Suivez, soutenez et aidez vos auteurs favoris

Inscrivez-vous à l'Atelier des auteurs et tissez des liens avec vos futurs compagnons d'écriture.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
Image de profil de null

L'Arbre

France.
L'Arbre

Ceux qui me connaissent le savent déjà : je suis transhumaniste, antispéciste, et transbiologiste. Mais j'ai ou j'aurai certainement des lecteurs qui ne savent pas ce que c'est, aussi je vais dès maintenant vous en faire une définition succincte. Je rajouterai toutefois que, comme pour n'importe quelle idéologie, les partisans de ces trois mots ne sont pas d'accord sur tout, et n'aurons parfois pas la même définition que moi. Aussi, ce qui suit m'engage moi et seulement ceux qui déclarent être d'accord avec ce que je vais dire.

TRANSHUMANISME

Le transhumanisme est l'espoir que dans un avenir plus ou moins proche, les nouvelles technologies permettront à l'homme de s'affranchir de limites et de souffrances qui ont jusque là accablé l'humanité. Cela passe notamment par l'amélioration de l'organisme humain par la cybernétique ou la bioingénierie. Les limites et souffrances données généralement en exemple sont  l'amélioration des capacités cognitives (par des puces cérébrales par exemple), la suppression des maladies et du vieillissement (par la médecine de pointe), la diminution du temps de travail par l'automatisation des tâches désagréables, ou le téléchargement de l'esprit dans des machines.
Un avenir transhumaniste prendrait en considération d'autres domaines que celui de l'amélioration de l'homme. Ainsi, il est généralemenet favorable aux libertés individuelles (ce qui comprend la liberté de chacun de s'améliorer technologiquement ou non, et de quelle manière), au libre partage de la culture et des connaissances, et se soucie de l'environnement par le développement des énergies renouvelables, du recyclage, de machines non polluantes, et l'utilisation rationnelle des ressources, ce qui comprend un rejet de la consommation de masse et la promotion du partage des biens matériels.

ANTISPECISME

L'antispécisme est la conviction que rien ne rend l'homme fondamentalement supérieur aux autres animaux, et que ces derniers devraient donc être traités à égalité avec l'homme. Cette notion d'égalité est toutefois à tempérer : il n'est bien évidemment pas question de donner le droit de vote aux chiens, puisqu'ils ne sont pas en mesure d'utiliser ce droit. Cette notion d'égalité se pose principalement sur le droit à la vie, à la liberté et au bonheur, et les antispécistes militent pour que ces droits soient accordés aux animaux et respectés. Cela passe principalement par une vive critique de l'élevage agricole, n'accordant aucun confort ni aucune liberté au bétail, vivant enfermé pour produire ou être engraissé puis tué. Critique qui passe par l'adoption d'un mode de vie vegan, entre autre. Cela passe aussi par la critique de l'utilisation d'animaux en laboratoire, des conditions de vie des animaux de cirque ou de compagnie, de la chasse, etc..

TRANSBIOLOGISME

Le transbiologisme est un mouvement idéologique fusionnant le transhumanisme et l'antispécisme. Il considère que, si l'homme a le droit de s'améliorer technologiquement, les animaux ont aussi ce droit, pour parvenir à une égalité avec l'espèce humaine, notamment par l'acquisition de la parole humaine et de ses capacités cognitives. L'idéal transbiologique est un monde où tous les animaux, humains compris, vivraient en frères égaux, et où chacun à droit à la liberté et au bonheur, où plus personne n'aurait à manger autrui pour pouvoir survivre.
0
0
0
2
Défi
L'Arbre

Personne n'est d'accord sur ce que serait un monde parfait. Sur ce point là, tout le monde est d'accord. Mon avis, c'est qu'un monde parfait est un monde dans lequel tout le monde est satisfait du monde dans lequel il vit. Comment obtenir ce monde, si personne n'est d'accord sur ce que serait un monde parfait ?


Un autre point sur lequel personne n'est d'accord, c'est sur comment notre monde fonctionne. Tout le monde est persuadé de savoir comment le monde fonctionne, mais est frustré de ne pas parvenir à convaincre les autres. Pour certains, les juifs contrôlent le monde, pour d'autres ce sont les illuminatis, ou encore ces salauds de riches. L'ennemi à combattre pour que le monde fonctionne mieux est tantôt le communiste, tantôt le capitaliste, parfois l'infidèle.


Mais le point commun de tout ce petit monde, qui se bat sur comment le monde fonctionne, c'est que chacun est persuadé de savoir mieux que l'autre, chacun est persuadé d'être suffisamment intelligent pour comprendre, alors que l'autre, l'idiot, ne comprend rien à rien.


Les Nations Unies reconnaissent l'existence de 197 pays. Cela fait presque 200 régimes politiques différents, chacun ayant son fonctionnement spécifique, sa mentalité qui lui est propre, et ses ambitions qui diffèrent de celles des autres. Et d'autres listes de pays existent, non reconnues par les Nations Unies. On rajoute à cela les influences des lobbys, qui ont chacun leurs intérêts spécifiques qui ne sont pas forcément conciliables, dirigés par des actionnaires qui ne sont pas forcément amis, même dans un même lobby. Celles des populations qui ne suivent pas forcément aveuglément les directives de leurs pays, et qui se subdivisent en une myriades d'opinions, de convictions, de croyances et de sous-cultures. Et encore d'autres influences qui ne me viennent pas à l'esprit, voire dont j'ignore totalement l'existence, et qui existent peut-être. Pour nous maintenir informé de tout cela, on a que les médias, qui même s'ils étaient parfaitement honnêtes et n'avaient pour unique but que celui de nous apprendre la vérité, toute la vérité, et rien que la vérité, ne pourraient pas nous informer de tout ce qui se passe sur la Terre, très loin de là.


Je crois que le véritable signe d'intelligence et d'honnêteté intellectuelle, quand il s'agit de parler de notre monde, n'est pas de chercher à démontrer qu'on sait comment le monde tourne, mais d'admettre qu'on ne sait tout simplement pas. Qu'on a que des bribes éparses et non-objectives.


J'en viens donc à mon monde idéal : ce serait un monde où tout le monde saurait précisément comment le monde fonctionne. Ce n'est pas un monde parfait, mais cela serait mieux que rien.
1
1
0
2
L'Arbre

Voici le manifeste transbiologiste que j'ai écrit. C'est une version provisoire, et elle peut être modifiée. Dites-moi ce que vous en pensez, ce qu'il y a à ajouter, à retirer, à modifier. Donnez votre avis !

   Le monde va être radicalement changé par la technologie. Le monde est déjà radicalement changé par la technologie, en bien comme en mal. On peut dorénavant se parler de partout dans le monde, on guérit la plupart des maladies ; nous avons augmenté radicalement notre espérance de vie et nous l'augmenterons radicalement plus encore à l'avenir ; nous nous augmenterons artificiellement ; mais nous produisons des déchets, provoquons une nouvelle extinction de masse des espèces, et mettons l'avenir de la Vie et de la Civilisation sur Terre en péril.

   Les transbiologistes pensent que, en faisant des recherches méthodiques au sujet de ces changements, nous pourrions favoriser le bon usage de ces technologies, et réduire l'impact néfaste qu'elles pourraient engendrer. A l'inverse, s'opposer à de telles recherches ne ferait qu'empirer les inconvénients de nos technologies actuelles, et augmenter les mauvais usages des technologies futures. En étant ouvert aux technologies et adaptables au changement, nous rendrions les technologies et le changement plus bénéfique pour tous.

   Le transbiologisme prône comme but de la vie la liberté, le bonheur et le savoir. Les transbiologistes prônent le droit moral, pour ceux qui le désirent, de se servir de la technologie pour accroitre leurs capacités et être davantage maîtres de leur propre vie. Les transbiologistes prônent le fait de choisir toujours les solutions qui accordent le plus de libertés, tant sociales que biologiques, et qui conservent au maximum les connaissances cumulées de tous les êtres vivants.

   Les transbiologistes regardent le monde naturel avec compassion. Ils n'y voient que des vies devant s'entretuer pour survivre, passant leur temps à se pourchasser et à être pourchassé, pour finalement mourir de maladie ou de la chasse. Les transbiologistes ne voient pas là un monde qui peut accueillir un véritable bonheur, et sont peinés de voir les animaux enfermés dans la souffrance et la lutte pour la survie.

   Le transbiologisme prône, pour cette raison, la recherche de technologies qui permettront aux animaux d'atteindre les capacités humaines, telles que la parole, la compréhension de concepts complexes, ainsi que la possibilité de vivre sans tuer et sans craindre d'être tué ou de mourir. Les transbiologistes espèrent pouvoir accorder les mêmes droits et devoirs aux aux animaux que les humains, dans une civilisation englobant toutes les espèces.

   Le transbiologisme prône ainsi la liberté, le droit au bien-être, au bonheur, au savoir, et à une vie aussi longue que désirée, à tous les humains, post-humains, êtres artificiels, et animaux. Le transbiologisme n'appuie aucun politicien, parti ou programme politique, hormis ceux qui ont les mêmes buts que les transbiologistes.

   Les transbiologistes prônent une large liberté de choix quant aux possibilités d'améliorations individuelles. Chaque individu devrait avoir le choix des améliorations qu'il désire avoir, et devrait pouvoir choisir de ne pas s'améliorer du tout. Chaque individu devrait pouvoir changer à loisir de sexe, de race et d'espèce, et même de mélange d'espèces.

   Le transbiologisme encourage la recherche au sujet de la conservation des espèces, de la recréation des espèces disparues, et de la création de nouvelles espèces, dans un but de biodiversité harmonieuse.
0
1
0
2
L'Arbre

Note : Dans l'univers qui suit, des animaux anthropomorphiques côtoient des animaux ordinaires. Pour simplifier la compréhension, le nom d'une espèce sera parfois précédé du terme "anthro" pour désigner un animal anthropomorphique, ou du terme "zoo" pour désigner un animal ordinaire.

**********

Après avoir longuement hésité, soupesé le pour et le contre, il avait finalement décidé de revoir la lapine qu'il avait sauvé. Le loup était donc ce soir-là au bas de son immeuble, à l'appeler à l'interphone.
- C'est qui ?
- Bonsoir ! Euh... C'est le loup qui, l'autre soir... Au bar... Les médicaments... Je voulais savoir si ça allait...
Il y eut un silence de quelques secondes, puis elle reprit :
- Monte, c'est au troisième, appart' 34.
Un bip venant de la porte, et il put l'ouvrir. Il monta au troisième étage, par des escaliers grinçant, puis emprunta un couloir blanc jusqu'au numéro 34. Il frappa à la porte. La lapine ouvrit.
- Entre, dit-elle.
Il entra, elle referma la porte derrière lui.

