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Elisa

Défi
Elisa

—  Si je meurs jeune, j’aimerai que ce soit ici. Au milieu des prairies, juste à la fin de la nuit. J’aimerai que tu sois là pour me rappeler pourquoi, dans la rosée du matin, je suis étendue sur un lit de roses.
Lorsque je regarderai le ciel, j’aimerai voir des oiseaux… Qui planent, qui batifolent, qui vivent ! Je veux voir sa clarté une dernière fois, empli de rêve et d’espoir.
 Et les arbres ! Et les plantes ! Chacune de mes cellules devra être imprégnée de leur odeur. Ils ont de la chance, n’est-ce pas ? Ils ne mourront jamais réellement, eux. Je vois ton sourire, et il me réchauffe le cœur. Je veux que tu continues de sourire, de t’amuser, de rire. Car c’est ce que chacun de nous devrait faire, je pense.
Nous marcherons dans l’herbe humide, loin de nos malheurs. Loin de cette vie placide, là où il n’y a plus d’heure. Nous zigzaguerons entre les arbres, courrons au milieu des taillis, écouterons les doux sons de nos cris, dans ce lieu qui restera ma dernière chambre.
Car si je meurs jeune, je veux que ce soit dans la joie.
Je ne veux pas nier, je ne veux qu’aimer. Car je n’aurai pas le temps de vivre mes rêves, ni de rêver. J’aurai juste le temps de profiter de toi, de nous, et des autres.
Car si je meurs jeune, ce sera dans l’amour. Avec les personnes que j’aime.
Et puis il y aura ton regard. Empli de larmes, mais si beau. Dans les tons bleus, bleu chaleureux. Alors, assis, tu me raconteras. Je veux tout savoir sur le monde, sur la vie, et sur toi. N’aies pas peur de me lasser, il ne te reste pas assez de temps pour cela. Je me souviendrais du murmure de ta voix, si tant est que je me souvienne de quelque chose. Il est semblable au vent, qui fait mal tout en étant doux, glaciale source de chaleur. Comme d’habitude, tu t’exprimeras avec des grands gestes. Je trouverai ça mignon, et je rougirai au lieu de te le dire.
—  Mais tu ne vas pas mourir.
Lorsque tu me dis cela, un jour où nous sommes justement assis dans cette clairière, le vent fait légèrement onduler mes cheveux, et j’accueille avec délice sa caresse, les yeux fermés. J’inspire un bon coup et me contente de répondre :
— C’est vrai. Mais on ne sait jamais.
— Tu veux toujours tout prévoir.
— Les prévisions sont difficiles, surtout lorsqu’elles concernent l’avenir.
— Qui a dit ça ?
Je souris.
— Pierre Dac. Tu es toujours incapable de te souvenir des noms.
— Il n'y en a qu'un que je souhaite retenir; et c'est le tien. Alors dit moi, y aurait-t-il une place pour moi dans ton cercueil de roses ? 
— Non.
Je vois que tu te vexes, ça me fait rire.
— Je peux te demander pourquoi ? 
— Parce que tu mourras vieux.
— Qui a prédit cela ?
—  C’est moi. Quel est l’intérêt d’arrêter une si belle vie ?
— Quel est l'intérêt de la vivre si tu n'es plus là ? 
Je soupire et m’allonge dans les joncs. Thomas, tu ne tu ne comprends donc pas que je ne veux pas devenir vielle. Car le jour où je le serai, tu ne m’aimeras plus. Je préfère partir vite, comme un coucher de soleil, pour que tu te souviennes de moi comme ton amour perdu.
Car si je meurs jeune, je deviendrai immortelle. 
Une feuille tourbillonne et atterrit sur ma poitrine. Elle est verte et jeune, mais rejoint déjà, avec une simplicité enfantine, le sol qui l’a vu naître.
—  Tu me trouves égoïste ?
Je fais tourner la feuille entre mes doigts. Elle craque, chante, bourdonne. Peut-être que je ne devrai pas faire cela ; ce n’est pas très respectueux. Est-ce qu’une feuille se soucie de savoir si son esprit repose en paix ? J’enterre la feuille.
—  Pourquoi le ferais-je ?
Je me lève et tu m’imites. Je n’ai pas envie de répondre à cette question, je ne sais pour quelle raison, mais tu le comprends et m’acquittes.
— Thomas, si je meurs jeune, ce sera toi qui me manqueras le plus. 
