Chapitre 15 : Anamorphose

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– Charlie, Charlie ! Regarde-moi ces deux beaux spécimens ! héla Sasha en se rapprochant de son ami, les bras accrochés au cou de ses trouvailles. Alors lui, il ne parle pas bien français, mais il a un cul d’enfer. Je te le prête si tu veux, à mon avis, il ne dirait pas non !

L’actrice, prise en sandwich entre l’homme et la femme, continua son monologue tout en se dandinant.

– Et elle bein, si tu changes de camp furtivement, elle pourrait t'être utile ! s’esclaffa-t-elle en embrassant vigoureusement sur la bouche les deux inconnus, ravis.

Charlie décida de s’interposer en arrachant l’actrice de leurs bras et serra fermement les joues de Sasha, avec sa main.

– Mais t’es encore défoncée ! Tu pourrais exploser tellement tu pues l’alcool. C'est juste un after Sasha.

L'actrice frappa violemment le bras de l’agent pour balayer son étreinte. Galvanisée par le mélange médicaments/alcool ingurgité, elle essaya de reprendre l’avantage tout en étant lucide sur son état.

– Et je suis en état d’arrestation ? Provoqua l’actrice les deux poings croisés comme pour recevoir des menottes. Et moi aussi, j’en ai des choses à redire. Je peux être en suspisc... avoir de la suspic...

Titubante, elle s’y reprit à deux fois avant de baragouiner les bons mots.

– Qu’est-ce que je disais ? Ah oui, je pourrais être suspicieuse... Avec qui tu parlais tout à l’heure, jamais vu au bataillon que je sache...

– C’était un de mes contacts, pour un futur film pour toi.

– Ah, coulpa méa alors ! s’inclina Sasha en attrapant du bout des doigts sa robe pour lui faire une révérence.

À ce moment précis, Charlie sentit la flèche de la culpabilité lui transpercer le cœur. Un pied dans l’amitié et l’autre gangréné par le mensonge. Essayant de rester impassible, il poussa légèrement la tête de son amie pour l’aider à la relever, acte qu’elle avait des difficultés à effectuer seule.

Toujours titubante, l’actrice reconnut néanmoins sa mère qui se dirigeait vers elle au bras d’une vieille dame.

– Chère Inès, vous rappelez-vous de ma fille Sasha ? Vous l'aviez rencontrée l’année dernière lors de la première du film que vous avez produit, L'amour du geste.

Inès De Vermont inclina légèrement sa tête en signe de souvenance, sans dire un mot.

– D’ailleurs, elle va débuter le tournage d’un film inspiré de sa vie, mais elle est déjà en quête d’un nouveau rôle pour son prochain succès au box-office ! N’est-ce pas Sasha ? continua Christine, sûre d’elle.

- Eh oui je suis Sasha Sanders, la vraie et l’unique, célèbre actrice qui sait tuer au sens propre comme au sens figuré ! hurla-t-elle, la bouche collée à l’oreille de Mme de Vermont pour suggérer une perte auditive. Je vous fais un autographe, la plupart de mes admirateurs me demandent de tatouer leurs fesses, je serais ravie de poursuivre cette belle coutume avec vous !

– Merci, merci ce n’est pas la peine, interrompit Charlie.

L'agent s'empressa d'attrapper le stylo tout juste sorti des poches de Sasha.

Offusquée, Inès De Vermont rejeta le bras de Christine et la dévisagea avant de s’en aller. Le visage empourpré de colère, Christine fusilla sa fille du regard alors que cette dernière ricanait encore de son petit jeu.

– Mme De Vermont, attendez, c’est une légère méprise ! implora Christine en courant après la désertrice.

- Et bon débarras ! s’exclama l’actrice en se frottant les mains.

– Mais qu’est-ce que tu fabriques bon sang ? Réveille toi ! Tu vas tout perdre là.

Sasha, visiblement plus intéressée par le serveur qui passait à proximité que par son ami, se contenta d’attraper un verre sur le plateau du garçon.

– Ça ne la fera pas revenir, tu sais, te punir. Et te noyer dans tes vices ne t’aidera pas.

L’actrice se figea.

– Tu vois, toi aussi, tu ne me crois pas ! Alors si tu veux bien je vais aller faire la fête pour me décontracter l’esprit et oublier ce que j’ai vu, comme tout le monde. OK gamin ? Sage ! confia la brunette en caressant les chevaux de Charlie. C’est la fête !