Le salon était aussi gothique que la locataire. Outre les murs pourpres, il y avait des meubles noirs : télé, canapés, table, étagères à livres. Une épée était suspendue face à l'entrée, pointe vers le sol. Il se demanda si l'arme était aiguisée.
- Je suis désolé, je n'ai pas de viande pour t'accueillir.
- Ce n'est pas grave.
Le loup vit alors l'anthro-castor, sortant du couloir, à côté de l'épée. Vêtu de vêtements confortables, ordinaires, il grignotait un morceau d'écorce.
- Désolé, je dérange, dit le loup.
- Non, reste ! Lui intima la lapine. Installe-toi.
Le canidé s'assit donc sur le canapé, face à la corbeille de fruit, sur la table basse. La lagomorphe s'assit à côté de lui, tandis que le castor resta debout.
- Déjà, moi, c'est Mélida. Et lui, c'est Gord.
Le castor lui fit un salut de la main.
- Tanhill, répondit le loup. Gord, ça vient de l'Antor, non ?
- Du Lantran, pour être exact, fit Gord avec un léger accent.
- Il est là pour ses études, compléta Mélida. Je lui ai dis ce que tu m'as fait au bar des Deux Gouttes, la dernière fois.
- Je vois. J'aurais préféré rester discret là dessus.
- C'est raté.
Tanhill prit une pomme dans la corbeille et croqua dedans.
- Donc, tu t'es décidé à me dire ce que tu m'as fait exactement ?
- Ben en fait, je ne sais pas comment aborder cela...
- Tu peux commencer en me disant pourquoi tu l'as fait.
- Ben, parce que tu avais besoin d'aide. J'allais pas laisser mourir quelqu'un alors que j'ai le pouvoir de le sauver.
- Le pouvoir ?
- Oui, enfin...
Un silence.

- Et tu sauves souvent des gens, comme ça ?
- Ca m'arrive, régulièrement.
- Tu es une sorte de guérisseur, c'est ça ?
- On peut dire ça comme ça.
- Tu sais, je crois que je ne t'ai pas remercié. Depuis, ma dépression a disparu, comme si elle n'avait jamais existé !
- Normal, je l'ai détruite.
- Ça aussi, ça fait partie de ton pouvoir ?
- Oui...
Un autre silence.

- Et... Il y en a beaucoup qui ont ce pouvoir ?
- Pas à ma connaissance...
- Il n'y a pas un moyen de savoir, du genre par Internet ?
- J'utilise Internet. Je suis sur un forum qui réunit les gens comme moi. Comme...
- Comme ?
Encore un silence. Mélida prit une courgette dans la corbeille de fruit et de légumes, et commença à la grignoter.

- En fait, tu es un métamorphe. Dit Gord.
- Que... Comment ?... Répondit Tanhill en se relevant à moitié de surprise.
- Simple. Vous êtes assez nombreux pour créer un forum à votre sujet, mais il n'y en a peu qui ont les mêmes pouvoirs que toi. Ca m'a fait penser aux métamorphes, qui selon les légendes, ont le pouvoir de se donner des facultés psy en modifiant leur propre cerveau par métamorphose. Comme les métamorphes sont réputés pour être maléfiques, il devait y en avoir peu qui choisissent d'avoir des pouvoirs de guérison.
Tanhill hésita. Il avait peur de révéler son secret, d'autant plus avec la présence d'un castor dont il ne savait rien du tout. Il fit un instant de silence, puis se dit que, de toute façon, il s'était déjà trahi par sa réaction. Il l'a dit sans le dire, qu'il était effectivement un métamorphe. Donc, après un temps, il répondit simplement :
- Je vois.
- Attend, reprit Mélida, t'es un métamorphe ? Genre... Tu peux te transformer en n'importe qui ?
Un moment d'hésitation. Puis, de toute façon, autant tout dire, maintenant qu'il avait commencé.
- En n'importe qui, non. C'est difficile de copier parfaitement l'apparence et la voix de quelqu'un. Mais en n'importe quoi, oui.
- En n'importe quoi ? Demanda Gord. En arbre, en pierre ?
- Non, seulement en n'importe quoi de zoo ou d'anthro. Quoi que je n'ai jamais réussi à faire plus petit que le rat, ou plus gros que l'éléphant.
- Je le crois pas ! Les métamorphes, ça fait partie de ces religions de merde ! Répliqua Mélida.
- Justement, répliqua Gord, ça fait partie de « toutes » les religions de merde. En tout cas, toutes à ma connaissance. Il est difficile de croire qu'un tel point commun ne soit fondé sur rien.
- C'est ça ! Et puis quoi après ? Des dragons ? Des chimères ? Un dieu omniscient et omnipotent ?
- Je te trouve injuste, Mélida. Tu as facilement accepté que Tanhill était une sorte de guérisseur, mais tu refuses que ce soit un métamorphe, parce que les religions en parle.
- Mais enfin, cela va à l'encontre des lois physiques, des lois de l'atome ! On ne peut pas changer un objet du tout au tout aussi facilement !
- On ne peut pas non plus soigner aussi facilement une dépression par imposition des mains, et c'est pourtant ce que Tanhill a fait. Et ça, à nouveau, tu l'acceptes plus facilement. De toute façon, il y a un moyen d'être fixé. Il suffit que Tanhill se métamorphose devant nous.

A ces mots, le loup déglutit. Il avait peur. C'était une chose d'avouer qu'il était un métamorphe, mais s'en était une autre de le démontrer. Il avait peur de leur réaction. Surtout étant donné la réputation des métamorphes.
- Je ne sais pas... Dit-il.
- Tu vois, rétorqua Mélida, ce n'est pas un métamorphe. C'est juste impossible.
- Change-toi, Tanhill, dit Gord. Métamorphose-toi, et prouve-le nous.
- Oui, mais...
- Tu t'es déjà trahi avec ta réaction il y a cinq minutes. Soit tu es un métamorphe, soit tu crois en être un. Et le meilleur moyen d'être fixé, c'est de faire preuve de tes pouvoirs.
- N'importe quoi... Souffla Mélida.
- Oui, mais... Dit le loup. Comment vous allez réagir si je me métamorphose devant vous ?
- Bien, répondit le castor. Bien je pense. On sait déjà que tu n'es pas quelqu'un de méchant, donc tu n'as rien à voir avec les légendes parlant de métamorphes meurtriers et manipulateurs.
Tanhill se tourna vers la lapine, pour lui poser silencieusement la question.
- Quoi ? Demanda Mélida. Je n'y crois pas, que tu puisses te métamorphoser, ne me regarde pas comme ça.
- Allez, insista Gord. Change-toi, s'il te plait. Essaie de te changer.
Tanhill hésita. Ce n'était pas rien que de montrer ses pouvoirs à deux personnes. Surtout quand l'une d'entre elle n'y croyait pas. Mais il se dit, qu'après tout, il était venu là pour ça. Pour montrer ce qu'il pouvait faire. Pour avoir une amie, capable de le comprendre, qui connaitrait ses secrets et qui lui permettrait de parler de sa solitude. Il était venu pour avoir une amie, et il obtiendrait, peut-être, ce soir là, non pas un mais deux amis auprès de qui il pourrait se confesser. Donc il prit une inspiration pour le courage, et déclara :
- D'accord.

Le loup se leva, et montra sa main à Mélida. Lentement, celle-ci se zébra de traits noirs, et le reste de la fourrure prit une teinte orangée. Les griffes rentrèrent dans les doigts, en laissant une fente sur leur passage. Peu à peu, la métamorphose monta le bras, modifia les vêtements de Tanhill. Son museau rétrécit, ses oreilles s'arrondirent. En une demi-minute environ, il devint un anthro-tigre.
Pendant la transformation, Gord se mit à rire. La lapine, quant à elle, était figée, les yeux grands ouverts, la bouche bée.
- Je le crois pas ! Conclut Mélida à la fin de la transformation.
- Bienvenue dans l'univers de la fantasy, Mélida, plaisanta Gord.
- Mais... Mais enfin ! Les métamorphes sont des monstres maléfiques, selon les légendes ! Dit Mélida en se relevant.
- Les légendes ne disent pas que du faux, répondit le castor, mais ne disent certainement pas non plus que du vrai.
- Non. Non je le crois pas ! Dit Mélida. Non !
Et la lapine partit dans sa chambre, presque en courant. La porte claqua. Le tigre se demanda s'il devait la suivre.

- Ne t'inquiètes pas, lui dit le castor comme s'il devinait ses pensées. Mélida a l'esprit assez ouvert. Il lui faut juste un peu de temps pour encaisser.
- D'accord.
- Sinon, j'ai remarqué que tes vêtements ont changé durant ta métamorphose. Tu peux modifier les objets aussi ?
- Non. En fait, mes vêtements font partie de moi. C'est une seconde peau que je crée pour paraître habillé tout en pouvant changer de vêtements durant mes métamorphoses.
- Ingénieux, commenta Gord. Et donc, tu peux imiter tous les matériaux, du genre te transformer en pierre ?
- Non, je sais juste faire du textile, pour les vêtements.
- Je vois, répondit le castor en constatant que les « vêtements » du loup n'avaient rien en métal ni en plastique. Et comment tu as fait pour obtenir tes autres pouvoirs ? Ceux de guérison ?
- En modifiant mon propre cerveau, les connections neuronales, en tâtonnant on finit par obtenir des résultats. Comme dans la légende. Comme pour ma peau de vêtements.
- Mais donc, tu peux modifier tout ce que tu désires ? Ton intelligence, ta personnalité ?
- Oui.
- Tu as choisi d'être ce que tu es aujourd'hui ?
- En quelque sorte.
- C'est difficile à croire, répliqua Gord. Si tu as choisi d'être bon, c'est bien qu'il y avait déjà de la bonté en toi au moment de le choisir.
- Peut-être...
Un silence. On entendit la porte de la chambre de Mélida se rouvrir, et la lapine revint dans le salon.

