La folle aux chats

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La rue Quincampoix est en émoi ce matin : une voiture de la gendarmerie vient d’arriver, toutes sirènes hurlantes. Elle bloque cette petite rue du 3ème arrondissement de Paris.


Des rideaux bougent, des visages mal réveillés s’invitent aux fenêtres. Quelques personnes sortent dans la rue en pyjama, intrigués. Certains d’entre eux dégainent leur smartphone pour filmer la scène.


Deux gendarmes sortent de leur véhicule, puis pénètrent au numéro 26, suivis d’un homme, sac en bandoulière et clope au bec.


Dès leur entrée, ils sont accueillis par Madame Sivardière, une habitante de l’immeuble, qui commence à leur parler avec un débit rapide, signe d’une excitation morbide mêlée de fierté et de peur  :


—  C’est moi qui vous ai appelés. Ce matin, au réveil, j’ai été frappée par une drôle d’odeur. Je prenais mon petit déjeuner, café au lait, tartines, comme d’habitude, et je vous avoue que ça m’a un peu coupé l’appétit. Alors j’ai cherché à savoir d’où ça venait. C’était peut-être un rat crevé, ou une poubelle mal fermée. Avec cette canicule qu’on se traîne depuis 15 jours, ça n’aurait pas été étonnant de retrouver un truc mort dans un coin. J’ai fouillé partout, j’ai ouvert les placards, regardé sous le lit...mais j’ai vu que ça ne venait pas de chez moi. Alors je suis sortie de mon appartement, et j’ai inspecté les parties communes. L’odeur m’a guidée jusqu’à cet appartement, vous sentez, là, c’est sûr, ça vient de là. J’ai appelé la locataire, j’ai frappé à la porte mais je n’ai pas reçu de réponse. J’ai mis mon oreille, mais je n’ai rien entendu.

— Qui habite ici?

— Madame Duforeau. C’est une dame âgée, elle doit avoir plus de 90 ans. Elle est gentille, discrète et bien mise. On ne la voit vraiment pas beaucoup, elle n’a pas de famille et elle ne sort que pour faire des petites courses. Ça fait au moins deux semaines que je ne l’ai pas vue, d’ailleurs. Ah, j’oubliais, elle vit seule avec ses chats… Les gamins d’ici l’appellent d’ailleurs “la folle aux chats”... C’est marrant parce que je quand elle est arrivée ici il y a une vingtaine d’années, elle n’en n’avait qu’un. Puis elle en a recueilli un deuxième, un troisième, et ainsi de suite. On raconte qu’elle en a plus de 50, mais on n’a jamais vérifié. Personne n’a jamais été invité chez elle, elle n’a pas d’ami ici... Dites, vous pensez qu’elle est morte? Bouffée par ses chats?

— On va voir. Poussez-vous et laissez-nous faire. Merci, vous pouvez rentrer chez vous. Monsieur Bernard, veuillez procéder à l’ouverture de la porte.


Bernard, l’homme au sac en bandoulière qui accompagne les gendarmes, écrase sa clope contre le mur, fouille dans sa sacoche, en sort ses lames de crochetage et son casse-cylindre. En moins d’une minute, il parvient à ouvrir la porte. D’un seul coup, un remugle âcre et pestilentiel sort de l’appartement et fouette son visage. Il baisse la tête, se plaque la main sur la bouche, comme pour se retenir de parler, ou de vomir.  Les gendarmes se regardent d’un air entendu : ils la connaissent très bien, cette odeur, car elle marque à vie. Une fois qu’on la sent, elle nous imprègne, on ne peut plus s’en débarrasser...c’est très particulier, le parfum de la mort.

Le serrurier règle en vitesse les détails administratifs, et s’en va, il n’a clairement pas envie de s’éterniser ici. Madame Sivardière, quant à elle, passe sa tête discrètement dans l'entrebâillement mais se fait vite rappeler à l’ordre. Elle s’écarte un peu pour laisser passer les deux gendarmes et tend l’oreille pour savoir ce qu’il se passe.

A l’intérieur de l’appartement, il fait sombre, mais la lumière se faufile par les petits trous des volets roulants mal fermés. Le salon est celui d’une dame âgée : mobilier chargé, papier peint défraîchi aux motifs floraux, bibelots un peu partout, napperons en dentelle...Aux murs, des cadres avec des photos jaunies, un Jésus sur sa croix, une branche de buis desséché plantée dans un petit récipient. Un tapis élimé vient compléter le tableau de la pièce bien rangée d’une vieille femme solitaire. Ça sentirait le vieux s’il n’y avait pas cette odeur persistante de mort qui plane tout autour et prend à la gorge.

Les gendarmes progressent dans le logement. A gauche, une petite salle de bain, à droite, une cuisine exiguë avec du formica partout. Pas âme qui vive et toujours cette horrible puanteur.  


Tout à coup, un miaulement vient déchirer le silence. Un cri rauque, effrayant, qui glace les sangs. Les deux hommes se regardent. Ça vient de la pièce du fond, dont la porte est fermée. Ils approchent lentement. L’un d’eux abaisse la poignée. Verrouillée.


— Curieux, lorsque l’on vit seul, on ferme rarement ses pièces à clé…

— C’est juste. Je crois qu’on n’aurait pas dû laisser filer le serrurier si vite.

— On ne va pas le rappeler. Il faut forcer la porte ! Je crains de deviner ce qu’on va trouver derrière.

— Oui, préparons-nous au pire...


Ils s’y prennent à trois fois avant que la porte ne finisse par céder.

Une fois à l’intérieur, le mélange de pisse, de merde et de mort vient les prendre à la gorge. Ils ne peuvent réprimer une grimace en découvrant que le sol est jonché d’excréments et de cadavres de chats. Sur les corps décomposés des félins, des asticots blancs pullulent et gigotent en faisant des petits bruits de grignotage, tandis qu’au-dessous bourdonnent un quantité incroyable de mouches vertes et jaunes. Sur la couverture du grand lit en fer qui trône au milieu de la chambre, des dizaines d’yeux brillants observent les gendarmes. Des chats. Vivants, cette fois. Grognements, feulements...Ils semblent dire que les hommes ne sont pas les bienvenus ici. Prudemment, le gourdin à la main, les gendarmes contournent le lit, et découvre ce qu’ils s’attendent voir depuis le début sans avoir osé le formuler ouvertement : le corps d’une femme en chemise de nuit maculée de sang. Madame Duforeau, la “folle aux chats”, est allongée là, sur le ventre, entourée par des chats qui hurlent et la griffent. “Encore un sordide fait divers qui se retrouvera demain dans les journaux.” se disent au même moment les deux hommes.

L’un des gendarmes saisit son téléphone pour ordonner à une ambulance de venir emporter le corps, tandis que l’autre s’approche du cadavre pour constater le décès de la malheureuse.  Il dégage quelques chats à coups de pieds, puis s’accroupit à côté de la vieille. Il déglutit, et se prépare mentalement à tomber sur le visage décomposé de la dame, quand tout à coup, le corps se met à frémir. La tête de la vieille femme se tourne alors vers lui, avec un craquement. Vision d’horreur :  les yeux sont injectés de sang. La vieille adresse un sourire sanglant et démoniaque. D’un geste vif, elle saisit alors un chat qui se frotte contre elle, et lui tord le cou. Crac. Puis elle mord dedans à pleines dents, en gloussant de plaisir.


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La folle aux chatsChapitre15 messages | 6 ans

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