Chapitre 12 : La croisée des mondes

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SASHA

- Reste debout, reste debout supplia Christine déjà rassise. Ils t'acclament toi, le fruit de mes entrailles. Laisse-moi apprécier !

Pour faire plaisir à sa mère, Sasha salua une nouvelle fois le public en s'inclinant légèrement.

- Je l'ai vue, je vous assure, j'ai vu Jeanne! relança l'actrice.

- Continue de sourire ma chérie, déjà que tu nous as mis en retard avec tes hallucinations!

- Soit elle est barjo, soit elle a bu un coup de trop ? renchérit Charlie en recherchant l'approbation de Christine.

En signe de défiance envers ces deux contradicteurs, l’actrice s'assit brusquement. Geste qui ne perturba pas le présentateur, qui continua sur sa lancée.

– Pour vous faire pardonner, Sasha, pourquoi ne monteriez-vous pas sur scène pour ouvrir notre gala ?

L’actrice esquissa un sourire amer. Elle n’avait pas envie d’y retourner, d’autant que son esprit était ailleurs. Pour encourager son amie, Charlie s’éjecta de son siège en applaudissant à tout rompre. Sasha le fusilla du regard tout en se relevant et adressa un faux sourire à Christine, ravie de la perspective de voir son enfant dans la lumière. Du moment qu’on parlait de Sasha, elle était contente.

– Au moins elle ne pensera plus à ces stupides histoires de revenants, lança Christine en trempant ses lèvres dans son cocktail à Charlie qui venait de se rasseoir près d'elle.

– Pour sûr, même si on voudrait bien savoir où est passée cette ginger bitch !

Quelques brefs applaudissements accompagnèrent la montée sur scène de Sasha, l’atmosphère s’était nettement refroidie. Charlie l’avait bien remarquée du haut de ses nouveaux stilettos italiens. Ayant l’ouïe fine, il intercepta sans mal les commérages crachés par la table d’à côté.

– Ah oui, c’est elle qui a tué sa maîtresse. Qu’est-ce qu’elle fait ici ? Ils auraient pu convier des gens plus respectables quand même, déplora une invitée.

Excédé par ces ragots, Charlie ne put s’empêcher d’intervenir.

– Dis-moi ma grosse, si tu pouvais éviter de blablater pour ne rien dire ça nous arrangerait. Et au passage, pour ta prochaine soirée, mise sur le noir parce que le rouge, ça ne pardonne pas dans ton cas !

L’invitée, totalement estomaquée par la réprimande musclée de l’étranger, resta sans voix.

– Et au lieu de commander des robes qui ne te vont pas chérie, tu devrais plutôt investir dans un dico et chercher la définition du mot disparue, ça te ferait pas de mal et ça t'éviterait de dire des conneries! Bye bye les ignares !

Un deuxième invité présent à la table réagit juste avant que Charlie ne s'éloigne.

– J’adore votre tenue, s’extasia-t-il en créant l’étonnement de toute la tablée.

Charlie l’ignora totalement, se contentant d’un claquement de doigts pour s’éclipser.

– Voilà, vous pouvez y aller chère Christine, je sais que ça vous démange, confirma Charlie en retournant s’assoir à sa table.

Christine ne se fit pas prier et se releva pour applaudir sa fille à bras ouverts, définitivement seule à entreprendre une nouvelle fois la démarche.

Sasha releva sa robe d’une main et de l’autre caressa la scène afin de gravir les quelques marches de l'escalier, dernier obstacle entre elle et le présentateur. Quelques légers applaudissements accompagnaient sa démarche. C’était une véritable corvée pour elle qui n’avait en tête que d’éclaircir le mystère autour de l'apparition de cette rouquine.

Une fois sur scène, elle repéra immédiatement sa mère, brassant exagérément de l’air dans une salle comble.

Ce n’est pas possible, on ne voit qu’elle !

L’actrice brisa la glace avec humour comme elle savait si bien le faire.

– Arrêtez d’applaudir si fort, ça me gêne ! D’autant que nous sommes tous réunis ce soir pour une bonne cause et non pour mon talent ! Merci de m’avoir invitée en tous cas, je suis honorée d’introduire ce...

– Je me permets de vous interrompre Sasha, mais qu’avez-vous fait de votre cavalier ?

Étonnée par la question, mais pas déstabilisée pour autant, la jeune femme répondit du tac au tac en aggripant le micro.

– Oh il a eu un petit accident sur le tapis en arrivant. Ces acteurs, vraiment, incapables de mettre un pied devant l’autre !

À cet instant, la salle se partagea entre rire et effroi. Sasha pensa que sa blague avait fait mouche. Ravie d’avoir réchauffé l’atmosphère, elle riait à son tour ne se doutant pas un seul instant de la projection apparue derrière elle.

– C’est comme cela que vous traitez vos cavaliers Sasha ? interrogea le présentateur, moqueur.

Intriguée, l’actrice se retourna. La vidéo, qui passait en boucle derrière elle, montrait le coup de pied asséné à l'entrée.

Ils m’ont piégé, comment me sortir de ce pétrin. Je vais encore passer pour la violente de service.

L’actrice trouva la parade en positionnant son poing sous son menton pour se faire plaindre.

– Oui c’est le grand drame de ma vie vous savez, je suis incomprise par les hommes !

L'actrice, fusillée du regard par le public, sentit qu'elle perdait le contrôle de la situation.

Certaines personnes dans l'assemblée redoublèrent de la vivacité et lancèrent des propos médisants : "La violence, toujours la violence ! Sortez d'ici ! ". Des murmures d'approbation parcoururent toute la salle.

Ça ne vas pas recommencer, pas encore.