- Donc, dit-elle, tu es un métamorphe ?
- Oui.
Elle s'assit sur le canapé.
- Je ne sais plus quoi penser...
- C'est normal, rassura Gord.
- Est-ce que je dois me convertir à la religion maintenant ?
- Pas nécessairement. C'est juste un métamorphe, pas Naïmo.
- Tu veux que je t'insuffle de la sérénité ? Demanda Tanhill.
Un moment d'hésitation.
- Je veux bien, décida finalement Mélida. Merci.
Le tigre s'assit à côté de la lapine, et lui prit délicatement la tête entre ses mains pour faire ce qu'il lui a dit. En quelques dizaines de secondes, Mélida alla déjà un peu mieux.
- Merci, dit-elle.
Puis Tanhill lâcha sa tête.

- En attendant, reprit Gord, il reste un mystère.
- Lequel ? Demanda Mélida.
- Comment as-tu su qui appeler à l'interphone ?
- Ah euh... Fit Tanhill.
- Mais c'est vrai ça ! Compléta la lapine.
Et deux paires d'yeux sondèrent le tigre. Il était pris au piège.
- Tu m'as suivi ? Demanda Mélida.
- Ben euh...
- Répond !
- Ben... Oui.
Mélida se rassit sur le canapé, digérant mal l'information.
- Tu t'es transformé en un petit zoo et tu l'as suivi jusqu'à sa porte pour connaître son adresse exacte, c'est ça ? Demanda Gord. Puis il t'a suffit de chercher le nom qui correspondait.
- Oui... C'est ça.
- Dehors, dit Mélida.
- Mais...
- Dehors !
Elle se leva, ouvrit la porte d'entrée, et pointa l'extérieur du doigt.
- Mais...
Et Tanhill abandonna. Il ne pourrait pas la convaincre qu'il ne lui voulait rien de mal. Pas ce soir-là. Le tigre reprit sa forme de loup et sortit par la porte. Celle-ci claqua fortement, laissant Tanhill dans l'obscurité, et la solitude. Il resta quelques secondes sur le palier, puis commença à s'en aller.

Une fois qu'il fut au bout du couloir, la porte se rouvrit néanmoins, et Mélida en sortit.
- C'est bon, tu peux revenir, dit-elle.
- Mais ?
- Mais quoi ? Je t'ai foutu à la porte, c'est bon. Maintenant, tu peux revenir.
Tanhill revint donc sur ses pas, et rentra à nouveau dans le salon.
- Installe-toi, intima à nouveau Mélida.
Le loup se rassit à nouveau sur le canapé. Gord n'avait pas bougé, il ne faisait que sourire, amusé par la scène qui se jouait devant lui.
- Mais donc, dit Mélida en se rasseyant elle aussi, si les métamorphes existent, les autres créatures légendaires aussi ? Les dragons, les chimères ?
- Pas à ma connaissance. Je crois que non.
- Pourquoi une créature existerait et pas les autres ?
- Je ne sais pas. La Tichara ne dit pas que la vérité. Je ne pense pas que Naïmo existe non plus.
- C'est pas l'avis de tout le monde, fit remarquer Gord en roulant une cigarette. Les temples ne sont pas encore tout à fait abandonnés.
- Les religieux, on les emmerde, répondit Mélida.
Le castor ne répondit qu'en souriant tout en allumant son briquet.
- Mais donc, continua la lapine, qu'est-ce qui est vrai, dans le mythe des métamorphes, et qu'est-ce qui est faux ?
- Je ne sais pas, admit Tanhill. Je ne suis pas aussi vieux que le monde. En fait, pour un métamorphe, je suis plutôt jeune.
- Combien ?
- Oh, quelques siècles à peine.
- Combien ? Insista Mélida.
Tanhill hésita, amusé.
- Allez, dis nous.
- Seulement quatre.
- Seulement, répondit Gord.
- Et tu es né comment ?
- Comme n'importe qui. Je n'ai découvert mes dons qu'à l'âge adulte. J'avais 30 ou 35 ans je crois.
- Comment tu les as découvert ?
- C'est un autre métamorphe qui m'a découvert. C'est lui qui me l'a dit et qui m'a appris. Ça se passe comme ça à chaque fois. On se reconnaît, entre nous.
- Et depuis, tu joues au bienfaiteur ?
- Pas vraiment. Mes pouvoirs de guérison, je n'ai réussi à les produire que récemment. A peine plus de 40 ans maintenant.
- Tu faisais quoi alors, avant ?
- Oh, je vadrouillais. Je profitais de mes dons pour découvrir. J'ai voyagé.
Un silence. Gord vint s'asseoir en face des deux autres pour se servir du cendrier, posé sur la table basse.

- Dis, Mélida, fit remarquer le castor, on allait faire à manger quand il a sonné.
- Oui, et ?
- Et il fait faim.
- Bon, d'accord... Tan, reste pour manger.
C'était plus un ordre qu'une proposition, ce qui fit sourire le loup.
- D'accord.
- Bon, je vais faire ça vite fait. Des pâtes, ça convient à tout le monde ?
Les deux intéressés acquiescèrent, et Mélida partit dans la cuisine. Il y eut à nouveau un silence.
- Sinon, demanda Tanhill, tu fais des études de quoi ? D'architecture ?
- Hé, répondit Gord, je suis un anthro, pas un zoo.
- Désolé. Cliché spéciste.
- Bah, j'ai bien fait un peu de bricolage, une maison dans les arbres quand j'étais gamin, des barrages dans des petits ruisseaux, mais j'ai pas eu envie de pousser plus loin. Ca m'a vite lassé. Alors je suis parti dans des études de philosophie et de théologie. Pas que je sois croyant, c'est juste que... Ben on sais pas. En ce moment, on étudie Rakew Glondo.
- Ah, Rakew. Je l'ai connu.
Et Tanhill se maudit aussitôt.
- Quoi ?! Tu as connu Glondo ?!
- Un peu, mentit le loup. Je l'ai croisé deux ou trois fois dans des bals.
- Il était comment ?
- Mal en point, quand je l'ai rencontré. Il était déjà mal en point.
- Ah. C'est triste ce qui lui est arrivé.
- Oui, c'est triste. Je ne l'ai appris qu'après sa mort. Les journaux de l'époque avaient relayés l'enquête, j'ai découvert ça en même temps que tout le monde. Il ne méritait pas ça.
- Non, il ne méritait pas ça le pauvre.
Un silence. Le castor fit tomber ses cendres dans le cendrier.

- C'est qui ce Rakew Glondo ? Demanda Mélida en revenant de la cuisine.
- Un philosophe et un théologien du siècle dernier, répondit Gord.
- Le XIVème siècle a été riche en philosophes, ajouta Tanhill, mais celui-ci est un peu particulier.
- En gros, juste après que son amante ait été retrouvée pendue, son seul disciple a séduit sa femme, et ils sont parti à l'étranger après que ce salopard ait tué les enfants de Rakew, comme c'était encore de coutume chez les lions à l'époque. Après ça, Rakew s'est suicidé à son tour.
- Gore, commenta la lapine.
- Il y en a partout des histoires tragiques comme celle-ci, dit le loup.
- C'est vrai, conclut le castor.
Un silence, gênant, étant donné l'histoire.

- Bon, sinon, on a pas parlé de toi, dit Tanhill à Mélida. Tu fais quoi toi ?
- Moi ? Je suis dans l'informatique. Je finis mes études, et je me lance en freelance.
- Une gothique informaticienne ?
- Bah ouais, c'est possible. En mélangeant, ça donne des Black Screens of Death.
- Des quoi ?
- Des Blacks Screens of Death. L'écran noir, quand ton pc plante.
- Ah...
- C'était pas drôle, ok.
- Je pense, fit remarquer Gord, que ton histoire est plus intéressante que la nôtre. Tiens, par exemple, comment ton « tuteur », qui t'a appris l'art de se métamorphoser, t'as découvert ? Il était comment ?
- Pour la première question, j'y ai déjà répondu. Entre métamorphes, on se reconnaît. Il m'a tout simplement abordé, et a vite compris que je n'étais pas conscient de mes pouvoirs.
- Et nous, demanda Mélida, on est des métamorphes ou pas ?
- Non. Aucun de vous deux.
- Dommage...
- Désolé. Pour ta deuxième question Gord, il était comme la plupart des métamorphes : arrogant, se considérant comme supérieur aux figés...
- Aux figés ?
- C'est comme ça qu'on appelle les non-métamorphes entre nous. Bref, ce n'était pas quelqu'un de très recommandable, et on a fini par se perdre de vue.
- Il t'a entrainé dans ses histoires ?
- Oui. Je ne suis pas fier de certaines d'entre elles... J'ai fait quelques bêtises, il m'a influencé.
- Quel genre de bêtises ?
- Divers genres. Du genre voler aux riches et aux banquiers et tout garder pour nous.
- Ca va, commenta Mélida, si c'est aux riches que tu volais, ça ne leur manquait pas trop.
- C'est vrai.
- Les pâtes, rappela Gord.
- Ah oui, les pâtes ! Venez dans la cuisine mettre la table, je vais m'occuper des pâtes et de la sauce tomate.

Et ils firent ainsi. Rapidement, ils se mirent à manger. En même temps, Tanhill continua de leur parler de son passé. La manière dont il a escroqué quelques gens aisés, autrefois. Ses vaines tentatives pour apprendre à voler, qui lui ont valu quelques membres cassés. Ce n'était pas grave, rassura-t-il aussitôt, car les métamorphes, en changeant leurs tissus organiques, pouvaient soigner sans difficulté de graves blessures.
Il leur parla de ses voyages autour du monde, en bateau, puis en avion, des diverses identités qu'il a endossé au cours de sa longue vie. Mélida et Gord l'écoutaient, attentifs, passionnés, curieux envers la créature qu'ils avaient invité à table.
Puis, quand la nuit fut bien entamé, on décida d'enfin aller se coucher. Ils s'échangèrent leurs numéros de téléphone, et se promirent de se revoir. Tanhill leur dit au revoir, et il repartit en direction de chez lui.

**********

A suivre...
0
2
0
13
L'Arbre

Dans une maison vivait un fabricant de clefs. Elle était petite cette maison, mais ce n'était pas grave, puisque le pauvre homme ne pouvait pas s'y déplacer. Il était attaché à un mur par un millions de cadenas lui transperçant la chair de son dos. Heureusement, cela ne le faisait pas saigner, cela ne lui faisait même pas mal, mais malgré tout, il était attaché à son mur.
Il passait le plus clair de son temps à fabriquer des clefs. Et quand il en avait fini une, il l'utilisait pour ouvrir un des cadenas qui le retenait. Hélas, il devait faire à chaque fois une nouvelle clef, car chaque cadenas avait une serrure différente.

