Je ne vais pas te mentir, ce qui t'attend est aussi douloureux que ça en a l'air. Je suis passé par là. Viens, je vais t'aider à t'installer.

Le compagnon de Chris l'aida à s'extirper de son fauteuil et à s'allonger avant de sangler chacun de ses membres. Ainsi installé, il ne pouvait même plus se redresser. Yurian alla ensuite pianoter sur un tableau derrière la tête du jeune homme, qui ne pouvait même pas observer son gardien. Chris ne fut pas rassuré de voir des bras articulés se déployer et saisir chacun de ses membres.

— On t'a injecté des A-23, expliqua le garde. Ce sont des micro-organismes synthétiques, leur rôle est booster la régénération des cellules et de nourrir les muscles. Mais il n'y a pas de miracles : si tu restes immobile et détendu, tu seras coincé dans cette chaise pour le restant de ta vie ! Il faut faire travailler son corps pour que les A-23 puissent pleinement accomplir leur œuvre.

Avant que Chris n'ait pu poser toutes les questions qui lui venaient, les machines se mirent en action. Des vibrations remontèrent de l'extrémité de ses bras et de ses jambes. La sensation qui commença par un fourmillement s'intensifia de plus en plus.

En sortant de sa première expérience dans ce que Yurian nommait "l'engin du mort-vivant", Chris avait compris pourquoi cette installation avait été placée dans un bâtiment à part. L’endroit devait être insonorisé, pour éviter que les cris de la victime ne dérangent les autres patients.

Cette expérience le laissa dans un état second. Il ne garda aucun souvenir séparant le moment où son compagnon le libéra et celui où il revint à lui, dans son lit. Peut-être avait-il fini par perdre conscience pour de bon. Chacun de ses muscles le tenaillait et des perfusions lui avaient été implantés dans chaque bras, cuisses et mollets désormais !

— Même si ça prend plus de temps, je préférerai la méthode douce, souffla Chris.

Yurian lui sourit, un sourire froid qui fit frissonner le jeune homme.

— Désolé mon gars, mais on y retourne dès cet après-midi. On m'a laissé carte-blanche pour te remettre sur pied au plus vite, tu vas avoir droit au régime militaire !

Le sommeil fut difficile à trouver ce soir-là. Le jeune homme en arrivait à douter des intentions de son tortionnaire, peut-être voulait-il le tuer pour de bon ? Mais le lendemain, la douleur avait presque disparu. Plus important, il avait des sensations accrues dans ses membres.

Au prix d'une âpre négociation, Chris obtint de consacrer une journée à une visite du planétarium. Le professeur Garner avait tenu parole et lui avait fait parvenir un badge d'accès à la banque de donnée, tant manuscrite qu'holographique. Dès qu'il eut commencé à se plonger dans l'Histoire des Arches, Chris se déconnecta totalement du monde réel.

Retranchée sous terre, l'humanité avait lutté sur deux fronts : s'adapter à son nouveau mode de vie et rechercher un moyen de regagner la surface. Rapidement, le premier semblait avoir pris le pas sur le second. Les découvertes marquantes se plaçaient ainsi dans le domaine biologique, voir végétal, avec la création de plantes "utiles" comme le Lumineas. Fruit de près d'un siècle de recherche, un bouclier avait également été mis au point pour tenir à distance la radiation stellaire, assurant la pérennité des Arches.

Tous les sites n'avaient cependant pas rencontré un succès égal. Sur les cent-vingt initialement créés, seuls quarante-huit existaient toujours. La plupart des autres avaient périclité dans les premières années de "l'exil", comme les survivants nommaient leur condition.

Les heures passèrent sans que Chris ne s'en rende compte.

Face à une projection holographique de la planète telle au trente-deuxième siècle, Chris ne put retenir un soupir.

— À mon époque, on craignait le réchauffement climatique et la déforestation. Débarrassée de nous, la planète va très bien !

La planète bleue dégageait une forte prédominance de vert. La végétation avait gagné la majeure partie des continents eurasiatiques et américains. Seule l'Afrique demeurait dominée par le jaune.