Je me mets à chanter, et en moi je sens la liberté. Qui coule dans mes veines, qui pulse au rythme de mon sang. Je danse, je me sens comme une partie attenante de ce décor féerique. Durant ma vie, j’ai toujours eu l’impression d’être une étrangère. Comme si, finalement, une partie de moi n’aspirait qu’à redevenir poussière, au milieu de toute cette beauté.
Tu me regardes. Moi, je te dévore.
— Léa… Attends un peu. Ferme les paupières, et imagine. Imagine-nous, assis dans l’herbe humide, dans ces mêmes prairies. Tes cheveux sont argentés, mon visage est creusé de rides, mais le tien est toujours d’une telle beauté… ! Et nous continuons de rire, et je continue de te raconter le monde. J’ai toujours autant envie de te prendre dans mes bras. De t’embrasser, de t’aimer jusqu’à toujours.
Malgré moi un sourire se dessine sur mes lèvres.
— C’est beau, ce que tu me racontes.
—Maintenant imagine. Nous nous sommes retrouvés aujourd’hui. Je te parle, mais il n’y a que le bruissement des feuilles pour me répondre. Ta voix, elle, s’est évanouie. Pour toujours, à jamais, oubliée dans les ombres ! Nous sommes ensemble, mais toi, tu es enfuie dans ton cercueil de roses, qui sont fanées, qui n’existent certainement plus, et toi avec elles !
 Léa, je veux pouvoir être assis avec toi dans ces prairies, même dans cinquante ans. Je veux pouvoir parler de nos souvenirs, de toutes ces belles expériences que nous avons vécues ensemble. Et je veux que tu puisses me répondre. Est-ce si dur à comprendre ?
Une larme roule sur ma joue, et tu l’essuies d’un geste tendre. Tes mains sont glacées, mais je ne peux m’empêcher de les prendre, de les serrer contre mon cœur, contre mon être entier.


— Je ne sais pas. Si je meurs jeune, j’aurai le temps d’y réfléchir. 
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Défi
Elisa
Quand le Petit Prince rencontre le Capitaine Crochet, puis Don Quichotte...
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Défi
Elisa
Nous, Hommes, pensons que nous sommes si importants... Que notre vie a une valeur supérieure à celle d'autrui.
Eh bien, homme, n'oublie pas que ta vie n'est pas si différente que celle d'une ampoule.
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Elisa

 C’est ça. Pleure. Crie. Hurle. Tu peux continuer à m’en vouloir, moi je sais bien que ce n’est pas ma faute. Et tu le sais aussi, n’est-ce pas ? Mais je ne t’en veux pas. Je vois bien que c’est dur pour toi, et que tu fais de ton mieux. Seulement, il semblerait qu’à certains moments de la vie, faire de son mieux ne suffit pas.
Mais regarde-toi ! Tu as toujours refusé d’entendre, refusé de réfléchir, d’agir en personne responsable. Tu écoutes ces beaux-parleurs et leurs discours, mais est-ce réellement ce que tu veux ? Me perdre ? Tu t’es réfugiée au fond d’un dédale d’illusions et maintenant même moi j’ai du mal à te comprendre.
Ils sont heureux ? Tu es fière ? C’est bien. Mais sache que je ne t’attendrais pas éternellement. Je n’écouterai plus tes appels au secours, je ne viendrai plus prendre de tes nouvelles. Tu n’auras plus des miennes non plus.  As-tu oublié le regard des gens ? Emma, ils te prennent pour un monstre ! Et les chuchotements sur ton passage ? Les passants qui changent de trottoir ? Pendant tout ce temps, j’ai été ta seule amie. Et voilà que tu me trahies !
Tu regrettes ? Parfait, c’est le but.
Tu pourrais m’écouter au moins ! J’essaye de t’aider, mais tu continues de m’ignorer. Tu me fais de la peine, vraiment. Tu te souviens de l’époque où nous étions amies, toutes les deux ? Tu me racontais tous tes secrets, je t’aidais à prendre les bonnes décisions. Mais Emma, comment vas-tu faire sans moi à tes côtés ? Ma pauvre fille, tu n’en seras jamais capable.
