Chapitre 16 : Agnus Dei

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Stana, accroupie sur le bord, la tête penchée au-dessus de l’eau, peinait à reprendre sa respiration, visiblement fatiguée par l’effort. Grimaçante d’effroi par l’acte commis, à l'instant, sur son ex-femme, elle se redressa difficilement, handicapée par un état second qui lui tournait la tête. À peine debout, elle recula légèrement pour s’écarter de son méfait. La brunette essaya de retrouver son calme en se concentrant sur son environnement. Postée entre une bite d’amarrage et un pilier de connexion d’énergie blanc et bleu, elle ferma les yeux. À la première écoute, seul le bruit étouffé des baffes de musique et le son d’un clocher lointain, effleurèrent son pavillon auriculaire. Tournant la tête de gauche à droite pour détendre son cou, elle poussa plus loin sa recherche relaxante. S’offrit alors à la jeune femme, un véritable panthéon musical de la divinité marine : les poupes des yachts, amarrés tout près, heurtaient le bord du ponton avec fracas, soufflés par le vent. Le bruit des haubans qui claquaient sur les mats relayés de part et d’autre par le cri des mouettes transcendant le ciel. De petits poissons matinaux ondulaient en harmonie à la surface, créant des sillons de vagues perceptibles. Tout ce petit monde s’orbitait autour de l’odeur hypnotisante des embruns.

Cette thérapie improvisée lui permit de se mouvoir à nouveau. La jeune femme rouvrit ses yeux, se retourna et s’approcha du tueur, tout en retirant sa perruque rousse.

- Ça y est, j’ai fait ce que tu m’as dit, où est ma fille ? exigea-t-elle, avide de réponses.

– Ah Stana, ma grande, un peu de patience, on peut discuter un peu quand même, non ? Rattraper le temps perdu. Tu t’es blessée, je vois une entaille à ton doigt, tu veux qu’on soigne ça ?

– Rends-moi ma fille !

– Tu peux arrêter cet apitoiement, ça me donne mal à la tête, rembarra-t-il en se touchant une de ses tempes.

Bouillonnante de colère, la mère de famille commença à menacer le maître chanteur.

– Si tu ne me rends pas ma fille, je te jure que je te tue.

– Hey, doucement ma grande, tu vas la revoir ta braillarde de fille. Au passage, qu’est-ce qu’elle est fatigante, un peu demeurée aussi, elle tient ça de son père ?

Stana n’eut aucune réaction particulière, afin de ne pas galvaniser son adversaire et rester fixée sur son objectif : sauver sa fille.

– Non sans rire, tu vois c’est moi qui mène la danse et je t’informe que le deal a changé. Si tu veux la revoir, tu vas devoir la sortir de l’eau. Et tu vas le faire pour moi, maintenant !

– T’es qu’une ordure ! pestiféra-t-elle en crachant au pied du tueur.

– Mais c’est qu’elle perdrait ses nerfs ! Et remets ta perruque, ordonna-t-il en léchant sa lèvre inférieure d’excitation.

Stana savait que la vie de son enfant était en jeu. Elle se sentait coincée dans un engrenage qui la dépassait. La jeune femme devait vouer une allégeance forcée à cet individu. Consciente de l'enjeu, elle se ressaisit et récupéra la postiche, laissée derrière elle.

– Je ne vais pas y arriver seule, elle est trop lourde.

– Utilise ta tête, tu sais le faire ça, jouer avec ton corps. Si mes souvenirs sont bons, tu le fais si bien ! soupira-t-il de plaisir.

Passant en revue les alentours, elle découvrit une pagaie laissée à l’abandon contre un mur, derrière son interlocuteur. Elle se précipita pour l’attraper et remarqua, sur sa droite, un corps qui gisait dans son propre sang. Un agent de sécurité. Un présage de mauvais augure. Stana détourna le regard, ravala un haut-le-cœur puis retourna à son affaire du soir, déterminée à sortir sa fille de ce piège.