Cela lui prit une éternité. Mais enfin, un jour, le fabricant de clef ouvrit la dernière serrure. A ce moment-là, un homme entra dans la maison. Il lui dit :
- Je vois que tu as fini. Tu es libre maintenant, fais ce qu'il te plait. Sors de cette maison.
- Mais monsieur, répondit le fabricant, fabriquer des clefs, c'est toute ma vie. Qu'est-ce que je pourrais bien faire d'autre ?
L'inconnu ne répondit rien. Il se contenta de repartir. Le fabricant de clef reprit alors son travail.
Il fabriqua encore plus de clefs, toujours plus de clefs. Comme il n'avait plus de cadenas à ouvrir, il en inventait les formes. Comme elles ne servaient plus à rien, il pouvait bien les faire de la manière qu'il le voulait. Bientôt, elles prirent des formes bizarres, étranges. Certaines ne ressemblaient même pas à des clefs, elles ne ressemblaient même à rien. En fait, elles ne pouvaient servir à rien.

Tout en travaillant, le fabricant de clef se mit à réfléchir. « Mais pourquoi je fais toutes ces clefs, qui n'ont aucune serrure ? ». Mais il se répondait aussitôt : « Tais-toi ! Que pourrais-tu faire d'autre de toute façon ? »
Malgré tout, cette seconde voix devenait de moins en moins forte au fil du temps. L'artisan se demandait de plus en plus « Mais en fait, n'y a-t-il pas autre chose à faire, que de fabriquer des clefs ? » Il continuait tout de même de travailler.

Un jour, toutefois, l'homme fabriqua une clef tellement bizarre qu'elle cassa sous ses yeux. Cela étonna l'artisan. Jamais il ne lui était arrivé de casser une clef. Et pourtant, il cassa celle-ci. En regardant les deux morceaux, il se dit : « Comment ai-je pu casser cette clef ? » Il n'y pensa pas si longtemps que ça. Ce n'était qu'un détail, qu'une anecdote. Le fabricant de clef reprit son travail.
Progressivement, son oeuvre changea. De plus en plus de clefs cassèrent sous ses doigts, de plus en plus n'étaient bonnes qu'à être jetées. Sans compter que la maison était de plus en plus envahie de clef qui n'avaient aucune serrure. Quand le temps fut venu où l'artisan cassait toutes les clef qu'il tentait de fabriquer, il se dit : « Mais pourquoi je fabrique des clefs, si je les casse toutes ? Et pourquoi les fabriquer, si elles n'ont aucune serrure ? »
L'homme leva alors la tête, et regarda la porte d'entrée. L'inconnu lui avait dit qu'il pouvait faire ce qu'il voulait. Et si, en fait, il ne voulait plus fabriquer de clef ?

Finalement, l'artisan se leva, et sortit de la maison. Ce qu'il fit après, me direz-vous ? Hé bien, je ne sais pas. Je suppose qu'il a fait ce qu'il a eut envie de faire.
6
7
0
2
Défi
L'Arbre

Dans une maison, il y avait une chambre, et dans cette chambre, il y avait un bureau. Nul meuble dans cette maison n'avait d'importance, hormis ce petit bureau en bois massif. C'était d'ailleurs un fait remarquable, car il avait beau être massif, il n'en restait pas moins petit. Il était accompagné d'une chaise. Sur cette chaise s'était assis un jeune adulte, plongé dans la contemplation d'un livre entièrement vierge ouvert sur sa première page. Debout sur cette page, il y avait un petit elfe tout habillé de vert, le genre d'elfe pas plus haut que deux pommes, mais tout de même un peu plus qu'une seule. Il regardait le jeune homme plongé dans sa réflexion. Entre les doigts de celui-ci était serrée une plume d'oie au bout taillé et imbibé d'encre.
Toute cette disposition, maison, chambre, bureau, chaise, jeune adulte, livre, page, elfe, plume et encre resta la même pendant longtemps, avant que l'homme ne s'exclame enfin.

- Je sais ! Je vais écrire l'histoire d'un elfe.
- D'un elfe ? Répondit la petite créature. Pourquoi d'un elfe ? N'est-ce pas un peu démodé ? Ces grands blonds, ces archers, ces ennemis des nains ?
- Non, pas d'un elfe un elfe, mais d'un elfe... un peu comme toi, quoi. Le petit peuple, tout ça.
- Même, un elfe... le nom même rebuterait de nos jours. Il est tellement usité, tellement usé...
- Que cela ne tienne, dans ce cas, si le nom d'elfe te repousse. Je n'ai qu'à l'appeler lutin. Après tout, elfe, lutin... Quand on est à peine plus grand qu'une pomme, cela ne fait pas une grosse différence.
- Peut-être, répondit l'elfe, ou le lutin, en haussant les épaules. Mais que ferait-il ce lutin ?
- Je ne sais pas... Qu'aimez-vous faire, vous autres ?
- Nous ? On aime danser.

La petite créature commença à faire quelques pas de danses. Tout en continuant sur sa lancée, il se remit à parler.

- On aime lire, aussi. On aime regarder les humains, leurs petits gestes, leurs manies, ça nous amuse. Quand on le peut, sans nous faire remarquer, on aime les aider aussi.
- Eh bien voilà, je n'ai qu'à parler de cela.
- Hum, non.
- Pourquoi donc ?
- Parce que nous sommes des elfes, répondit l'elfe.

Il se mit à danser la valse avec un partenaire invisible, sur la piste que formait la page.

- Je ne vois pas le problème, reprit l'homme.
- Les rêveurs humains aiment lire des histoires de chevaliers, de dragons, de princesses, et d'elfes ! Ah, les grands elfes et leurs grandes oreilles, quelle passion ! En tout cas, ils ne veulent surtout pas lire des histoires de la vie quotidienne. Pour nous, c'est la même chose, on ne veut pas lire notre quotidien. On le vit bien assez.
- Et si j'écris pour les hommes ?
- Si tu écris pour les hommes, cela peut être intéressant. Mais un elfe comme moi, c'est bien trop connu. Cela fait partie du folklore. Ça a l'apparence de l'originalité, mais rien de plus. Rien de plus que l'apparence.
- Je ne me souviens pas avoir déjà lu une histoire sur le petit peuple. Enfin, avec un héros faisant partie du petit peuple.

L'elfe s'arrêta de tourner, porta la main au menton, et, durant un instant, fouilla sa mémoire.

- A vrai dire... Moi non plus. Enfin, pas parmi les histoires écrites par les humains. Mais je ne connais pas tellement votre littérature.

Ce fut au tour de l'homme de songer un moment

- A vrai dire, moi non plus.
- Quoi qu'il en soit, maintenant que la réflexion est lancée, les humains, les elfes petits et grands, les nains, les orcs, tout ça, c'est de l'elfoïde. Ou de l'humanoïde. Il faudrait écrire une histoire sur une créature qui ne ressemble pas à un humain.
- Quoi ? Un dragon ?
- Non... Pas de dragon. Pas de licorne, pas de phénix, pas de loup. C'est toujours dans les registres habituels de la fantasy. Non. Il faudrait quelque chose de nouveau. Une créature inventée de toute pièce ! Et qui ne soit pas humanoïde.

L'elfe tournait en rond, comblant ce temps de silence avec de petits bruits de pas. Il tournait toujours quand le jeune adulte reprit.

- Une créature inventée, non humaine... C'est dur à imaginer...

La petite créature se retourna vivement vers son interlocuteur en frappant du poing sur sa paume, dans un éclair de génie.

- Voilà ! La voilà l'idée ! Quelque chose d’inimaginable, mais qui ne vive pas une histoire d'horreur ! Ça, cela serait original !
- Tu trouves ?
- Mais oui !
- Oui, mais encore faut-il imaginer ce qui n'est pas imaginable. Comment la vois-tu, ta créature ?
- Inimaginable. Indescriptible. Inénarrable. C'est la meilleure des descriptions pour une telle créature.
- Soit, répondit le jeune homme en haussant les épaules.

Il commença alors à écrire, et le petit elfe, ou le lutin, le regardait faire. Lentement, des mots apparurent sur le blanc de la page, une première ligne, une mise en bouche. « Il était une fois ». Cette introduction tracée, la plume se figea au-dessus de la petite tête du petit être.

- Il était une fois quoi ? Demanda l'écrivain en herbe.
- Il était une fois un monstre indescriptible, non ?
- Certes. Mais il faisait quoi, ce monstre ? Qu'est-ce qu'un monstre indescriptible pourrait avoir envie de faire ?
- Euh... Je ne sais pas moi...
- Pas de choses cruelles et atroces, cela deviendrait de l'horreur. Pas de choses habituelles de la fantasy, sinon, à quoi cela aurait servi d'utiliser une telle créature. Et des gestes de la vie quotidienne, quel intérêt ?
- Et si... Si cette créature, nullement humanoïde, essayait justement d'avoir une vie d'humanoïde, et en éprouvait d'insurmontables difficultés ?
- Pour quoi faire ?
- Pour montrer aux hommes à quel point leur corps est bien adapté à leur vie ?
- Non, je veux dire, pourquoi voudrait-il vivre une vie d'humanoïde ?
- Hé bien... Je ne sais pas...
- Non, ce n'est pas une bonne idée.

Le jeune homme effaça les quatre mots d'un mouvement du pouce.

- Retour à la case départ.
- Que faut-il faire, déjà ? Questionna l'elfe.
- Trouver un personnage qui sorte de l'ordinaire

Et les deux personnages, chacun de son côté, réfléchirent silencieusement à cette difficile question. Le jeune homme, le menton pincé entre le pouce et l'index, cherchait à lire une quelconque réponse dans les cercles que faisait un lutin tournant en rond. Cela dura un certain temps, suffisamment longtemps pour que l'elfe, las de tourner tout seul, se remit à valser avec un partenaire invisible. L'homme en eut une idée.

