Chapitre 9 : C'est par la faiblesse que saignera le cœur

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Quelle beauté, quelle clarté !

Le meurtrier naviguait avec Luigi dans cet endroit raffiné en consommant, avec délectation, chaque détail de son périple. À cet instant, il pulvérisait sa vie de luxe, ce qui l'enflammait intérieurement. La quête du statut social, dont il avait été privé, l'aveuglait.

  • On va passer par l’entrée des artistes, bien plus rapide, indiqua Luigi tout en saluant le personnel au passage.
  • Tu as l’air d’être bien connu ici ? décoda l’invité.
  • Ouais, je fais bien mon travail, alors les gens m’aiment bien.
  • Bonjour les fleurs ! cassa le stratège immédiatement.
  • Hé, je t’explique juste ! déclama Luigi en se retournant légèrement tout en continuant sa route.
  • N’essaye pas de m’impressionner ! Rien ne m'impressionne.
  • T’es un sacré personnage toi ! s’esclaffa l’agent en s’arrêtant devant la porte d'un local, sans se retourner. Voilà le PC de sécurité, un vrai petit bijou de technologie. Personne ne peut entrer et sortir de notre empire sans être vu !

Ce que tu crois ! On voit que tu ne me connais pas.

  • Fabuleux ! s'enthousiama faussement l'individu.

Luigi fit signe à son invité d’entrer dans la pièce. Le tueur dévora la salle des yeux et emmagasina un maximum d’informations. La lugubrité de l’endroit tranchait avec la luminosité du Palais, traversé auparavant. Seule une trentaine de petits écrans allumés éclairaient faiblement la salle, tel un défilé de lampions. Au centre, se situait un grand homme amarré à sa console, les genoux presque remontés jusqu’au menton.

  • Je te présente mon espion numéro un, Fred Deloeil. Avec un nom comme celui-là, je ne pouvais que le recruter dans ma team ! poursuivit-il en tapant sur l’épaule de son protégé. Il règne et veille sur notre royaume !

Fred pivota légèrement son siège pour distinguer le visiteur.

  • Une vraie taupe dans sa tanière ! provoqua délibérément l’assassin.

Il n’avait pas complètement tort. Fred ressemblait à une grande taupe avec ses lunettes rondes à double foyer.

Luigi et Fred figèrent leurs regards simultanément sur l’individu, sans dire un mot, enterrant ainsi l’once d’humanité qu'il venait de leur allouer.

  • Luigi, on a encore besoin de toi en haut, tu peux venir rapidement ?

Le talkie-walkie de l’agent renvoya au cimetière le silence mortel distillé dans la pièce.

  • Désolé je dois filer, je te laisse avec Fred, il va te montrer quelques trucs en attendant que je revienne te chercher, n'est-ce pas Fred ?

L'homme ne répondit pas et resta immobile.

  • C'est un grand timide ! certifia le guide en souriant et en balayant le peu de cheveux qu'il restait sur la tête de son collègue.

Le talkie-walkie reprit de plus belle.

  • Ça va, j’arrive ! rouspéta Luigi en portant l’appareil à ses lèvres.

Dès la sortie de l'agent, l’assassin arpenta la salle pour absorber chaque élément qui pourrait lui être utile. Doté d’une mémoire absolue, il pouvait stocker une quantité incalculable d’informations et les restituer en un quart de seconde à son auditoire : sons, images, écrits... Atout dont il abusait à outrance. Continuant son inspection, il s’immobilisa devant son visage, reflété par une caméra éteinte. Rapidement, une puissante douleur martela dans sa tête. Il le savait, une crise se déclenchait.


Une petite silhouette se faufilait dans un jardin en direction d’une femme qui arrosait ses fleurs. En l'apercevant, elle sortit instantanément de ses gonds.

Qu’est-ce que tu fous là ?

– Je devais te voir.

– On ne peut pas se voir, tu n’existes pas à mes yeux !

– Mais je suis ton enfant !

– Certainement pas ! Tu ressembles à ta vermine de père. Tu n’es pas de mon sang, barres toi d’ici !

Après un silence assourdissant, l’intrus fondit en larmes.

– Mais tu pleures ! Un faible, comme lui !

– Mais maman.

– Je ne suis pas ta mère ! Retourne chez toi, dans la pénombre, toi et ton visage de la honte et ne reviens jamais, tu m’entends jamais ! s’époumona-t-elle en lui crachant dessus.

L’enfant s’essuya la figure avec son poignet tout en grimaçant. Il baissa la tête sans un regard et disparut comme il était venu, dans la noirceur de son existence.

Le meurtrier ferma très fort ses yeux qui le brûlaient. En même temps, il enfonça ses doigts, aussi profondément que possible, sur ses tempes. La douleur était vive. Il devait la faire taire. Il sentait l’insistance de l’agent derrière lui. À raison, car l’homme le bombardait de son regard.