Tripotant nerveusement son micro, l’actrice perdait pied. Sentant une nouvelle fois son amie en difficulté, Charlie vola à son secours et monta sur scène sous le regard ébahi de la salle qui, aussitôt, se tut.

- Alors les amis, êtes-vous prêt à ouvrir le porte monnaie ? Dj musique, voici pour vous une prestation unique ! proclama t-il en adressant à Sasha un clin d’œil discret.

La trentenaire témoigna de sa gratitude en lui renvoyant un sourire. Avant de quitter l’estrade, elle survola de gauche à droite la salle. Cet épisode lui rappela à quel point cette histoire la hantait. Il lui fallait une réponse. Mais pas maintenant, aucune trace de la femme qu’elle recherchait. Peut-être à l'after party.

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LE TUEUR

Il vient de me snober ce sous-fifre. Je te retiens toi. Dans ce clan, ils sont tous pourris jusqu’à la moelle, un de plus un de moins ça ne fera pas grande différence. Mais plus tard.

Fondu dans le décor, il se replongeait dans son activité favorite : scruter. Son regard oscillait entre Sasha et la saillante jugulaire de la femme assise à côté de lui.

Cette grosse vache est tellement énervée par ce connard que si je la lui sectionne maintenant elle pisserait le sang !

Quel odieux personnage ! Même la mère est cinglée, se risqua-t-elle à enchaîner en vérifiant qu’elle n’était écoutée que par sa table.

– Vous m’en direz tant ! Et il en faut de la force pour assassiner quelqu’un ! précisa le tueur, interloquant ainsi tous les convives présents. J’écris des polars alors le crime ça me connaît ! Moi qui n’arrive même pas à tuer une araignée, quel comble !

– Et de quoi parle votre roman actuel ?

– Oh d’un tueur en série qui ne peut pas s’empêcher de tuer, un truc banal ! Là j’en suis au chapitre où il essaye de tuer un agent de sécurité avec une simple cordelette ! révéla-t-il en glissant son index sur les dents de son couteau.

– Du grand art en perspective ! Même si j’ai du mal à comprendre cette fascination pour les tueurs. Ils ne sont que des paumés qui se complaisent dans la facilité : faire le mal.

Sous la table, le tueur recroquevilla ses doigts de colère, tellement fort qu'il se les abrasa.

- C’est certain ! acquiesça-t-il en feintant son bouillonnement intérieur.

À cet instant, un serveur versa de l’eau dans le verre de sa voisine. L'assassin en profita pour laisser tomber son couteau afin de détourner l’attention de l’homme et lui assener un coup de coude discret qu’il fit passer pour de la maladresse. La pauvre dame, parsemée d’eau, recula d’un geste brusque, mais trop tard. Le serveur se confondit en excuses.

– Laissez, je vais m’en occuper, somma le fautif au serveur.

Il dégaina sa serviette et tapota le haut du corps de la femme pour l’éponger. Il devinait les pulsations de son cœur à travers la peau de son cou. Il ne pensait qu’à une chose, les faire s’arrêter.

–Merci beaucoup. Vraiment. Vous êtes la personne qu’il faut avoir avec soi en cas de catastrophe ! J’espère vous revoir à l’after party ? Comme cela, je vous aurais à mes côtés toute la soirée, on ne sait jamais !

– Bien sûr! Nous allons bien nous amuser ! se réjouit-il en fixant de nouveau l’actrice au loin.

*

ELISE

- Vous vous sentez bien, madame ? s'enquit l’inconnu en secouant Élise.

– Oui merci, ça va, affirma la commissaire après quelques secondes de vague.

L’homme noir en costume, planté devant elle, ressemblait à un vrai athlète. Il était très grand, au moins deux mètres et possédait un léger accent africain. Élise, toujours accrochée à son bras, devinait une musculature développée.

– Venez donc prendre un verre d’eau.

La commissaire saisit l’occasion. Elle ne voulait pas croiser Sasha et, avec cet homme à ses côtés, elle se savait couverte. Elle se laissa escorter jusqu'aux cuisines.

– Mais ma parole, Le Chat tu dragues ?

– Tais-toi un peu, tu me fatigues Boissier !

Élise tilta immédiatement.

– Comment ça Boissier ?

– Oh oui excusez mon impolitesse, je me présente Felix Chitoux, mais tout le monde m’appelle Le Chat, ne me demandez pas pourquoi.

– C’est simple, il est tellement discret qu’on ne soupçonne jamais qu’il est là et pourtant c’est une grande perche ! Hein Le Chat ?

Felix ignora Boissier en levant les yeux au ciel ce qui n’empêcha pas le flic de continuer.

– Il devait être un grand espoir du basket français, mais une méchante blessure au genou..

– Merci Boissier, inutile de me raconter toute sa vie, reprit la commissaire en appliquant son index sur l’oreillette.

– Heu, oui, pardon. Vous voyant vaciller je me suis permis d’envoyer mon chat ! D’accord je me tais. Mais vous devez savoir que Félix fait partie de votre équipe, votre meilleur spécialiste en filature c’est un ancien privé. Et vu sa taille c’est un exploit !

Élise pivota vers son nouvel élément. Elle le contemplait et ressentait une certaine attirance pour cet homme. Sentiment renforcé par l’interdit.

– Merci à vous. Il fait très chaud dans cette salle, j’ai eu un léger étourdissement, fin de la discussion.

La commissaire comprenait que ses symptômes atteignaient leur paroxysme ; les dissimuler devenait difficile.

- Ce qui m’importe c’est si l’un de vous a remarqué quelque chose de suspect dans cette salle ? reprit Élise d'un ton neutre.

Felix hocha immédiatement la tête.

– Un des convives n’arrêtait pas de fixer Sasha Sanders. Une vieille connaissance. Un vrai taré. Il se dévoilera certainement encore plus après, à l'after party.

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