L’actrice s’enfonça dans la foule et roula des épaules sur le rythme de la musique.

Charlie la regarda partir pour la laisser faire ce qu’elle voulait. La peine de son amie résonnait dans son for intérieur. Il savait qu’il constituait en partie la cause des ses tourments et que le seul exutoire qu’il lui offrait était de la laisser s’enfoncer dans ses démons.

À peine avait-il eu le temps de s’engouffrer dans ses pensées que Christine Sanders déboula à ses côtés.

– Elle est où ? Responsable de mes deux fesses ! Mais c’est de ma faute, elle n’a jamais eu de figure paternelle et voilà le résultat !

– Christine, je crois que...

– Quelle honte, quelle ingratitude pour, moi, sa mère qui..

– Christine, l'interrompit-il une deuxième fois. Je pense que nous devrions la laisser souffler un peu ce soir. Et vous aussi. Il n’y a pas de paparazzis, la fête est belle. Profitons-en ! D’ici demain elle aura probablement oublié toute cette histoire de revenante.

Interloquée, les deux mais abaissées sur sa taille, Christine fixa l’agent.

– Pourquoi les folasses ont-elles toujours raison ? Ça m’agace ! J’ai aussi la permission de cinq heures ?

– Totalement, sourit Charlie.

– OK, mais demain, on la secoue !

– Oui bien sûr ! Et Christine, avant de partir à la chasse, faites péter un bouton histoire que les filles puissent respirer un peu !

La productrice s’exécuta et fit un clin d’œil à Charlie. Dès qu’elle disparut dans la foule, il attrapa son téléphone.

– C’est moi, tu peux passer à l’action, elle sera inoffensive ce soir. Bye.

Un brouillard, que du brouillard. Je suis à terre entre les jambes de quelqu’un, échouée. Si je baisse encore la tête, je me cogne contre le sol. Des flashs. J’ai encore été trop loin. En eau trouble. Je me suis frottée à tout le monde, je me suis jetée sur eux dans les banquettes, je me suis laissée tripoter, embrassée, j’ai bu ce qu’on me donnait, j’ai pris ce qu’on me tendait. Mais quelle heure est-il, j’ai l'impression d'avoir perdu la notion du temps et de l’espace aussi. Bad trip. Charlie, ma mère ils sont où. Lève-toi putain, tu ne peux pas rester là. Pourquoi j’ai tant de mal à bouger. Ils ont mis de la vodka dans mon whisky? Un putain de cocktail explosif ! Pourquoi tu ricanes c’est naze comme blague. Ou alors j’ai pris un truc pas net encore. Ça y est on m’embroche sous mes bras pour me redresser ça me fait comme un baptême de l’air. Deux gorilles de la sécurité jaillissent, pour sûr, une habitude. Ils me relâchent. Super, sur pied. Et une poussette dans le dos pour une avancée glissante et furtive. Oh, je ne vois toujours rien, et j’ai la gerbe. Primitif, mais pourquoi se mettre dans cet état. Pour éteindre cette putain de peine. Faut que je sorte de cette salle, prendre l’air. Quelqu’un me tend la main pour m’aider. Merci. J’arrive à me déplacer. Ne lui gerbe pas dessus, ni sur toi d'ailleurs. Oui c’est ça dehors. Putain il fait tellement chaud même en automne sur cette Côte d’Azur. Souffle respire. J’ai des frissons aussi. Non de dieu, je suis vraiment raide. La personne me tire encore, je suis avalée par l’espace, j’essaye de résister et de regarder en même temps son visage que je ne perçois pas. Mais je sens son parfum. L’effluve floral m’amène vers une sorte de lumière. Oh non, je suis morte, lumière blanche pas bon signe. Si je suis morte, ma mère va me trucider une deuxième fois. Sasha putain réagit. Tu sens donc tu n’es pas morte. C’est vrai ça. J’entends le son des petites vagues qui claquent sur le bord. Une silhouette, une couleur. C’est une rousse. Enfin, je la revois. Si les autres savaient que c’est juste pour la voir que je fais tout ça. Ferme les yeux, peut être qu’en les rouvrant... Et pense à elle. Jeanne c’est toi. Elle se rapproche de moi. Mon visage est plaqué de nouveau contre le sol froid. J’ai mal à la tête. Frappée, on vient de me frapper! Je suis poussée vers l’eau. On veut me noyer. Dégage de là Sasha. Dégage !

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