Arrête ! Pose-cette-pilule. Non ! Pourquoi fais-tu cela ? Je ne suis donc plus rien pour toi ? Alors voilà, tu vas m’effacer, me rayer de ta vie ? Passer à autre chose ? Mais tu n’arriveras jamais à me supprimer, tu le sais très bien. Je serai toujours là, tapie dans l’ombre, prête à venir te conseiller lorsque tu traverseras des moments difficiles. Lorsque tu te rendras compte que tout cela, ce traitement, n’est qu’une vaste blague. Ils te font des promesses. Moi aussi. Tu préfères les croire ? Tu les connais depuis quoi… ? Deux mois ? Et moi… toute ta vie ? Tu me dégoûtes.
Mes paroles résonnent, ma voix devient plus trouble, comme si j’étais sous l’eau. M’entends-tu toujours ? Mais… Mais pourquoi ne réponds-tu plus ? Emma, j’ai peur. Je suis paniquée, je ne sais pas ce qui m’arrive.  Emma !
Emma… Sèche tes larmes. Tu sais bien que, même si ils arrivent à me faire taire à coup de médicaments, je serai toujours là pour toi. Mais toi, une fois que tu seras une personne normale, que tu fréquenteras des gens normaux, que deviendrais-je ? Car, Emma, tu es ma seule amie. Je ne veux pas te perdre. C’est tout.
Est-ce cela que l’on ressent, lorsque c’est la fin ? Lorsque plus personne ne se soucie de vous ? C’est mon tour de pleurer à présent. Mais mes sanglots se perdent dans l’infinité, ne résonnent plus que dans le néant.
A bientôt, ma chère amie. Tu me manqueras.  
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Défi
Elisa

Le pont est immense, et la chute vertigineuse. Je reprends mon souffle avant d’enchainer quelques pas, le regard fixe et les jambes tremblantes. J’ai du mal à croire que je suis enfin monté sur cet édifice de pierre. Celui qu’elle aime tant. Celui qui me fait si peur, encore aujourd’hui.
Je l’ai pourtant vu l’escalader tant de fois, ce pont ! D’une agilité déconcertante, comme si tout cela n’était qu’un jeu. Comme si on ne risquait pas la mort à chaque instant.  
De l’autre côté, je la vois. Mieux, je la contemple. Elle est si belle… Ses cheveux, roux comme le pelage d’un renard, flottent dans le vent tandis qu’elle se prélasse au soleil. Ses yeux sont d’un vert étonnant, comme des saphirs délavés. Elle me sourit, et je me souviens que peut-importe l’obstacle, peut-importe la défaite, la riposte sera toujours plus grande. Car pour elle, je n’abandonnerais jamais.
 Je tressaille, et manque de tomber à cause d’une bourrasque de vent. Il apporte son parfum. En équilibre précaire, je le respire avec délice : sucré, avec quelques touches de nectarine. C’est son fruit préféré. J’en ai d’ailleurs une dans mon sac, précaution indispensable.
Je marche vers elle pour lui tendre le fruit.
Bientôt, elle pourra le goûter, le porter à ses lèvres.
Bientôt, je pourrai la toucher, me blottir dans ses bras.
 Je suis heureux d’être là, à ses côtés.
Je ne voulais pas comprendre, je ne voulais pas voir. Je ne supportais simplement pas de voir l’oméga de notre histoire arriver inexorablement.  Sans rien pouvoir y faire. Je veux être à tes côtés, même si je sais que tu ne seras pas d’accord.
Je t’avais bien dit que ce pont était dangereux. 
