Nuits de souffrance

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La tempête fit rage toute la nuit, la pluie tropicale menaçant d’abattre son refuge précaire. Naryl s’était construit un abri de fortune dans un arbre où il s’était réfugié. La construction lui avait pris une bonne partie de la nuit, et il l’avait menée tambour battant, galvanisé par une urgence instinctive. Une fois son khangg sommaire terminé, Naryl s’était enfermé dedans, le rendant aussi douillet que s’il devait accueillir une femelle enceinte et sa future portée. La douleur l’avait terrassé tout de suite après, en s’abattant sur lui de toute sa violence. Le souffle coupé, Naryl s’était écroulé dans le nid de couvertures. Puis il s’était recroquevillé et tordu dans tous les sens, inaugurant une nuit de souffrances.

C’était donc cela, les fièvres pourpres ! Naryl n’avait jamais rien ressenti de comparable. Son ventre était gonflé, son pénis en feu. Les canaux irrigués de lave brûlante de la Montagne du Temps avaient remplacé son réseau veineux. Toute l’eau de son corps s’échappait par ses pores, transformant ses cheveux en lianes trempées. Mais surtout, une soif terrible le torturait.

— De l’eau… de l’eau, gémit Naryl en se redressant dans son khangg.

Le panier d’osier se balança dangereusement dans les hautes branches, secoué par la tempête. Inquiet, Pecco courrait d’une paroi à l’autre, fébrile sur ses petites pattes.

Naryl pencha la tête à travers l’ouverture, ouvrant la bouche pour recueillir l’eau sur sa langue sèche et gonflée. Ses crocs brillèrent sous la lune énorme et rouge, qui les teinta de sang. Ils avaient tant poussé ces dernières heures que le pauvre ellon pouvait à peine fermer la bouche.

Pire encore, l’eau ne l’apaisait pas. Il en trouvait le goût immonde et sa soif demeurait : il voulait quelque chose de plus chaud, de plus épais, de plus salé. Rabattant la porte du khangg sur lui, il s’enroula à l’intérieur. Ses yeux enfiévrés, d’une luisance anormale, se posèrent sur le petit faux-singe, dressé sur ses pattes arrière. Comparé à la pluie froide, comme son corps semblait chaud et doux !

Et soudain, tout devint rouge.

La mâchoire de Naryl claqua à deux doigts du ventre tendre de Pecco, qui se cacha sous les couvertures tissées en piaillant. Horrifié, le jeune ædhel roula sur le côté, tout tremblant. Il dissimula son visage dans ses mains. Qu’avait-il tenté de faire ?

— Je suis désolé, Pecco, gémit-il en se tenant le ventre. J’ai failli te tuer ! Je voulais te tuer…

L’espace d’une affreuse seconde – juste le temps d’un éclair – oui, c’est ce qu’il avait souhaité faire. Mettre en pièces cette créature fragile et innocente, la dévorer… puis, après l’avoir vidée de son sang et avoir consommé ses entrailles, glisser son membre boursouflé et purulent dans la carcasse.

L’image de Yuja au bain apparut, puis se mit à danser sous les yeux de Naryl. Hanté par ses souvenirs, il la revit se baisser et dévoiler sa petite fente rose. Oh, comme il aurait aimé déchirer ce sillon de chair ! Se perdre dedans jusqu’à s’oublier, mordre dans les tétons délicats et la gorge pâle. Lui faire ce qu’il avait vu les orcneas faire aux ellith dans ses cauchemars, ou ce que les Sans-clan avaient fait à leurs captives. Ce qu’Asvgal faisait à ses sœurs, à sa mère… et à toutes les femelles de sa harde.

C’en était trop. Naryl se redressa en poussant un hurlement de souffrance et de rage, un rugissement féroce et sauvage qui résonna dans toute la sylve avoisinante. Puis, dans un moment de clarté ou de délire, il saisit son sigil et le plongea dans son bas-ventre. Le liquide blanc nacré de sa semence de jeune mâle s’en échappa en coulées épaisses, souillées de sang d’un noir de fumée.

Il se laissa retomber sur sa couche, soulagé. La pluie, qui gouttait de son khangg mal tressé, mouillait son visage, apportant une fraîcheur providentielle. Un peu de répit… épuisé, il s’abandonna.

Le lendemain, Naryl profita de la torpeur que lui conférait le soleil pour se traîner dehors et confectionner un deuxième panier. Il alla le suspendre en haut d’un arbre, à seulement quelques foulées du sien, de l’autre côté de la clairière. Il le marqua en urinant dessus afin d’empêcher les prédateurs de venir le clamer. L’odeur d’un ædhel en rut était le plus dissuasif des parfums, dans la sylve.

Puis il installa Pecco dedans, avec une provision de baies, une calebasse d’eau et un régime de fruits frais.