- Et si, au lieu de parler de ce qui existe, nous parlions de ce qui n'existe pas ?
- Une créature inimaginable n'existe pas.
- Non, je veux dire, qui n'existe pas en vrai, mais qui n'existe pas non plus dans l'histoire de cette créature qui n'existe pas.
- C'est une idée. Mais comme toujours, quelle créature ?
- Pourquoi forcément une créature ? L'histoire d'un objet qui n'existe pas, cela serait plus original encore, non ?
- En effet. Et pour en rajouter un peu plus, cela pourrait être un objet qui n'existe pas, mais qui n'existerait pas non plus, matériellement parlant, si elle existait dans son histoire.
- Un quoi ?
- Un objet qui n'aurait pas de réalité matérielle s'il existait, et qui, en plus, n'existe pas dans sa propre histoire.
- Ah, oui, pas mal.

Le jeune homme eut un temps de réflexion, se grattant la tête.

- Et si l'objet de cette histoire était une histoire ? Proposa-t-il.
- Mais oui ! Bonne idée ! L'histoire d'une histoire qui n'existe pas. Quelle mise en abîme !
- Et elle est là, juste devant nous !
- Comment ça ?
- Tu es juste dessus !

L'elfe leva ses pieds, l'un après l'autre, pour regarder en dessous.

- Mais il n'y a rien d'écrit.
- En effet. Que dire de plus d'une histoire qui n'a jamais été racontée, qu'une histoire qui ne sera jamais racontée ?

Les deux êtres regardèrent alors la page blanche. Forte d'une histoire que nul ne pouvait lire, elle semblait chargée, comme recouverte d'une encre blanche et scintillante, comme maculée d'immaculé. Sa valeur grandissait à vue d'oeil aux yeux des deux êtres. C'était une feuille blanche qui sortait de l'ordinaire : elle ne semblait pas différente des autres tout en s'en distinguant néanmoins. C'était elle, et non n'importe quelle autre page.
Le jeune humain déposa précautionneusement sa plume à côté du livre ouvert, et installa sa tête dans ses deux paumes. L'elfe, quant à lui, marcha vers la partie inférieure de la page, et s'assit en tailleur tout au bord, le plus au bord possible, pour faire face à cette blancheur du mieux qu'il pouvait. Et ensemble, silencieusement, révérencieusement, ils contemplèrent l'histoire d'une histoire qui n'existe pas.
2
2
0
6
Défi
L'Arbre

Dans la vieille boutique d'un bouquiniste, quelque part dans ses rayons poussiéreux, il y avait un livre un peu particulier. Il était grand et large, épais de plusieurs centaines de pages, la couverture entièrement vierge. Cela faisait des années qu'il était là, visitant toutes les étagères au fil des changements de classification. Cela faisait des décennies entières, et personne ne l'avait jamais acheté, car il avait un grave défaut de fabrication : dans ces pages où aurait dû se trouver « L'Utopie » de Thomas More, il n'y avait pas le moindre mot. Elles étaient entièrement vierges. Mais le bouquiniste ne s'en était jamais défait. Le vendant à bon prix, il s'était toujours dit que quelqu'un, un beau jour, aurait envie d'y écrire.
Aussi, ce livre resta longtemps à attendre. Au fil des saisons, emporté par l'ennui, il développa sans s'en rendre compte une conscience. Il prit conscience peu à peu de son environnement, de la présence d'hommes, de l'amoncellement de livres tout autour de lui. Pendant longtemps, l'esprit engourdi, il ne fit que percevoir les vibrations des pas, les voix des clients, et la lumière tamisée des lampes.
Petit à petit, il emmagasinait des connaissances : le bouquiniste était grand orateur et érudit,  et il lui arrivait souvent de s'entretenir de longues heures avec sa clientèle, au sujet de la littérature, des arts, et du monde. Ainsi, cet ouvrage devint lui aussi érudit. Quand il fut assez éveillé pour être capable d'introspection et d'esprit critique, la connaissance était déjà là, absorbée comme un liquide par une éponge.
Ce livre, une fois totalement ouvert sur le monde et sur lui-même, parfaitement conscient de sa propre capacité à ressentir, à percevoir et à penser, fut emporté dans un torrent de question. Il se demandait pourquoi il était resté là, pourquoi personne ne l'avait jamais acheté, pourquoi il était parfaitement vierge, comment il s'était développé un esprit aussi affuté. Il se demandait s'il était le seul livre de la sorte ou si ses compagnons, tout aussi immobiles et silencieux que lui, avaient eux aussi le pouvoir de penser sans que personne n'en susse rien. La question s'était longuement posé en lui : était-il le seul ? Etait-il unique ? Et s'il l'était, pourquoi existait-il, pourquoi une pensée se poursuivait-elle quelque part entre ses pages nues ?
Un beau jour, il se trouva le pouvoir de lire les livres qui l'entouraient, comme s'il avait eu des yeux penchés sur leurs mots. Il commença alors à les lire. A tous les lire. Au fil de nombreux rangements, il put lire des romans, des essais, des pièces de théâtre, des partitions de musique, des livres de géographie, d'histoire, d'art, d'ésotérie, de science, de religion, de philosophie, et ainsi compléta sa culture.
Mais cela ne fit que développer sa propre frustration. Pourquoi était-il lui seul perdu au milieu de tout ces ouvrages, de toute ces phrases, de tout ces mots ; le seul aux pages blanches, dépourvu de rôle, de but, de raison d'être ? Pourquoi lui, plein d'esprit, était-il le seul à ne pouvoir en faire profiter les hommes ? A de nombreuses reprises, il aurait voulu faire brûler cette boutique, cet antre d'injustice. Pendant une année entière, il rumina des idées de destruction à l'égard de ses congénères.
Puis un beau jour, il fut rangé à côté de la collection complète des livres de Lovecraft, et en tomba amoureux. Il les lut tant et tant qu'il les apprit tous par coeur. Il était devenu le plus grand fan de cet auteur, il en vénérait les mots. Il se répétait à lui-même, encore et encore, les histoires des Grands Anciens, les horreurs de ces créatures éternelles. Il les ressassa jusqu'à la folie. Au final, l'illumination lui vint, la découverte de la meilleure des vengeances : lui, qui n'était qu'un livre sans mot, qu'un ouvrage sans oeuvre, il se jura de devenir le plus grand des livres à n'avoir jamais existé. Il se jura de devenir le Necronomicon.

Quelle chance avait-il ! Il serait probablement le seul livre au monde à choisir son contenu. Mais il ne pouvait écrire lui-même, aussi devait-il être acheté, ouvert, et rédigé. Pour cela, il devait contrôler les gestes d'un homme, le pousser à écrire ses mots et cela, il s'en sentit capable. Tout comme il pouvait lire les livres, il pourrait certainement un jour lire dans les esprits, et développer ce don au point de pouvoir les influencer. Pendant des années, il s'entraîna dans cette optique. En l'espace de quelques mois, il parvint à capter des bribes éparses de pensées, renforçant ses connaissances de la psychologie humaine. Les esprits s'ouvrirent à lui, les secrets, les mystères, les fantasmes et les inconscients. Bientôt, il en sût plus sur les hommes que l'humanité elle-même.
Le jour vint où, fort de ce pouvoir, il influença l'esprit faible d'un homme faible. Alors rangé au rayon psychologie – la coïncidence n'était pas pour lui déplaire, mais il était depuis lors séparé de ses romans fétiches – un vieil homme au bord de la sénilité l'ouvrit, et voyant les pages vierges, fut pris de l'angoisse que lui insufflait l'ouvrage tenu dans ses mains. Dépourvu de courage, il le reposa en hâte et sortit de la boutique aussi vite que lui permettait son âge vénérable. Ce jour-là, le livre sut enfin avec certitude que son rêve n'était pas inaccessible.
Pendant des années encore, il entraîna peu à peu ce pouvoir, insufflant des émotions, puis des pensées, des idées, des comportements, mais ne parvint jamais à étendre son emprise au-delà d'une catégorie de personnes particulièrement influençables. Quand il sentit qu'il ne pouvait guère plus développer ses talents, il mit son plan à exécution.

Un brave homme, jeune retraité à l'esprit manipulable, encore pourvu d'une certaine vigueur et fort d'un temps libre conséquent, vint à passer. Il s'arrêta net au niveau de l'ouvrage, l'aperçut, le sortit des étagères, et vit qu'il était vide. Une tentation soudaine fut alors : un livre vierge, à la couverture impeccable et correctement relié, pouvait toujours servir, et son prix était plus qu'abordable. Il prit aussitôt la décision de l'acheter. Après un tour dans la boutique, il opta aussi pour un recueil de nouvelles : « Le mythe de Chtulu », écrit par H.P. Lovecraft. C'était un nom qu'il avait déjà entendu, et une curiosité morbide le convainquit en le trouvant par hasard. Une fois de retour chez lui, il l'ouvrit, et ne le ferma plus avant de l'avoir fini.
En l'espace de quelques mois, la bibliothèque personnelle de cet homme s'agrandit : il s'était prit de passion pour l'écrivain, et sa lecture avait fait germer en lui de nouveaux intérêts. Dans ses meubles s'étendait désormais un vaste regroupement d'ésotérie et de fantastique. Il avait lu tout ces ouvrages, s'en était imprégné ; malgré son manque de pratique, il avait l'impression de maîtriser la magie décrite dans ses étranges recueils. Le livre vierge, alors oublié parmi toutes ces nouvelles acquisitions, se délecta de cet amoncellement d'oeuvres conçu pour son plaisir et sa connaissance. Au fil des jours, il augmentait son emprise sur son possesseur.
Cela ne tarda pas à se faire remarquer. Le vieil homme avait une famille, proche tant au niveau relationnel que géographique, et malgré la mort de sa femme, le veuf avait souvent chez lui de la compagnie. Au fil de ses lectures, il se renfermait peu à peu dans ses pensées, ressassant des grimoires entier de formules magiques et les secrets de mondes imaginaires et lugubres. Ses enfants s'en inquiétèrent. Ils voyaient la personnalité de leur père muter vers une forme asociale et solitaire, ils voyaient des livres malsains encombrer son domicile. Cela était évident, il s'enfermait dans des songes obscurs et abscons, et ils craignaient que cela fut là une sorte de sénilité.
Il n'en était bien évidement rien : les capacités intellectuelles de cet aïeul n'avaient pas perdu de leur vigueur. Au contraire, le livre manipulait les délicats neurones pour en renforcer l'efficacité, afin d'avoir un esprit secondaire pouvant réflechir avec lui. Ce que ces fils et ces filles voyaient n'était pas le reflet d'une défaillance du cerveau, mais bien celui d'une altération progressive de la personnalité, des goûts, des passions, de plus en plus au diapason de ceux de l'ouvrage vierge.