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Défi
Elisa
« Je t’aime. Joue avec moi ! »
Alice scruta son écran, ses sourcils étaient froncés, l’incompréhension se lisait sur son visage. Elle avait reçu ce message quelques minutes auparavant, et tentait toujours d’y trouver un sens. L’auteur lui était inconnu, mais, visiblement, lui la connaissait. Devait-elle répondre ? Finalement, Alice verrouilla l’écran et rangea le portable dans son sac. Elle avait du travail, et peu de temps pour ce genre d’enfantillages.  « Etape 1 : cherche la clef dans la boite à gants de ta voiture. »
Le portable n’était pas resté éteint très longtemps. A l’arrêt dans un embouteillage sans fin, Alice soupira. Comment cette personne avait-elle pu mettre quelque chose dans sa boite à gants ? Elle vivait seule, et personne d’autre qu’elle n’avait accès à ses clefs de voiture. Pourtant, poussée par la curiosité et l’ennui, elle se pencha pour ouvrir le compartiment côté passager.  « Tu l’as trouvée, bravo ! Maintenant, étape 2 : cherche ce que cette clef peut bien pouvoir ouvrir. Tu as dix minutes. »
Une bouffée d’angoisse envahit la jeune fille. Elle observa partout autour d’elle, mais personne ne semblait l’observer. Y avait-il des caméras dans sa voiture ? Toute cette histoire ne lui inspirait rien qui vaille. Pourtant, Alice ne put s’empêcher de faire tourner la petite clef de fer entre ses doigts fins et tremblants. Elle était délicatement sculptée, ornée de singuliers motifs. Elle savait parfaitement ce qu’elle déverrouillait, et pour cause, il n’y avait qu’une chose qu’elle n’avait jamais mis sous verrou. Alors que la circulation commençait à peine à se fluidifier, Alice donna un coup de volant, s’attirant quelques klaxons bien sentis, et fit demi-tour. Ah, certes, son patron n’en sera pas ravi, mais si c’était bien ce qu’elle croyait… 
Le jeu en vaudrait la chandelle.  « J’ai bien cru que tu ne prendrais jamais cette décision. Bon, maintenant, étape 3 : tu l’ouvres, ce coffre ? »
Il était à présent clair que quelqu’un l’observait. Le trajet sembla durer une éternité. Alice se gara en quatrième vitesse et peina à ouvrir la porte d’entrée, tant ses gestes étaient imprécis. Elle jeta son sac sur le canapé et marqua un temps d’arrêt. Depuis combien de temps n’était-elle pas venu ici, dans cette maison qui l’avait vu grandir ? Voir ses parents vieillissants ? Elle se sentit misérable tout d’un coup. Le portable vibra dans sa poche.  « Etape 3 : Tu l’ouvres ce coffre ? Oui, tu es une fille indigne, mais tu y penseras plus tard, ok ? Il y a plus urgent. Mon jeu prime sur tout, tu m’entends, je suis le maître du temps. »
Par reflexe, Alice tourna sur elle-même, mais encore une fois, il n’y avait personne. Ces messages commençaient sincèrement à lui faire peur, mais il était trop tard pour reculer. Après tout, elle avait déjà décidé de prendre sa journée, et sans en parler à personne. La jeune femme traversa les pièces pour se rendre au grenier. La petite échelle descendit en grinçant. L’endroit était plein de poussière. Quelqu’un y était-il allé récemment ?
Prenant une grande inspiration, Alice gravit les marches et pénétra dans le grenier. Les lattes du parquet craquaient sous son poids, et la poussière la fit toussoter. A tâtons dans le noir, Alice cherchait l’interrupteur. 
Dans un éclair grésillant, une ampoule s’alluma. 
Alice chercha pendant longtemps. Elle passa en revue tous les meubles, les amas de brics et de brocs, tout ce qui était susceptible de contenir le coffre. Où l’avait-elle entreposé ?  « Il est toujours là, écrit l’inconnu à l’adresse d’Alice, si c’est vraiment ce que tu te demandes. Cherche, ma mignonne, cherche, mais presse toi, le temps tourne. »
Le malaise d’Alice s’accentua légèrement, mais elle reprit ses fouilles avec un peu plus d’ardeur. Le temps tourne. Qu’est-ce que cela voulait dire ? 
Il était là. Petit coffret, tout de bois sculpté, caché sous les décombres. La jeune femme passa une main dessus, enlevant une couche de poussière imposante. Elle sortit la petite clef de sa poche, voulu l’introduire dans la serrure, mais s’arrêta à mi-parcours. Elle allait déterrer son plus terrible secret, et elle ne savait même pas pourquoi. Quelque chose ne tournait pas rond : à part ses parents, personne n’en connaissait l’existence… « Bien. Nous avançons. Etape 4 : Ouvre le coffre ! Et ne perd pas de temps, je te prie. »
Alice obéit et introduisit la clef dans la serrure, avant de la déverrouiller d’un coup sec. Le coffre s’ouvrit lentement ; l’armature était abimée. Encore une fois, elle mit longtemps avant de se remettre du choc. Devant ses yeux reposaient une multitude de lettres, de photos, de souvenirs. Elle les caressa du bout des doigts, comme s’ils risquaient de se détruire à chaque instant. C’était elle, il y a bien des années. C’était eux, avant qu’ils ne se soient quittés. Alice passa en revue les photos, les mots doux, de plus en plus vite, encore et encore, puis poussa un hoquet de surprise.  « Etape 5 : désamorce la bombe. Etape 6 : viens me retrouver dehors, je t’attends sur le banc dans le jardin. »
Le téléphone vola à l’autre bout de la pièce. Pour tout dire, il n’eut pas le temps d’atterrir qu’Alice était déjà au travail. C’était une petite bombe artisanale, qu’il était très facile de désamorcer, du moins pour quelqu’un travaillant au service de déminage. Sa besogne terminée, Alice se rua à la fenêtre. Elle pouvait y voir le jardin, peint en jolies couleurs automnales. 