— Reste là, lui ordonna-t-il avant de fermer la porte. Je reviendrai te chercher quand tout ça sera fini.

La décision fut sage, car la nuit suivante fut pire encore. La grosse lune avait doublé de volume. Certaines anciennes disaient qu’il s’agissait d’une étoile, comme les trois soleils, et que c’est pour cela qu’elle faisait si mal. Elle irradiait tout, comme un soleil ardent. Elle cuisait la forêt, agitait le sang. Un désordre de hurlements, de gémissements d’agonie, de cris de rage, de torture, de malédictions anciennes et d’aboiements enfiévrés faisait trembler la sylve. C’était la chasse des ædhil en rut, qui courraient sous la lune en recherche de femelles et de victimes. Malheur à celles qui croisaient leur route… en de telles nuits, seules des ellith expérimentés, elles-mêmes en recherche de mâles susceptibles d’apaiser la bouche qui brûlait entre leurs jambes, osaient sortir. Lorsque l’un de ces chasseurs de la nuit tombait sur un autre, ils se battaient pour la proie. Mais souvent, cette dernière devait se soumettre à la sauvagerie sexuelle de plusieurs mâles : il se racontait, entre femelles, que certaines aimaient ça. Ces ellith insatiables, qui ne pouvaient être comblées par un seul ellon, étaient appelées à juste titre les « brûlantes ». Prises par la même folie furieuse qui possédait les mâles, elles courraient avec eux en hurlant et s’arrachant les cheveux. Tout ce qui croisait la route de cette meute hystérique était instantanément réduit en pièces, et semé sur ses traces en un chemin de débris sanglants.

Lorsque la clameur se fit entendre, Naryl se redressa, les oreilles alertes. Il avait déjà changé. Sa fourrure était emmêlée, mais épaisse, explosant dans toute la gloire de sa noirceur. Ses yeux effilés étaient deux lames d’onyx. Ses griffes, sorties de leur gaine, étiraient leurs longues pointes noires sur les lambeaux de la couverture. Ses crocs, trop longs pour sa bouche, pointaient sur ses lèvres rougies, donnant à son visage aigu un air de cruauté malicieuse qu’il n’avait jamais eu.

Attiré par le fracas démoniaque qui agitait la sylve, le jeune ellon se glissa hors du khangg, silencieusement. La tête en avant, il progressait à quatre pattes le long du tronc lisse sans difficulté aucune, avant de retomber souplement au sol. Là, il se redressa sur ses jambes et huma l’air. La forêt lui renvoya des effluves de sexe et de sang. Il les suivit et s’enfonça dans la nuit.

Naryl émergea au creux d’un arbre. La lune rouge avait disparu et la forêt avait retrouvé son calme. Tout son corps lui faisait mal. Sa longue chevelure, emmêlée et couverte de saletés et autres substances diverses, s’étalait sur sa peau noircie comme une fourrure d’animal. Il était couvert de coupures et de blessures. La tête lourde et les idées troubles, le ventre affamé, mais vaguement écœuré, il s’extirpa de son abri précaire et prit le chemin du retour.

Pecco était toujours là, vivant et en bonne forme. Il accueillit son ami avec un trille de joie et sauta sur son épaule.

Naryl prit le temps de se débarbouiller dans la rivière près de la grotte des Sans-Mâles, mais il était loin d’avoir fière allure. En le voyant arriver, amaigri et épuisé, presque nu, Yuja se précipita vers lui en criant.

— Naryl !

La jeune femelle se précipita dans ses bras. Elle le couvrit de caresses, lui mordilla la main gentiment, le huma en ronronnant. Naryl se laissa faire de bonne grâce. Derrière, les autres membres du clan suivaient. Seule sa mère restait en retrait.

— Où étais-tu ? l’interrogea la matriarche.

— Parti chasser.

— C’était dangereux, en cette période. Tu aurais pu rencontrer la chasse des mâles.

Naryl haussa les épaules.

— Je n’ai rencontré que l’orage. J’ai dû me réfugier dans une grotte une nuit entière, sans pouvoir bouger.

Yuja releva son joli visage vers lui.

— Qu’as-tu chassé ?

— Oh, pas grand-chose. Il y avait la chasse des ellonil, comme la Mère l’a dit… J’ai préféré ne pas m’attarder dans la sylve. En fait, j’ai passé le plus clair de mon temps à dormir, embusqué dans ma cachette.

— Alors, viens, allons pêcher, proposa Yuja en l’entrainant par le bras.

Encore une fois, Naryl céda aux injonctions de Yuja, mais la matriarche intervint :

— Laisse-le manger d’abord. Ensuite, vous irez tous les deux. Viens, Naryl.

