Le destin d'Asleik

de Image de profil de AE Le DanlatAE Le Danlat

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La jeune fille pleurait en silence, après la délivrance. Elle détournait le regard tandis que son nourrisson appelait le sein. Elle n'en voulait pas. Planquée dans un coin sombre de la pièce, j'observais la réaction de Dame Haude et de Seza. Plus encore, j'attendais de voir ce qu'Hildrine en ferait, elle qui avait accompagné cette naissance et assisté tant d'autres.

Les pleurs de l'enfant me gagnaient le coeur, l'empoignant fermement dans les aigüs. Point n'est besoin d'un autre regard pour se montrer sensible à la détresse et la dépendance d'un tout petit. Seza présentait le bébé à sa mère, tentant de la convaincre de l'allaiter. Dame Haude, derrière elle, appuyait chaque phrase d'arguments qu'elle croyait suffisamment pesant. Mais Aelig ne voulait rien entendre, et sanglotait toujours.

Ses mains lavées et séchées, ses frusques à nouveau en place, Hildrine se mêla de l'affaire. Avec douceur, elle écarta Dame Haude, prit l'enfant des mains de Seza. Le nourrisson calma ses cris au contact de la vieille hänvet, qui s'installa tout près de la jeune mère.

" Ton âme est assombrie, ton ciel couvert, ton coeur sec. Personne ici ne peut te le reprocher, même pas ton petit. Tu ne l'as pas désiré, et tu ne le désires pas plus à présent qu'il est là. A chaque heure, il te racontera ton passé. Mais Aelig, voici ce qu'il adviendra si tu ne le soignes pas. "

Hildrine posa sa main sur le bras de la femme. Je fus seule à comprendre qu'elle ouvrait son Orach', l'autre oeil. Hildrine déversait à Aelig une vision stupéfiante du futur, qui la fit sursauter. Enfin, la jeune mère parla au travers de ses larmes : " Je ne veux pas cela. Je ne veux pas cela pour cet enfant... Mais je ne veux pas non plus être sa mère.

- Quant à décider d'être sa mère ou non, le choix ne t'appartient malheureusement plus. Si tu ne veux pas cela pour ton fils, il te faut en prendre soin. Cela commence maintenant. "

Aelig fit un geste vers le nourrisson qui ouvrait grand la bouche, puis un autre, prit son enfant sur son giron. Elle le regarda un instant avant de l'approcher de son sein. " Je ne sais pas comment faire, dit-elle à Hildrine.

- Nous allons te montrer. "

Chacune y alla de son conseil et bientôt le petit téta avec assurance. Sur ce tableau, nous les laissâmes seuls. Dehors, le temps était au beau. Un soleil timide éclairait les derniers jours d'hiver. Le vent bousculait à peine les haies de sorbiers dénudés qui encadraient la maison. Hildrine s'installa sur le banc de pierre qui trônait en façade et entreprit de curer sa pipe.

" Que va-t-il advenir d'Aelig et de son bébé ? demandais-je en m'asseyant.

- Nul ne le sait. Ce que j'ai montré à la pauvre Aelig a déjà été balayé par ce simple moment. Désirer ne pas faire de mal à l'enfant qui vient de naître. Voilà ce que peut vouloir Aelig, voilà la voie qui limitera la souffrance de l'innocent, voilà sa maigre consolation. Pour l'instant.

- Vous voulez dire que son infortune n'est pas terminée ?

- Je l'ignore. Nous ne pouvons que lui souhaiter trouver la joie et l'amour dans le regard de cet enfant. Comment l'a-t-elle appelé ?

- Elle ne l'a pas encore nommé.

- Ce qui finira de consoler Aelig, c'est de savoir que son petit a un destin. Ainsi, tu reviendras chercher ce garçon.

- Quoi ? Mais dans quel but ?

- Pour l'initier pareillement, pour lui transmettre tout ce que tu auras appris. Il sera ton premier protégé. A toi de décider quand tu reviendras. Et donne-lui un nom que tu pourras reconnaître. "

Je restai interdite face au devoir dont venait de me charger la vieille hänvet. Pendant qu'elle bourrait à nouveau sa pipe, j'intégrais cette annonce, et cherchais un prénom digne pour un enfant né dans ces circonstances. Hildrine battit le briquet gagné pendant les dernières fêtes du solstice, et nous entoura d'un nuage de fumée odorant.