— Tu préfèrerai peut-être vivre dans une cabane perchée dans les arbres ? réagit Yurian.

— Je ne suis pas claustrophobe, mais ça pourrait être sympa oui...

Le garde lui adressa un regard étrange, mais Chris ne s'en formalisa pas. Cet homme avait parfois d'étranges réactions, sans doute en était-il lui-même la cause : il avait tant à découvrir sur ce nouveau monde.

Manœuvrant comme Yurian le lui avait enseigné, le jeune homme chercha à obtenir des informations sur la faune européenne. Un message d'erreur apparu et il retint un juron. Ce résultat revenait régulièrement. L'ordinateur lui refusait certaines informations. De manière générale, il n'obtenait presque rien qui concerne directement la surface ou la fameuse Pierre du Renouveau.

— Franchement, qu'est-ce qu'il y a de top secret concernant d’éventuels animaux survivants ? questionna -t-il à voix haute.

Naturellement, Yurian ne répondit pas, ce qui arracha un nouveau soupir au jeune homme. Le soldat appliquait ses consignes à la lettre : « Si le professeur a estimé que cette information n'est pas essentielle, je n'ai pas à remettre son avis en question. » répétait-il.

— Bon, ça suffit pour aujourd'hui. Retournons à la chambre, abdiqua Chris.

À peine arrivés au cinquième étage, une voix résonna depuis l'extérieur de l'ascenseur :

— Ah, te voilà enfin toi !

Lily se tenait là, les bras croisés et la mine renfrognée. Il ne l'avait pas revue depuis sa petite escapade.

— Je suis passé dans ta chambre cinq fois ce matin, où étais-tu passé ? continua-t-elle. Bon, on a encore le temps. Lieutenant ?

— Oui, mademoiselle ?

Chris remarqua alors que Yurian se tenait bien droit, une attitude qu'il avait délaissé en sa seule présence.

— Je souhaiterai me promener seule avec lui, pourriez-vous attendre ici ? questionna Lily.

— Les ordres... répliqua le soldat.

— Vous savez que je suis ?

— Oui, mademoiselle. Comme il vous plaira, mademoiselle.

Le regard de Chris allait de l'un à l'autre, incrédule. Lily se propulsa en avant à l'aide de ses béquilles, passant devant lui pour se placer au centre de l'ascenseur. Le jeune homme jeta un dernier coup d'œil du côté de Yurian, qui descendit calmement de la cabine, affichant à nouveau ce masque inexpressif dont il usait face à des personnes dignes d'intérêt. Tout le monde sauf Chris, semblait-il.

Les portes se refermèrent sur les deux jeunes gens.

— Comment se fait-il que Yurian t'obéisse ? lâcha Chris.

— Mon père est le Général de la Garde de la cité.

En répondant, la jeune femme le fixa intensément. Visiblement, ce qu'elle lut sur son visage fut satisfaisant car elle triompha :

— Tu ne sais même pas ce qu'est la Garde de la cité, pas vrai ? Alors c'était vrai... tu t'es bien moqué de moi !

La conversation échappait à Chris, qui avait l'impression de réfléchir au ralenti.

— Tu es au courant pour... je veux dire... marmonna-t-il.

— Tu prétends venir du passé. En tous cas, tu ne sembles rien savoir de notre monde et possède un génome unique en son genre. Comme tu le vois, j'ai fait mon enquête. Tu as accepté la réalité maintenant ?

Tout en parlant, Lily pianotait sur les commandes de l'ascenseur, puis elle dégaina un badge avant que la structure ne consente à se mouvoir.

— Quelle réalité ? Où allons-nous ? gémit Chris.

— Ceci est le badge de ce bon professeur Reinard, triompha Lily en brandissant la carte sous le nez du jeune homme. Ça a été tellement facile de la lui prendre... je t'emmène voir quelque chose que la plupart des habitants du quatre n'ont jamais vu. Ça devrait te plaire, peut-être te mettre les idées en place également.