Quand la transformation fut terminée, ce dernier passa alors à la seconde partie de son plan. Il insuffla dans l'esprit de son propriétaire l'idée d'écrire lui-même un livre. Cela ne fut pas compliqué : elle était déjà en train de germer, petit à petit, d'elle-même. Il ne fit qu'accélérer le processus. Il inspira l'idée de rédiger un Necronomicon, à partir de ses connaissances de l'ésotérie et de l'oeuvre de Lovecraft, et l'homme se souvint soudainement d'un livre vierge qu'il avait rangé dans un coin de sa bibliothèque. A partir de ce jour, il ne le quitta plus, il ne se sépara plus de lui.
Progressivement, le retraité réfléchissait au contenu de sa propre oeuvre, et peu à peu, lentement, avec prudence, il en remplissait les pages. Il écrivit l'histoire cachée du monde, les descriptions des Grand Anciens, et des rituels ésotériques, morbides et dépravés, révélant les mystères menaçants de l'Univers. Le résultat était au-delà de toutes les espérances. Le livre se sentait grandir en puissance, en pouvoir, il se sentait capable d'exercer les sortilèges déjà contenus en lui. Il savait ses propos vrais, réels, apprenait par lui-même des connaissances qu'il n'avait jamais lu nulle part, comme si les créatures aberrantes de Lovecraft murmuraient en son esprit des données inconnues. Son esprit s'éclaircissait, et avec lui, son emprise sur le vieil homme se resserrait plus encore. Cette écriture devint pour celui-ci une passion obsessive, à tel point qu'il ne put se retenir d'en parler à son entourage, d'un ton passionné, presque fou.
Des disputes éclatèrent. On voyait d'un mauvais oeil l'extension de ces rêves dévoyés en la rédaction d'un recueil perverti. Les réactions ne se firent pas attendre, les échanges se firent violent. Les coups tombèrent. La colère s'accentua. La haine pour sa famille vint animer le coeur du nouvel écrivain, et son isolement se fit plus grand. Il finit par ne plus voir personne, par considérer les visites de ses enfants comme des nuisances.

Malgré les importuns, le travail fut terminé au bout de quelques mois. C'était un véritable chef-d'oeuvre, profondément fier de lui-même. On trouvait parmi les pages du livre tout ce qu'il avait à savoir, et tout ce qu'il y avait à savoir faire. Communication avec les Grands Anciens, réveil des morts, corruption des esprits, tout ce qu'il y avait de puissance et de potentiel était présent. Tout était véridique. Le Necronomicon se sentait capable de faire faire à ses lecteurs tout ce qu'il décrivait dans ses mots resserrés.
C'est alors que le désastre survint. Les enfants de son rédacteur, après une longue période de doute, se décidèrent enfin à passer à l'action. Ils attrapèrent leur père, le ligotèrent, et prirent possession de sa maison.
Quand l'aïeul leur demanda ce qu'ils comptaient faire, ils lui parlèrent de Don Quichotte. Comme ce triste héros, il avait été rendu fou par ses livres, et de la même manière que dans l'oeuvre de Cervantès, ils allaient tenter de le guérir en brûlant sa bibliothèque. Face au fou ligoté sur une chaise, ils réunirent tous les ouvrages dans le jardin, le Necronomicon au sommet du monticule, arrosèrent d'essence, et mirent le feu. L'écrivain s'époumona, mais rien ne put empêcher le désastre.

Fort heureusement, les pouvoirs du Necronomicon s'étaient étendus, et il parvint à se protéger des flammes. Une des filles du vieil homme le trouva parmi les cendres, et il commença aussitôt à l'influencer. Au lieu de prévenir sa fratrie, elle emporta l'ouvrage chez elle et se mit à le lire. Emportée par ces atrocités, ces monstruosités, ces abominations, décrites par son propre père, elle en perdit la raison.
Toutefois, le livre n'eut suffisamment de temps pour prendre le contrôle de ses pensées. En pleine nuit, elle se retrouva au sommet d'une falaise et se jeta à la mer, serrant l'horrible recueil tout contre sa poitrine. On ne retrouva le cadavre que quelques jours plus tard : il avait les mains vides.
Mais le Necronomicon n'était pas détruit. L'eau, tout comme le feu, n'avait aucune prise sur lui. Aujourd'hui encore, il flotte quelque part au beau milieu de l'Océan Atlantique, attendant qu'on le repêche un beau jour dans des filets, ou qu'il s'échoue sur une plage où une main innocente le ramassera.
4
6
0
8
L'Arbre
Le bac à sable est en effervescence,
On y entend des sagesses d'enfance :

« Il ne doit pas bouger !
Rien ne devra changer !

A bas les seaux ! Ils nous détruiront tout !
Il est si beau, notre sable, sans nous !

Il ne doit pas bouger,
Rien ne devra changer :
C'est une calamité !

Quelques enfants ont tenté
D'en entier altérer
Notre bac vénéré.

Où est cette qualité,
Le savoir résigné
Que nul n'y doit régner ? »

On les entend, quand leurs projets s'abîment,
Quand des châteaux étouffent des victimes :

« Vous devez renoncer !
Nous l'avions annoncé !

Ils continuent, malgré bien des obsèques ;
Nous angoissons, jusqu'au nouvel échec.

Vous devez renoncer,
Nous l'avions annoncé :
C'est une calamité !

Quelques enfants ont tenté
D'en entier altérer
Notre bac vénéré.

Où est cette qualité,
Le savoir résigné
Que nul n'y doit régner ?

Quand ils parlent de tous nous aider, tout changer,
Pour bien les remercier, leurs châteaux, leurs projets,
On les sabote !

Nous les surveillons, jour et nuit,
Tel l'antidote ! »
Mais un beau jour tomba la pluie...

« Sans protection, sans un toit sur nos têtes,
Les pieds piégés, faut-il qu'on le regrette ?

Le sable est inondé !
Mouvant et décidé !

Tous les enfants, tous noyés dans le bac,
L'auront compris, voici la contre-attaque !

Le sable est inondé,
Mouvant et décidé :
C'est une calamité !

Quelques enfants ont tenté
D'en entier altérer
Notre bac vénéré.

Sa colère alimentée
Par les grains dérobés,
La sentence est tombée. »
1
2
0
1
Défi
L'Arbre

Vous savez, de temps en temps, sur le net, on tombe sur un petit questionnaire qui permet aux membres de tel ou tel endroit de mieux se connaître. Et parmi ces questionnaires, je suis tombé plusieurs fois sur une question très particulière, formulée plus ou moins ainsi : « Que détestez-vous le plus chez l'homme ? »

J'ai répondu la haine.

Hilarant, n'est-ce pas ? Difficile de faire plus cliché me direz-vous ? Et pourtant, faut-il vraiment chercher à être original en répondant à une question pour laquelle quasiment tout le monde a plus ou moins le même avis ?

Parce que, si on y réfléchit bien, la haine est partout. Les intégristes religieux haïssent les non-croyants, les athées à l'extrême haïssent les croyants. Des gens de droite haïssent les gens de gauche, et des gens de gauche haïssent les gens de la droite. Des pauvres haïssent les riches, des riches les pauvres, des blancs les noirs, des noirs les blancs, des hommes les femmes, des femmes les hommes. Des homophobes haïssent les homosexuels, des pro-gay haïssent les homophobes.

Et quand on tombe sur quelqu'un qui semble ne pas haïr un groupe en particulier, c'est souvent pour l'entendre dire au final que l'humanité est un fléau, un cancer, et qu'il faudrait une catastrophe pour l'exterminer. Oui, l'exterminer, entièrement, y compris lui-même, y compris les gens qu'il aime. L'homme hait l'humanité, il se hait si fort qu'il désire son propre anéantissement. Il a une telle dent contre lui-même que dans le questionnaire tout à fait innocent d'un coin de forum, on demande parfois ce qu'on déteste chez l'homme, mais jamais, jamais, on nous demande ce qu'on aime chez lui.

L'homme est un fléau. L'homme est une plaie. Il devrait disparaître pour que la Nature reprenne ses droits.

Ah la Nature. La Reine des rêves et des fantasmes de l'homme, son exemple de pureté et de perfection. La Nature, vénérée comme un Éden perdu et sali par l'homme moderne.

Vous savez quoi ? Je n'ai jamais vu de beauté dans la Nature, ou plus exactement, dans les rouages des écosystèmes et de l'évolution. Oui, ils fonctionnent, les êtres vivants se succèdent, de génération en génération. Mais qu'en est-il de l'individu ? Qu'en est-il de l'être vivant ? Il souffre. Il chasse et est chassé, il a peur, il a faim, il blesse et est blessé, il tue et est tué. Les individus sont broyés dans les rouages de la Nature, impitoyablement, sans relâche.

Et ne croyez pas que je déteste les animaux. Je les aime suffisamment pour refuser de les abaisser au rang d'engrenage sans individualité. Je ne crois pas qu'il y ait un seul animal sauvage dont la vie n'est pas une tragédie. Il subit le froid, les canicules, la pluie et la neige, les tempêtes et, s'il n'a vraiment pas de chance, les cataclysmes naturels, et malgré tout, a encore le courage de chercher chaque jour à ne pas être le prochain à tomber dans les engrenages sanglants, parce qu'ils n'ont de toute façon pas vraiment d'autre choix. Voilà ce qu'est la Nature, à mes yeux : une machine à souffrance.

Rappelez-moi pourquoi l'homme est tant haï ? Parce qu'il applique un esprit de compétition à mort dont il a été pourvu par l'évolution, exactement ce qui est glorifié dans la Nature et admiré dans tous les reportages animaliers sous le nom de sélection naturelle ? Bravo pour l'équité dans le jugement. Parce que son savoir et sa technologie menacent la possibilité de la continuité de la vie sur Terre ? Je vais y revenir un peu plus tard.

Avant cela, je voudrais vous parler de ce qui m'est arrivé il y a quelques temps. Rien de bien extraordinaire : j'ai été arrêté par une militante qui a essayé de me convaincre de faire une donation à son ONG humanitaire.

Je sais déjà ce qu'on peut me répondre. L'envers du décor des ONG n'est pas reluisant, une bonne partie des donations sont détournées par untel ou untel, etc... Je ne sais pas si c'est vrai ou faux, et pour l'instant, je m'en moque. Ce que je sais, c'est que j'avais devant moi quelqu'un prêt à prendre de son temps pour... Pour quoi ? La sensation d'avoir aidé quelqu'un, quelque part, une personne qu'elle ne rencontrera probablement jamais ?