" Notre vie n'est qu'errance, reprit-elle. Nous avons cette chance de le savoir, toi et moi. Cela ne nous rend pas plus heureuses, ou plus malheureuses... peut-être plus lucides. Nous savons que la Grande Hallebarde, le Grand Trident, Hinirr, Lydaline, Skelerine, et tout le Panthéon, ne se montrent pas sur demande. Ils viennent à nous quand c'est le moment. Nous les rencontrons si souvent, que nous n'avons ni besoin d'Autel, ni besoin de les prier. Seuls sont importants les lieux où nos souvenirs survivent avant de s'éteindre avec nous. Nous savons que notre vie n'est qu'errance, Bodile. Mais nous n'échappons pas à cette condamnation divine propre au genre humain. Regarde : il n'y a que nous, ici. Où mettre notre foi, sinon en nous-même ? Où mettre notre foi sinon dans toutes les créatures vivantes ? "

Ces questions se perdirent dans les volutes de fumée. Nous restâmes là, en silence, à écouter les sons de la campagne mêlés à ceux de la maisonnée.

Après le déjeuner, je me rendis au chevêt d'Aelig. Elle contemplait son bébé, qui dormait, enveloppé de couvertures, contre ses jambes étalées. Elle m'accueillit d'un modeste sourire. " Vous le trouvez beau, vous ?

- Pour ce que j'en ai vu, les bébés sont rarement beaux à la naissance. Il n'y a jamais que leurs parents pour les trouver magnifiques.

- Je le trouve moche.

- Son faciès est taillé pour être nourri au sein. Il changera avec le temps.

- Combien de temps ? soupira Aelig. Combien de temps vais-je devoir m'occuper de lui ?

- Treize hivers.

La jeune femme tourna vers moi un regard interrogateur.

- Dans treize hivers, je viendrai le chercher. Et je l'éloignerai de vous, pour lui transmettre l'enseignement que je reçois moi-même.

- Vous allez me l'enlever ?

- Il s'enlèvera lui-même, car alors personne ne pourra le contraindre à me suivre.

- Cela me paraît bien, pour lui. Treize ans... Comment allez-vous le reconnaitre ?

- Appelez-le Asleik, et que ce soit son unique nom. Je le reconnaitrai ainsi. "

Je sentis un soulagement profond dans la détresse d'Aelig. L'incertitude semblait momentanément s'être éloignée de son esprit. Nous pouvions reprendre notre pérégrination. Pour ma part, j'avais compris ce que la vieille Hildrine avait saisi depuis longtemps. Quand le monde autour de nous s'effondre, nous cherchons des branches auxquelles nous raccrocher. Pas forcément pour remonter tout de suite, mais surtout pour ralentir, puis arrêter la chute. Toutes les mains secourables que nous avons tendues à Aelig aujourd'hui ne suffiront peut-être pas. Le besoin de consolation que connaît l'être humain est impossible à rassasier.

Fantasy
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Table des matières

En réponse au défi

Ecrire d'après l'Incipit de Stig Dagerman dans "Notre besoin de consolation est impossible à rassasier"

Lancé par Accord écrit

Bonjour !! Je vous propose d'écrire à partir de l'incipit de Stig Dagerman "Je suis dépourvu de foi et ne puis donc être heureux, car un homme qui risque de craindre que sa vie soit une errance absurde vers une mort certaine ne peut être heureux. Je n’ai reçu en héritage ni dieu, ni point fixe sur la terre d’où je puisse attirer l’attention d’un dieu : on ne m’a pas non plus légué la fureur bien déguisée du sceptique, les ruses de Sioux du rationaliste ou la candeur ardente de l’athée. Je n’ose donc jeter la pierre ni à celle qui croit en des choses qui ne m’inspirent que le doute, ni à celui qui cultive son doute comme si celui-ci n’était pas, lui aussi, entouré de ténèbres. Cette pierre m’atteindrait moi-même car je suis bien certain d’une chose : le besoin de consolation que connaît l’être humain est impossible à rassasier " dans Notre Besoin de consolation est impossible à rassasier.

Le texte lu dans son intégralité ici : https://www.youtube.com/watch?v=ofXXVHbZmlo

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Le destin d'AsleikChapitre2 messages | 3 ans

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