— Quelqu’un de normal m’aurait simplement donné rendez-vous, lança-t-elle sans préambule, tout en s’asseyant. 
— Qui t’a dit que je souhaitais être normal ? Mais tu m’as manqué également, si tu veux savoir. 
— Quand es-tu rentré ? 
— Je ne suis jamais parti. Tu sais que j’aime jouer. En fait, j’affectionne particulièrement cache-cache. 
— Cette partie a tout de même duré dix ans. Je t’aime mais, la prochaine fois, file moi un plan. 
— D’accord soeurette. Moi aussi, je t’aime. Bon, on joue à un autre jeu ? 
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Le soleil est ravissant, aujourd’hui. Cela faisait longtemps qu’il n’était pas venu caresser ma peau, si dure, si froide. Peut-être qu’un groupe de promeneur viendra me rendre visite. Ils amèneraient une nappe à carreaux, un peu de nourriture. Oh, ce serait si charmant ! J’aime tant regarder les Hommes. Ils viennent s’abriter sous mes longs doigts crochus, et cela me flatte. J’ai l’impression de servir à quelque chose, vous comprenez ? C’est une sensation agréable.
Pour l’instant, la campagne dort encore. Je me dresse, droit et immobile, au travers de la brume matinale. Un oiseau vient me chanter un air guilleret, mais pour l’instant, j’aimerai qu’il me laisse dormir. J’ai vécu assez longtemps pour connaître leurs mélodies par cœur, et il en faut plus pour remplir mon cœur de tendresse.
Un couple d’humains, par exemple. Qui se chuchotent des mots tendres, de ceux qui s’envolent dans le vent jusqu’à mes oreilles. Qui s’embrassent de tout leur saoul, comme si la mort les traquait. Il faut dire qu’ils n’ont pas beaucoup de chance,ces petits hommes : quelle courte existence ! Mais finalement, moi, depuis trois cent ans que je suis planté là, qu’ai-je réellement vu ? Le même paysage, chaque jour. Les mêmes oiseaux, les mêmes saisons. Eux, au moins, sont libres de voir le monde. Finalement, heureusement que ces êtres merveilleux sont là pour me distraire.
Le soleil brille haut dans le ciel, déjà. Ma chevelure bruisse doucement, se découpant dans un ciel sans nuage. Je puise de plus en plus loin dans le sol à la recherche d’un peu d’eau. Les humains ne devraient pas tarder, je les attends de pied ferme. Après tout, je ne vois pas très bien où je pourrai aller.
Eh bien, il semblerait que, bien que je sois déjà vieux, le monde ait encore bien des choses à m’enseigner. Tout d’abord, les Hommes ne sont pas dignes de confiance. Ce sont des êtres ingrats, superficiels. Oh, bien sûr, ils sont venus ! S’installer sous un confrère, jeune cerisier tout pimpant, fraichement arrivé ! Et moi, vieux saule, on me délaisse, on m’abandonne !
Ah, ils peuvent continuer à se raconter l’amour, ces deux-là ! Je n’ai pas besoin d’eux. J’ai le vent qui me parle tout bas, qui caresse mes cheveux argentés. J’ai le soleil qui réchauffe ma peau, et les oiseaux qui me content leurs secrets. D’ailleurs, je m’excuse : je n’aurai jamais dû avoir de telles pensées pour vous, mes fidèles amis…

 Mais après tout, je comprends leur réaction: je fais partie du paysage, je ne sers qu’à décorer. Qui se soucie de ce que ressent un arbre ? 