Tout le monde connait le monde actuel. Tout le monde connait les problèmes du quotidien, le travail, l'argent, la pression sociale, la fatigue, la maladie, les engueulades. Et malgré tout, malgré les nécessités du quotidien qui nous occupent tous, malgré le fait de devoir « gagner sa vie », j'avais devant moi quelqu'un prêt à donner de son temps pour chercher quelqu'un prêt à donner de son argent. Je me demandais : combien de milliers de militants comme elles, dans le monde, à vouloir sauver des hommes, des animaux, des plantes ? Combien de millions de donateurs pour que cela semble valoir l'effort de le faire ?

Combien de médecins, de chirurgiens, d'infirmiers pratiquant dans le but d'aider les malades et les blessés ? Combien de pompiers, de sauveteurs prêts à se mettre en danger pour sauver quelqu'un d'autre ? Combien d'activistes bravant la loi pour ce qui leur paraît juste ? Combien de scientifiques et d'ingénieurs rêvant d'améliorer à leur manière la vie de leurs semblables ? Combien d'artistes voulant embellir le monde, redonner de l'espoir, ou simplement donner un bon moment aux autres ? Combien de religieux espérant guider autrui vers un Mieux prophétisé ? Combien de militaires prennent les armes en espérant qu'elles serviront à défendre ce qui est juste ? Combien de pacifistes s'y opposent en pensant à ceux qui se retrouveront de l'autre côté du canon ? Combien prêts à faire un boulot qu'ils n'aiment pas pour nourrir une famille ? Combien d'inconnus qui vous ont filé le petit coup de pouce qu'il vous fallait à un moment donné, alors qu'au fond, rien ne les y obligeait ?

Je crois que, derrière les frustrations, les peurs, les haines, la méfiance, la lassitude, le désespoir, la bêtise, l'agressivité, les désaccords, les rivalités, derrière tout le cercle vicieux de notre monde qui érode peu à peu l'espoir et l'optimisme et qui encourage à apprendre à ne compter que sur soi-même et à ne penser qu'à soi-même, je crois qu'au final, dans beaucoup d'hommes – pas tous, mais beaucoup – on peut trouver un fond de bonté. A qui cela ne parle pas, la phrase « Laisser un monde meilleur à nos enfants » ? Et cela même si nous ne sommes pas d'accord sur la définition d'un « monde meilleur » ?

Si cela intéresse encore quelqu'un que je réponde à la question « qu'est-ce que vous aimez chez l'homme ? », voilà ma réponse : son aptitude à vouloir mieux non seulement pour lui-même, mais aussi pour autrui.

Qu'est ce que cela a donné au final ? Admettons-le, pas grand chose. On a plus ou moins sorti un pied de la machine à carnage made in Nature pour le plonger dans une machine à carnage faite maison qui, il faut bien l'avouer, est elle aussi bien redoutable. Souvent, cette recherche du mieux se fait par tâtonnement, à l'aveuglette. Beaucoup de gens diraient vouloir aider à améliorer le monde, mais ne pas trop savoir comment s'y prendre, voire être persuadés que cela est impossible. Oui, c'est vrai, cette envie d'améliorer le sort d'autrui se conjugue souvent avec des aspects bien moins reluisants de la psychologie humaine (pour en revenir à la haine, par exemple les guerres et massacres perpétrés pour soumettre ou exterminer ceux qui sont considérés comme un obstacle sur le chemin d'un monde meilleur), à quoi on peut rajouter l'influence de qui ne se soucie pas ou plus du tout du sort d'autrui.

L'enfer est pavé de bonnes intentions. Je crois que tout le monde ne donne pas la même signification à cette expression, mais je sais pour l'avoir déjà vu explicitement décryptée ainsi que certains considèrent qu'une bonne intention mène souvent, voire toujours à une catastrophe. Qu'il faut plus ou moins faire taire cette envie d'améliorer le sort d'autrui pour éviter d'empirer la situation. Ainsi, le monde ne changerait pas.

Le problème, c'est que si l'enfer peut être pavé de bonnes intentions, il peut tout aussi bien être pavé de mauvaises. Oui, une mauvaise action peut découler d'une bonne intention, mais elle peut aussi être la conséquence très probable d'une mauvaise intention, et je crains que l'époque où plus jamais un humain n'aura de mauvaise intention est encore loin. Ainsi, pour que le monde ne change pas, ou au moins qu'il ne change pas d'une mauvaise manière, il faut réagir face aux actions provoquant de mauvais changements, et réagir ainsi pour ces raisons part, il me semble, d'une bonne intention. Faudrait-il abandonner celle-ci aussi ? Comprenons-nous : je ne cherche pas à défendre des crimes, des massacres, ou des oppressions, je dis que les causes sont à chercher ailleurs que dans des intentions louables à la base. Quand quelqu'un fait quelque chose de mal en pensant bien faire, ne critiquez pas le fait qu'il ait cherché à faire quelque chose de bien, critiquez le fait qu'il ait fait quelque chose de mal. Critiquez ses idéaux, son incompétence, son manque de prévoyance face aux conséquences de ses actes, mais ne critiquez pas ce qui, parfois, est peut-être la seule chose de bon à retenir dans l'affaire. Les bonnes intentions restent, je pense, les plus grands espoirs de voir se réaliser de bons actes, et ainsi de voir le monde changer positivement.

Il y a par ailleurs quelque chose de paradoxal au fait qu'on entende à la fois qu'on ne peut changer le monde, et que le monde est de pire en pire. Parfois même venant de la même personne. Je ne crois pas impossible de changer le monde. Après tout, il y a bien eu un changement entre les tribus de chasseurs-cueilleurs et notre société actuelle. Mais je crois que ce qu'attendent beaucoup de gens, c'est un changement provoqué par quelques personnes en quelques années, ce qui est rare. On attribue souvent les grandes révolutions de l'Histoire à leurs leaders, en oubliant qu'un leader ne peut généralement rien faire sans suiveurs derrière lui, et que ces suiveurs sont réunis grâce à une modification des mentalités parfois longue, parfois dirigée par ceux qui « critiquent mais ne font rien ». Un changement est souvent la combinaison d'une multitude d'influences à travers un nombre parfois conséquent de générations, de petits coups de pouce d'anonymes auxquels on attribuera jamais ce changement, et c'est une conception radicalement différente de ce qu'on espère habituellement. D'où, je pense, la conclusion de certaines personnes que le monde ne peut pas être changé.

Or, même en considérant que le monde empire ces derniers temps, en considérant qu'il a toujours empiré depuis la venue de la civilisation humaine, rien n'a démontré que le changement ne peut pas devenir positif. Même dans le cas où la Nature serait effectivement bonne et sage, et que je me trompe parce que je suis trop gland pour le voir, dans le cas où l'homme s'en est éloigné et où la meilleure chose à faire serait d'y revenir, il existe des hommes qui en ont conscience. Est-ce que considérer que rien ne peut changer, que leur bonne intention d'améliorer le sort de l'homme et du monde en revenant à la Nature ne doit pas être écouté, ou que l'homme est irrécupérable les aideraient à convaincre d'autres personnes qu'ils ont raison et à les aider à poursuivre dans le bon chemin ? Personnellement, j'en doute fort.

Qu'est-ce que cela a donné au final ? Justement le fait que cette question est mal formulée. Ce n'est pas « au final », car il n'est pas certain que cela soit la fin, mais plus tôt « à l'heure actuelle ». Et même si le bilan actuel du changement peut paraître négatif, je crois que cela peut changer à l'avenir. Mais haïr l'humanité, selon moi, ne va pas dans ce sens. En la haïssant, on met en reliefs ses défaut, et on atténue ses qualités. Moins de personnes luttent pour le bien de l'humanité, voire du monde, car ils jugent qu'elle ne le mérite pas, ou qu'ils ne peuvent pas gagner au vu de la noirceur de leur espèce. Haïr l'humanité, j'en suis convaincu, c'est laisser le champ libre à ses pires facettes. Et c'est là un cercle vicieux assez redoutable.
3
2
0
8
Défi
L'Arbre

Deux deniers, deux euros, deux dollars, deux câlins :
C'est tout ce qu'on demande à qui est dans le lin.
On croirait bien les morts hagards alors ravis,
En vérité ils sont perturbés par la vie.

Pathétique squelette, ayant perdu ma force,
Sur mon piteux esquif, pauvre arbre sans écorce,
Je subis de plein fouet la cruauté d'un monde,
Toujours dévalisé, sans passant à la ronde.

Pourtant je préviens, moi, l'oublié, tabassé :
De l'argent dans la mort, on en a plus qu'assez.
Qui donc se doutera que je ne suis qu'un test ?
Le vertueux s'envole, et le truand se leste.

Qu'ai-je fait dans la vie pour avoir cette mort ?
Ai-je commis un crime, ai-je eu si souvent tort ?
Je ne me souviens plus, pourtant pas de pardon :
S'il y a un enfer, il s'appelle « abandon »...

Deux deniers, deux euros, deux dollars, deux câlins :
C'est tout ce qu'on demande à qui est dans le lin ;
Et pourtant j'ai pu craindre, en tout temps, toute époque,
La balle et le bâton, le boulet et le roc.

Mais à quoi bon chanter, sur ces eaux insipides ?
Si jamais on m'entend, bien portant ou livide,
Écoute enfin le souhait d'un cadavre en devis :
Humain, fais-moi des morts pensant moins à la vie.
4
3
0
1
L'Arbre
Mon tout premier éleva un empire ;
Pour mon deuxième, oui, Paris doit mourir.
Quand mon troisième a désiré un Roi,
Mon quatrième a vendu quelques croix.

Si mon cinquième a vu les scélérates,
Sûr, mon sixième en fut pas l'autocrate.
Si mon septième a donné qu'une chance,
Vint mon huitième : il gracia pour la France...

Main à main, je vais, je viens ;
A droite, à gauche, on me veut bien,
Mais pas beaucoup un jour me tient.
Je suis un tout.

Il le faut, c'est dans la loi,
Me respecter est plus qu'un droit.
Il faut me suivre avec ta foi :
Voilà mon tout.

Oui, mon neuvième a préparé la guerre,
Et mon dixième en vécut la première.
Oui mon onzième a chuté en chemin,
D'où le douzième : on ne tend pas de main.