  • Hum, ça ne va pas ? démarra Fred impassible.
  • Si, si très bien, j’ai parfois des petites migraines ! plaida le tueur en relevant la tête.
  • Hum, vous vous y connaissez en sécurité ? poursuivit Fred, toujours stoïque.
  • Pas du tout, j’aurais besoin d’un bon guide !

Encore un mensonge.


Soir du premier meurtre

Le tueur, agenouillé dans son salon, complétement nu, scrutait une vingtaine de magazines mutilés devant lui. Cutter, ciseau, couteau, briquet, il s'était acharné en brulant, coupant, déchirant la moindre parcelle dépourvue de son obsession. Possédé, il s'écorchait jusqu'au sang l'un de ses poignets sans s'en rendre compte. Imperturbable, il s’instruisait. Il se nourrissait de toutes les données possibles. La seule et unique cible de ce jeu pervers était Sasha Sanders dont le visage restait intact. Obnubilé par l’actrice, il planifiait son attaque. Trouver une faille. La faille.

Parce que c’est par la faiblesse que saignera le cœur.

Apathique, il laissa danser ses mains vers la droite pour attraper certains documents ; les plans d’un bâtiment accompagnés de clichés d’un polaroid. Il les fixa pendant de longues minutes. Le tueur se complaisait dans sa tâche. Positionnant ses paumes au-dessus de ces objets, il ferma les yeux, tel un magnétiseur. Quelques instants après, il rouvrit ses paupières, un sourire innocent traversa son visage. Il avait trouvé. Il se mit à rire à gorge déployée, un rire d'aliéné.


Sans répondre, Fred tourna sur lui-même pour faire face de nouveau à ses écrans.

  • Je suis sûr qu’un homme aussi brillant que toi pourrait parfaitement entrer dans ce bâtiment sans se faire voir ! flatta l’individu en s’approchant de plus en plus de Fred.
  • Hum, impossible de répondre, secret professionnel.
  • Je pourrais m’en servir pour mon roman, juste des bribes. Et je compte fonder mon personnage principal sur un agent valeureux responsable d’une équipe de sécurité.
  • Hum, oui bien sûr, marmonna Fred, sceptique.

L’assassin avançait encore vers l’agent. Il fallait agir vite. Trouver une police d’assurance. La sève de sa pulsion meurtrière commençait à monter dans son écorce, alimentée par le manque de coopération de Fred. Refouler sa véritable nature devenait difficile. Il changea de stratégie en remarquant, grâce à une lueur, une petite photo de Fred avec un enfant sur les genoux pris dans le PC de sécurité.

Et voilà, je te tiens.

  • Écoute, mon père ne m’a jamais rien appris. Le seul point commun qu’on avait c’était les films policiers. On adorait voir les scènes d’action et il vouait un véritable culte aux agents cachés, comme ils les appelaient. Ce sont les meilleurs ! J’aimerais bien en savoir un peu plus sur ton boulot, ça me fascine !

Fred visiblement touché par le récit de son invité du jour, lui adressa pour la première fois un regard sympathique.

La mayonnaise prend, bien joué ! Ça marche toujours cette histoire de père absent ! Quelle faiblesse humaine ! Il va craquer maintenant. Pourvu qu’il ne pleure pas devant moi, ça me donnerait envie de le buter.

  • Hum, ok, je vais te guider pour ton roman ! Mais ne dévoile pas tout, je veux pas perdre mon boulot. Alors, le seul endroit où tu ne peux jamais être vu c’est là ! C’est une dead zone, aucun passage, aucune caméra ! Le néant en soi ! dévoila Fred en pointant du doigt une caméra à droite.

Le tueur, satisfait, buvait ses paroles.

  • Hum, prend une chaise et vient à côté de moi, suggéra Fred. On en a au moins pour deux heures, je vais te révéler quelques secrets sur mon temple.
  • Ça tombe bien j’ai deux heures à tuer ! lança-t-il ironiquement.

Le stratège se dirigea vers une chaise qui gisait au fond de la pièce. Il remarqua au pied de celle-ci, un câble électrique gris, coupé aux deux extrémités. Focalisé sur sa découverte, il se pencha et attrapa le sésame. Tout en revenant sur ses pas, muni de ses deux trouvailles, il posa d’abord la chaise discrètement.

Fred, concentré sur sa console, restait de marbre. Il ne remarqua pas la silhouette qui se dressait derrière lui, prête à bondir sur sa proie, l’entrave tendue entre ses deux poings.

Non, non, non, ce n’est pas le moment. NE LE BUTE PAS, NE LE BUTE PAS !

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