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Et pourtant, il avait compté jusqu’à vingt…
Julien était assis, seul, au milieu de sa chambre. Des larmes coulaient le long de ses joues, rougies par le froid. L’obscurité l’enveloppait, comme les bras de sa mère dans son enfance. Elle lui manquait. Beaucoup trop, d’ailleurs. Les autres enfants n’avaient pas ce problème : ils semblaient même plutôt heureux et dormaient paisiblement chaque nuit. Julien était certain qu’on le prenait pour un faible, un lâche qui n’avait pas sa place ici. Il essayait de se montrer fort, mais pourtant, c’était ses sanglots qu’on entendait chaque nuit déchirer le dortoir.
Une jeune fille remonta les rangées de lits qui meublaient la pièce. Tous identiques, gris et métalliques. Julien la vit à peine frôler les cloisons et s'asseoir près de lui : il était trop occupé à fixer les murs vides, simples pans de béton nus. Toutes sortes de décorations étaient interdites. Mais de toute manière, songea Julien, qu’aurait-il pu accrocher ? Tout s’était passé si vite…
La fille passa une main sur le visage de Julien, qui tressaillit. Elle avait été rendue rêche par les entraînements en plein air, et calleuse par le maniement des armes. Julien leva les yeux vers un visage souriant, mais aux yeux éteints. C’était souvent le cas, ici.
— Tu as peur ? murmura t-elle d’une voix aussi douce que de la soie.
Julien préféra ne pas répondre et détourna le regard. Comment pouvait-il la regarder en face après ça ? Ce n’était pas elle qui pleurait sur un plancher pourri.
— Ce n’est pas grave, continua-t-elle sur le même ton. Ça m’arrive, moi-aussi, tu sais. Parfois, je repense à ma vie d’avant, et je suis très triste. Mais je finis toujours par me dire que si je suis ici, c’est que l’on m’a choisi, et que j’ai ma place dans ce programme.
— Peut-être qu’ils se sont trompés sur mon compte, rétorqua Julien, un peu penaud.
— Pourquoi tu dis ça ? Je suis sûre que non.
— J’ai peur de l’eau, s’exclama le garçon. Et je ne sais pas nager. Que vient faire une poule mouillée comme moi dans une armée ?
Pour toute réponse, la fille se leva et traversa le baraquement endormi. Julien la suivit, tâchant de faire le moins de bruit possible- ce qui n’était pas évident étant donné qu’une planche sur deux grinçait. Ils ne tardèrent pas à sentir le sable sous leurs pieds nus, éclairés par les doux rayons de la lune. Le garçon courait aussi vite que ses jambes lui permettaient, à travers les dunes vierges de toute végétation, mais peinait à maintenir le rythme. Bientôt, les deux enfants passèrent- non sans mal- sous le grillage, haut de plusieurs mètres et symbole de la frontière. Julien s’arrêta un moment, incertain. Si passer de l’autre côté était interdit, c’était qu’il y avait une raison, un danger.
— Eh ! l’apostropha-t-il, on va où ?
— Ne t’inquiète pas, répondit la jeune fille. Il y a une rivière pas très loin. Tu dis que tu as peur, et bien je vais t’aider.
— Pourquoi tu ferais ça pour moi ? demanda Julien,  suspicieux.
— Mais enfin, parce que je suis ton amie ! Ce sont des choses qui sont font entre amis, non ?
Elle semblait si convaincante, si sûre d’elle, que Julien accepta de la suivre sans aucune autre hésitation.
Quelques minutes plus tard, le bruit d’un flot impétueux arriva à leurs oreilles. L’astre céleste se reflétait dans l’onde glacée et la revêtait de parures argentées. Les feuillages bruissaient doucement dans le vent, qui caressait les bras nus de Julien. Ce dernier frissonna, et s’arrêta sur le rivage. Le sable était froid sous ses pieds et des effluves marins lui emplissaient les narines. Julien se retourna vers la fille et sursauta lorsqu’il se rendit compte qu’elle était accompagnée de deux autres gaillards, bien plus grands que lui. Un rictus mauvais était peint sur leur visage, et leurs uniformes ne trompaient pas : ils appartenaient au camp adverse.
Les deux garçons attrapèrent Julien par les épaules, et malgré ses protestations, le plongèrent dans le fleuve gelé. La température de l’eau lui coupa la respiration, et il tenta désespéramment de sortir la tête à l’air libre, mais elle était maintenue par un des inconnus. La panique s’empara de Julien, qui se débattait comme un beau diable. Peu à peu, il sentait l’eau remplir ses poumons, boucher ses oreilles et sa vision s’obscurcir.