La plateforme s'immobilisa, puis les battants s'ouvrirent en laissant paraître une pâle lueur orangée. Chris oublia aussitôt tout le reste et activa son siège pour se propulser contre la balustrade qui s'ouvrait devant eux.

Le ciel ! Le soleil couchant ! Il était à la surface !

Il vit pourtant qu'il y avait quelque chose qui clochait. L'horizon était flouté, la couleur rougeoyante n'était pas le seul fait de la descente de l'astre. Et il n'y avait pas un souffle de vent. La chaleur humide était pratiquement la même que sous terre.

— Nous sommes... sous un dôme ? comprit-il.

Une demi-sphère gigantesque, soutenue par un pilier central d'une bonne centaine de mètres de haut.

— Il nous protège des radiations de la Pierre, confirma Lily qui arrivait derrière lui. Le prix à payer pour retrouver la surface.

Chris porta son regard vers le sol, découvrant une sorte de petit village agricole. Quelques dizaines de bâtisses de deux ou trois étage grand maximum. Quelques hangars. L'essentiel du terrain en vue était occupé par des cultures qui affichaient une myriade de couleurs, de l'ocre au rouge vif. De grosses machines traversaient les champs, mais il ne voyait pas âme qui vive. Les gens préféraient-ils vraiment vivre sous terre ? Ou ce bouclier était-il imparfait ?

— Pourquoi me montrer ça ?

La jeune femme sembla hésiter.

— Je pense... si j'avais toujours vécu à la surface, j’aurais aimé venir ici. Pour réaliser pleinement où je me trouve, quelque chose comme ça...

Elle approcha de la rambarde et se hissa sur le rebord. Tournée vers lui, elle afficha soudain un sourire espiègle.

— Bon, je voulais surtout te parler sans risque qu'on soit dérangés ou espionnés. Tu as une idée de comment tu es arrivé ici ? À cette époque, je veux dire ?

Par-delà le dôme, Chris devinait des arbres. Une forêt, tout autour d'eux.

— Mon dernier souvenir remonte à la nuit de la catastrophe, répondit-il en haussant les épaules. Avant l'impact, je précise.

— Tu veux dire la chute de la Pierre ? Alors c'est vrai...

— Quoi ?

La jeune femme se mordit la lèvre avant de répondre :

— À ton époque, on croyait en Dieu, pas vrai ?

— Il y a toujours eu différentes religions, certaines avec des dizaines de divinités... ce n'est plus le cas ?

— Les anciennes "superstitions" ont été bannies au début du Renouveau. Le rationalisme a été érigé en nouvel idéal, promu par les gouvernements militaires établis avec la fondation des Arches.

Chris fronça les sourcils.

— J'entends constamment parler de l'armée, mais quelle est sa raison d'être ? Je veux dire, ce n'est pas comme si vous alliez partir en guerre. Contre qui combattriez-vous ?

— Nous-même. Plusieurs Arches se sont écroulées juste parce que leur sa population s'est rebellée. Trois Ordres composent notre société et se partagent le pouvoir politique. L'un est civil et démocratique, les deux autres militaires, au mérite donc : ce sont les Gardes de la Cité, responsables du maintien de l'ordre dans les Arches, et les Patrouilleurs. La tâche de ces derniers est assez mystérieuse, ils sont régulièrement envoyés en missions secrètes à la surface.

En somme, conclut Chris, les soldats avaient la mainmise sur le pouvoir politique.

— Quel rapport avec moi ?

— Tu ne dois parler de ça à personne, mais en dépit de tout ce que je viens de te dire une... légende persiste. Elle dit qu'un jour viendrait un homme ancien qui ramènerait l'équilibre et restaurerait le monde tel qu'il fut.

Sur ces mots, elle se tut en le fixant avec gravité.

— Un « homme ancien » ? Tu ne penses pas sérieusement à ?...

Abasourdi, consterné, Chris ouvrit la bouche pour rétorquer, mais les mots lui échappaient. Cette histoire était démente ! On ne pouvait pas sérieusement s'attendre à ce qu'il change le monde ? Il dû se contenter de secouer la tête.

Voilà qu'on me prend pour Anakin Skywalker !

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