Pour ne pas attirer l’attention, elle s’agenouilla discrètement et glissa le manche dans une des bretelles de robe de Sasha, qui baignait toujours dans l’eau. Le corps était désormais à sa portée. Elle attrapa l’un des bras de l’actrice en évitant soigneusement de regarder son visage. Mais avec le poids de l’eau, elle relâcha son étreinte, victime d’une crampe qui irradia son avant-bras, ce qui bascula le corps à visage découvert. Reprenant conscience de l’atrocité de l’acte qu’elle était en train de faire subir à son ex-femme, Stana se figea, le visage sillonné par le remords. Obsédée par le sort de sa fille, la brunette effaça discrètement quelques larmes d’un revers de paume. Stana se ressaisit et continua sa tâche jusqu’à ce que le corps soit remonté sur la berge. Sans se préoccuper une seule seconde de son bourreau.

– Mais qu’est-ce que tu passes bien à la caméra, je le savais déjà, mais là tu m’impressionnes ! Fais un sourire pour voir. Je ne comprends pas que tu n’es fait carrière qu’en tant que pute !

Stana continua de subir les attaques, sans sourciller.

– Je t’en prie, ne fais pas de mal à ma fille.

Le tueur leva les yeux au ciel, puis regarda ses chaussures avant de lui asséner un coup de pied dans la cuisse et se recula instinctivement pour éviter une éventuelle réplique.

– Tu me fatigues, tu deviens ennuyeuse.

La cuisse pétrie de douleur, Stana ravala son mal comme elle le pouvait. Le regard rivé sur Sasha, Stana prit pour la première fois conscience de son probable futur sort, la mort. Elle ne pouvait pas compter sur les paroles de cette ordure. La jeune femme comprit qu'elle devait agir maintenant.

Galvanisée par son instinct maternel, elle se rua vers le tueur sans se douter de la sortie d'un couteau sur lequel, elle vint s’empaler. Jouissant de sa pénétration macabre, il lui murmura quelques mots au creux de son oreille tout en lui attrapant ardemment le cou.

– C’est dommage que ça se finisse comme ça entre nous, j’aimais jouer avec toi ! Mais c’est moi l'initiateur et ta pauvre gamine, elle est déjà morte. C’était si bon de la voir s’étouffer avec cette terre fraîche. Et tu aurais vu j’avais creusé un de ces trous, un vrai chef d'oeuvre ! Elle tient finalement de toi, vous avez le même regard quand vous êtes terrorisées. Alors tu vois, tu as compté pour moi, je vais vous tuer toutes les deux avec honneur. Arrête de gesticuler, t’en fous partout !

Stana s’arrêta comme foudroyée par ce qu’elle venait d’entendre, les yeux écarquillés de terreur. Tout son être disloqué par le spectre de l'horreur subie par sa fille. Sa douleur disparut sous l'effet de la torpeur qui l'engloutissait. Le sang bouillonnant dégoulina de sa bouche pour maculer ses vêtements. L’assaillant peigna, avec cette giclée, la joue de Stana et l’embrassa dans un élan de réconfort maladif.

– C’est ça calme toi, tu ne peux plus rien faire, j’ai gagné. En plus, sans te mentir, tu l’as trahie alors que ta fille était déjà morte.

Agonisante, la jeune femme réussit à tourner sa tête à quarante-cinq degrés pour apercevoir Sasha qui gisait sur le dos. Perdant de sa lucidité, elle arriva néanmoins à constater que le ventre de l’actrice bougeait. Regardant de nouveau vers son bourreau, elle esquissa un sourire furtif qui étonna son assaillant.

– Tu vas vivre l’enfer, hâte de t’y retrouver ordure ! souffla laborieusement la mourante.

Stana appuya sur le couteau pour l’enfoncer au plus profond de sa chair. Dans un dernier acte de bravoure, elle avait repris la main et dominé furtivement son adversaire. Fou de rage d’avoir perdu le contrôle de la situation, il la jeta à terre comme un vulgaire sac poubelle.

- Sale pute ! lâcha-t-il en essuyant son couteau avec un bout de robe qu’il venait d’arracher à sa victime. D’un geste rageur, il la déposséda de sa perruque rousse.

- Heureusement qu’on est dans un angle mort ! lança-t-il en retrouvant de sa superbe.

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