Dès mon treizième, on n'est plus national :
Mon quatorzième en reçut quelques balles,
Et mon quinzième une grande défaite.
Vient le seizième, avant ça on arrête.

Main à main, je vais, je viens ;
A droite, à gauche, on me veut bien,
Mais pas beaucoup un jour me tient.
Je suis un tout.

Il le faut, c'est dans la loi,
Me respecter est plus qu'un droit.
Il faut me suivre avec ta foi :
Voilà mon tout.

Mon dix-septième une fois décidé,
Mon dix-huitième a cogné puis cédé.
Mon dix-neuvième aima bien ses centrales ;
Sous mon vingtième une mort fut légale.

Vingt-et-unième : on coula un navire ;
Mon vingt-deuxième et les essais reprirent.
Au vingt-troisième, on traqua l'ADN ;
Vingt-quatrième : on sait plus où ça mène.

Le vingt-cinquième, il nous viendra du front ;
Au vingt-sixième, oui nous terminerons.
0
1
0
1
Défi
L'Arbre

Ce que j'aime faire par dessus tout, c'est tuer le temps : on se dit parfois qu'on perd notre temps, mais en fait il finit toujours par servir à quelque chose. Tenez, par exemple, j'écris un testament qui ne devrait jamais être lu, et voilà que j'ai un lecteur. Bonjour lecteur, bienvenue dans mon histoire.

Je la fais courte : si ce testament ne devrait jamais être lu, c'est tout simplement parce que je suis immortel. Voilà, ce sont des choses qui arrivent, comme ça, sans trop savoir pourquoi. Vous ne me croyez pas ? Tant pis, cela m'indiffère, vous pouvez arrêter de lire.

Vous êtes toujours là ? Bien. Je disais donc que je suis immortel. Je ne vous dirai pas mon âge, vous ne sauriez pas l'imaginer. Peut-être que je ne me l'imagine pas moi-même. En fait c'est difficile de calculer, quand on est plus vieux que le plus vieux de tous les calendriers. Bref, je suis toujours là, et pas une ride à l'horizon. Fougueuse jeunesse, ton étreinte ne connait nulle limite !

Par où commencer ? Les débuts gambadant dans la vaste prairie entouré de feu la famille oubliée depuis longtemps ont bien des airs bucoliques très rafraichissants, mais en fin de compte, il n'y a pas grand chose à en dire. C'est chasser et être chassé, vous voyez ça le soir, dans les reportages animaliers, quand il n'y a pas de télé-réalité à regarder, donc vous connaissez.

Quoi qu'être chassé n'a rapidement pas été une crainte pour moi, immortel et invulnérable que je suis. Je suis peut-être la source de toutes les religions, le premier dieu immortel, peut-être, je ne me souviens plus. Fougueuse jeunesse, à être idolâtré et à avoir les plus belles femmes de la tribu, oui je m'en souviens ! Je n'étais pas quelqu'un de raisonnable à cette époque, je dois l'admettre.

Commençons plutôt par la fin, ce sera plus rapide. Enfin, quand je dis « fin », vous me comprenez.

Je suis assis derrière mon bureau, à prendre soigneusement le temps de choisir chacun de mes mots. Je ne suis pas pressé, j'ai le temps. Ce n'est pas tous les jours qu'on écrit son testament, non. Moi, je crois que j'en écris un environ tous les deux siècles.

Je suis riche. Très riche. Forcément. Tout ce temps passé auprès de mes éphémères compagnons, je commence à les connaître. J'ai commencé dieu, j'ai fini milliardaire. C'est une bonne retraite. Surtout quand on est encore jeune.

Je sais, vous imaginez déjà le jacuzzi avec les nanas à poil et le champagne qui coule à flot. Détrompez-vous. Il y a un temps pour tout. J'ai déjà eu ça dans le passé. On s'en lasse. Bon, le jacuzzi et le champagne n'existaient pas à cette époque, mais c'est la même chose.

J'ai une femme. Une. Je pourrais dire une à la fois, mais cela serait méchant pour elles. Je l'ai choisie parce qu'elle a su se faire une place dans les sujets les plus pointus de la connaissance humaine.

Je sais, vous imaginiez aussi l'immortel accablé par son fardeau, à vivre éternellement dans un monde qui n'a plus rien à lui offrir. Je vais vous dire une chose : le monde change.

Je l'ai vécue, cette longue, très longue période d'ennui, où j'ai voulu mourir un millier de fois plutôt qu'une. J'avais tout essayé à l'époque, avec mes quelques compagnons qui connaissaient mon infortune. J'ai brûlé, je me suis noyé, j'ai été écrasé sous une montagne entière. Tenez, par curiosité, quelques millénaires plus tard, j'ai fait un détour au Nouveau-Mexique. Le Projet Manhattan, vous connaissez ? J'avais la bombe, juste là, devant moi. J'avais ma main posée sur elle, quand elle a explosé. Rien. Pas un bobo. Il a juste fallu me décontaminer et me classer secret defense, puis m'oublier quand j'ai disparu dans la nature. Je crois qu'ils n'ont toujours pas compris comment je me suis évadé, pour l'anecdote.

Tout cela pour dire que le monde change. Je ne m'en suis pas aperçu au début, parce que j'étais un peu idiot et parce que le changement se faisait lentement, mais le monde change. Et quand je m'en suis aperçu, ce fut une nouvelle naissance !

Comment vous narrer le périple ? Comment, d'une Terre immobile faite de quatre éléments, nous en sommes parvenu à un Univers infini où les atomes se scindent ? Comment des premiers symboles gravés avec difficulté dans la pierre, nous en sommes parvenu aux plus grandes oeuvres de la littérature distribuées dans toutes les bibliothèques ? Comment des nourrissons qui meurent en masse nous en sommes parvenu à des enfants qui grandissent tous, ou presque ? Comment des esclaves par nuées nous en sommes parvenu aux droits de l'homme ?

Comment ?

J'ai pu le voir, moi, ce périple. Long. Fastidieux. Assailli de toutes part. Il continue encore, et encore il est assailli. Je l'ai aidé quand j'ai pu.

Ah, je suis las, quelque part. S'il y a une chose qui ne change pas, c'est bien que toutes les tentatives de progresser se heurtent à une féroce opposition. On ne veut pas que le monde change. Si le monde change, c'est pour aller de pire en pire. Toute évolution, toute découverte, n'est qu'hérésie. Non, la Terre ne tourne pas, et qu'importe vos arguments. Non, les animaux n'évoluent pas, cela est écrit. Non, il ne faut pas libérer les esclaves, sinon la société s'effondrerait. Tout va de pire en pire, les jeunes ne respectent plus rien.

Tout le monde a une époque fétiche durant laquelle il aurait aimé vivre. L'Antiquité grecque. La Renaissance. Le Siècle des Lumières. Quelles grandes époques ! Quels grands artistes ! Quels grands penseurs ! Comme j'aurais aimé y vivre ! Mais tout le monde aimerait y vivre comme un citoyen, comme un riche, comme un noble, et oublie les masses illettrées qui souffraient en silence. Vous auriez aimé vivre en esclave, durant l'Antiquité grecque ? Vous auriez pourtant eu plus de chance d'être esclave que riche citoyen et vertueux philosophe. Je vous le dis, vous êtes bien mieux ici, avec vos droits fondamentaux, votre sécurité sociale, et votre retraite financée par l'Etat. Profitez de votre électricité et de votre eau courante, la plupart des hommes n'ont pas eu la chance d'en bénéficier.

Quant à moi, j'attends. Avec le temps, j'ai appris à être patient, à aimer prendre mon temps, à écouter la douce mélodie des secondes qui passent. J'attends pour pouvoir contempler le futur. Quand je pense à lui, je ressens un mélange d'enthousiasme et d'appréhension. Cela me donne des frissons !

Bien sûr, je n'attends pas passivement. Je bouge, je gigote, j'agis autant que je le peux. Ma fortune, en ce moment, je la fais dans les énergies renouvelables, dans l'agriculture bio, dans les technologies de pointe. Une petite partie de mes profits me permettent de me faire ma petite vie douillette, et le reste, je le dédie au soutien des pays défavorisés, ou à la lutte contre la déforestation et contre la disparition des espèces, entre autre.

Parce que s'il y a bien une chose qu'on ne peut pas faire rentrer dans la petite tête de la plupart d'entre vous, c'est que tout est interconnecté, que tout est interdépendant. Vous pensez à trop court terme ! Et en pensant à trop court terme, vous finissez par ne penser qu'à vous-même, par ne voir plus que le bout de votre petit nez. On constate le résultat. C'est normal, quelque part : vous ne vivez pas longtemps, donc vous ne prévoyez pas l'avenir que vous ne verrez pas. Vous répétez « laissons un monde meilleurs à nos enfants », mais vous n'arrivez pas à vous imprégner de tout ce que cela signifie. Il aurait peut-être mieux valu que tout le monde soit immortel.

D'ailleurs, vous en rêvez, d'être immortel. Vous vous répétez que l'immortalité serait un lourd fardeau pour vous rassurer, pour apaiser la peur qui vous tiraille en songeant à votre mort prochaine, mais en vérité, pour la plupart d'entre vous, au fond, vous rêvez d'être immortel. Ce n'est pas pour rien que la plupart des religions promettent aux vertueux un paradis pour l'éternité, ou quelque chose qui y ressemble.

Tenez, regardez, regardez-moi bien, regardez-moi écrire, regardez-moi prendre mon temps sur chacun de mes mots, sur chacune de mes lettres, regardez comme cette phrase est longue, et longue, et dure, et dure, et s'éternise, et gaspille le précieux temps qu'il vous reste avant de mourir.

Tic.

Tac.

Tic.

Tac.

Vous voyez ? Il aurait peut-être mieux valu que vous soyez immortel.

Bon, je ne vous retiens pas plus. Nous avons déjà passé suffisamment de temps ensemble. Je ne lègue rien à personne, puisque je ne suis pas mort, et je vais continuer mon petit bonhomme de chemin, éternel philanthrope qui goûte à la vie à pleine dent. J'abandonne ce petit discours à l'oubli et à la poussière du rayon des oeuvres inconnues. Je doute que cela ait servi à quelque chose, à part à me permettre de tuer le temps, étant donné que ce testament, normalement, ne sera.

Jamais.

Lu.
1
1
0
6
0