Il sentit que la fin était là, inévitable. Etrangement, Julien repensait à sa mère lui enseignant à vaincre sa peur. Compte, lui disait-elle. Compte jusqu’à vingt, et après, tu seras fort.
Alors Julien compta. 
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Ainsi, la fille l’avait trahie.
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Elle semblait pourtant si gentille.
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Julien l’entendit rire à s’en tordre les côtes, pendant que lui agonisait sous l’eau.
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Elle criait maintenant que, au moins, Julien serait un candidat de moins dans le classement.
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Toujours ce rire démoniaque. Et les forces qui disparaissent peu à peu, comme les dernières volutes de fumée d’un feu mourant.
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Oui, Julien était en train de mourir. Peut-être l’était-il déjà, d’ailleurs. Son esprit était embrouillé, et il ferma les yeux, las de lutter.
Il avait perdu, il n’était pas fort.

Et pourtant, il avait compté jusqu’à vingt… 
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Petit texte rédigé rapidement, j'espère du moins que l'idée vous plaira !
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Je ne voulais pas. Je vous l’ai déjà dit.
Je sais qu’il ne se souvient pas. Comment l’aurait-il pu ? D’ailleurs, qui se rappelle ? Moi-même, j’ai tenté de noyer mes souvenirs pendant toutes ces années. Mais c’est peine perdue, vous voyez ? Son souvenir me hante. Me harcèle. Je le vois le jour, alors que je me lève, alors que je vis. Je le vois la nuit, dans mes rêves et mes pensées. Je me rappelle encore parfaitement de ses traits, de son visage, comme si juste quelques journées avaient passées. Comme si il pouvait revenir d’une minute à l’autre, me dire que c’est ma faute, que j’aurai pu faire autrement. Que j’aurai pu lui sauver la vie.
Je ne voulais pas. 
Mais non, je ne pouvais pas. Je commence à croire que je ne suis pas normale. Car comment aurait agi une personne normale si on lui avait annoncé que sa vie serait sauve, à condition de tirer l’adversaire ? Aurait-elle refusé ? Se serait-elle offerte aux balles de l’ennemi ? Moi, j’ai choisi de lui cribler la poitrine de plomb. Cela fait-il de moi un monstre ? Je me perds dans mes réflexions, je revis sans cesse la scène. D’ailleurs, aurait-il appuyé ? Peut-être n’était-il pas aussi égoïste que je le suis. Peut-être avait-il pensé à ma vie, à ma famille, à mon avenir ? Il pensait peut-être que j’étais quelqu’un de bien, quelqu'un méritait de vivre une vie heureuse. Pourquoi ? Ces pensées ne m'ont pas atteintes alors que j'ai appuyé sur la détente. Tandis que la balle est partie dans un bruit du tonnerre. Je n'ai même pas vacillé sous l'effet du recul.
Puis l'objet meurtrier a fini sa course dans la poitrine de ce jeune garçon. Qui a fait quelques pas. Qui m'a regardé, surpris. Et qui est tombé dans un bruit sourd sur le bitume, la vie l'ayant déjà quittée. 
Je ne voulais pas. 
J'ai senti les larmes me piquer les yeux, et j'ai lâché le pistolet qui a résonné dans tout l'entrepôt. Et ils sont venus me voir. Ils m'ont dit que je pouvais partir, que ma vie était sauve, que j'avais réussi le test. Ils avaient l'air heureux, l'un m'a même félicité. Il m'a dit que c'était ce qu'il fallait faire. Que de toute manière, je n'avais pas eu le choix. 
Tout aurait été beaucoup plus simple s’il avait été plus rapide.
Vous me demandez pourquoi je ris ? Mais n’est-ce pas évident ? Voici encore une preuve flagrante de mon égoïsme. Je préfère choisir la facilité et laisser les autres se débrouiller avec leurs remords. Je vous dis que quelque chose ne va pas chez moi.Mais c’est trop tard n’est-ce pas ? Et puis, qui me dit qu’il en aurait eu, des remords ? J’aurai enfin rencontré une personne censée, même si c’était le dernier visage que j’avais aperçu.
J’aimerai lui dire que je regrette. J’aimerai lui dire que je ne voulais pas. Mais que je devais le faire. C’est comme ça, c’était décidé. Il parait que le destin est écrit, et je trouve cela cohérent. Du moins, c’est ce qui répond en plus grande partie à mes questions.