Naryl docilement suivit la matriarche dans la grotte. Yuja suivit aussi, affichant sa contrariété sur sa petite face pâle. Elle fut bientôt accaparée par une autre femelle, qui avait besoin d'elle pour exécuter une tâche. Dès qu'elle se fut éloignée, la femelle à la chevelure de feu sortit de l'ombre.

— Bon retour parmi nous, Naryl, ronronna Nanal en ondulant vers lui.

Naryl laissa ses yeux trainer sur ses formes appétissantes de femelle mature. Nanal laissa voir ses dents adamantines, surprenant son regard.

— Tu veux un peu de lait ?

— Euh…

Avant même qu’il n’eût pu dire non, Nanal dégagea sa mamelle gonflée de sa tunique.

— Vas-y, mords dedans. Personne ne nous regarde.

Après une petite hésitation, Naryl se jeta à l’eau. Il se pencha pour tenter d'attraper le mamelon tendu, trouvant la position bien inconfortable pour une opération censée être plaisante et intime.

— Je suis trop grand, murmura-t-il, un peu déçu.

— Attends.

Nanal lui tourna le dos et se plaqua contre lui en épousant la forme de son corps. Naryl n’avait plus qu’à saisir son sein et se pencher sur son cou pour mordre dedans. Ce qu’il fit.

La femelle laissa échapper un soupir de volupté lorsque la langue de Naryl lécha son téton. Elle se pressa contre lui, frottant sa croupe contre son entrejambe. De nouveau, Naryl se sentit durcir. Il resserra sa prise sur la taille de Nanal, et aspira plus goulûment.

— Naryl ! Dépêche-toi !

La voix de Yuja lui fit lâcher Nanal. Elle était derrière eux, auréolée d’un petit nuage de colère électrique. Elle lui prit le poignet et le tira vers lui avec une brutalité qui l’étonna.

— Euh… J’arrive. Merci, Nanal. Ton lait est très bon.

L’elleth lui jeta un œillade complice.

— Avec plaisir, Naryl. Tu peux en reprendre quand tu veux.

Et elle s’éloigna dans les ténèbres de la caverne, faisant onduler son bassin. Naryl la suivit des yeux, hypnotisé.

Yuja se rappela à sa présence avec une petite claque sur sa main.

— Qu’est-ce que tu faisais encore, suspendu aux mamelles de cette wyrm en chaleur ! On n’a pas toute la nuit, Naryl ! C’est déjà suffisant que tu disparaisses pendant des lunes !

À part Nanal, tout le monde semblait fâché contre lui. Sa mère ne vint le voir qu’à l’aube, au moment du coucher. En silence, elle examina ses blessures, profitant d’un moment d’intimité pour l’inspecter. Découvrant une trace de morsure sur son cou, elle lui jeta un regard lourd de sens.

— Je sais pas ce que c’est, grogna Naryl. Je me suis réveillé comme ça !

Naïhryn passa un baume sur la blessure. Puis elle la lui banda.

— Ne montre surtout pas ça aux autres, murmura-t-elle sur un ton de conspiration. Jamais.

Naryl acquiesça, un peu sonné. Naïhryn avait prononcé cela comme un avertissement. En quoi était-ce important ?

L’heure du repos diurne était arrivé. Impatient de retrouver la chaleur du corps de sa mère, Naryl se précipita à la porte de l'habitat de bois tressé. Mais Naïhryn, déjà à l’intérieur, referma la porte du khangg devant lui.

— Va dormir ailleurs.

Naryl poussa un peu la porte, insistant. Sa mère répliqua par un feulement sifflant, et menaça de lui griffer le visage.

— Va-t-en ! Tes affaires sont dehors.

Naryl fit machine arrière. Qu’est-ce qui arrivait à sa mère ? Pourquoi l’excluait-elle ainsi ? Le cœur lourd, il fit le tour de l’abri pour se trouver un coin de grotte, dans lequel il disposa ses affaires. Désœuvré, il laissa son regard errer sur les membres du clan, qui regagnaient toutes leur lit ou celui d’une compagne.

Certaines femelles se glissaient régulièrement dans le khangg des autres. Leurs geignements et leurs souffles empressés empêchèrent Naryl de dormir. Lorsqu’il était seul dans son arbre de rut, en train de souffrir mille morts, ces scènes étaient venu danser devant ses yeux. Si elles arrivaient alors qu’il avait ses fièvres, alors, il serait incapable de se retenir. Il se lèverait et irait les rejoindre. C’était sûr.

Mais il était censé être un mâle impuissant. Alors, Naryl s’enroula dans son panache et tâcha de s’endormir. Au bout d'un certain temps, lorsque les soupirs enfin se turent, un crissement troubla la tranquillité de la caverne. Le visage avenant d’une femelle apparut à l’ouverture ronde de son khangg. Nanal le regardait, sa porte ouverte. Lorsqu’elle lui fit un signe d’invite, il ne se fit pas prier.

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