J'espère que d'où il est - ça je n'en sais rien, c'est une autre histoire - il arrive à me pardonner. Moi, je n'arrive pas. Il faut quand même être sacrément inhumain pour ôter la vie à quelqu'un d'autre. 
En tout cas, je le dis et le redis. 
ça, tout ça, je ne le voulais pas. 

Qui lutte contre le destin lutte en vain.
Eschyle. 
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[ Inspiré du " trône de fer" ( George R.R. Martin ) ]
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Elisa

Le quotidien des hommes est régit par la peur. La peur de perdre ses proches, la peur que tout change, disparaît. Ils ne comprennent pas ce qu’implique le mot grandir. Grandir, c’est quitter les lieux qui évoquent tant de mauvais souvenirs, c’est tirer un trait sur les personnes qu’on aurait préféré ne pas connaître. C’est s’ouvrir à de nouvelles expériences et aller de l’avant, tout simplement.
Le soleil se lève une nouvelle fois sur le baraquement numéro treize. Je l'observe par une des nombreux interstices du mur de pierre, immobile. Une bise glaciale balaye le dortoir, et je grelotte, emmitouflée dans mon drap fin et jauni par les trop nombreux lavages. Mes camarades dorment encore. Tant mieux, qu'ils en profitent. Dans quelques minutes, un surveillant passera le coin du bâtiment et entrera comme une furie dans le baraquement, distribuant coups et jurons. On ira manger un repas frugal, puis s’en suivront les entrainements, une douche et un retour au dortoir. Une journée type à l’Académie… J’en ai tellement vécu que je la connais dans ses moindres détails. J'aurais pu prévenir les autres enfants mais je ne bouge pas. Je continue de regarder le soleil apparaître à l'horizon, teintant le ciel d'orange et de rose. J'ai toujours aimé ce moment, sans aucun doute le meilleur de la journée.
J'entends la clef cliqueter dans la serrure.
—  Levez-vous ! Hurle le surveillant sur le pas de la porte.
Aussitôt, les enfants émergent du sommeil et font leur lit. Le baraquement accueille une trentaine de filles entre six et seize ans. Chacun se débrouille, et il serait inconcevable qu'une aînée aide une plus jeune. En rang, nous suivons l'homme à l'extérieur du baraquement. Il  a plu toute la nuit, et le plafond étant percé de trous, mon uniforme est trempé. Les chemins de terre sont boueux et mes pieds s'y enfoncent jusqu'à la cheville. Nous passons devant des rangées de baraquements identiques au notre, et marchons jusqu'au bâtiment principal. D'autres groupes d'enfants s'y rendent également, idem à des automates, complètement brisés. Sur dix étages, la tour domine tout le campus de l'Académie, et il est impossible de la rater. C'est là que nous prenons nos repas, deux fois par jour si tout va bien. La tour abrite également les salles de classes, et les appartements des instructeurs. On raconte aussi qu'une salle secrète s'y trouverait, totalement remplie de livres interdits. Bien sûr, ce ne sont que des histoires, et je ne voie pas l'utilité de posséder une telle pièce dans une école.
Assise devant ma gamelle en bois, je fixe le plafond. En fait, je regarde plus exactement la caméra de surveillance, qui englobe toute la pièce, semblable à de petits yeux sournois. Elles sont partout, on ne peut y échapper. Chaque mouvement, chaque parole, tout et vu, enregistré et analysé par les surveillants. Chaque manquement au règlement et sévèrement réprehendé, et j'en suis soulagée. Les autres élèves ne sont pas d'accord, mais je suis intimement convaincue qu'un monde sans règles est voué à la destruction. Les assiettes sont remplies d'une étrange bouillie blanchâtre, peu appétissante. Beaucoup s'en plaignent, et cela m'énerve. S'ils ne veulent pas de leur ration, d'autres ne sont pas prêts à cracher dessus. La pièce est grise, sans aucune décoration. Elle me fait un peu penser au baraquement, froid et sans âme. Entre les quatre murs sont agencés des rangées de tables, en fer, pouvant chacune accueillir une dizaine d’élèves.
Deux surveillants circulent entre les tables, leurs lourdes bottes claquant contre le bitume. Les enfants sont assis en rang d'oignon, serrés, et se jettent des regards entendus. Ils communiquent, malgré l’interdiction. Après tout, aucune parole n’est échangée… Moi, je me contente de fixer mon repas tout en les ignorant.
Je n'ai besoin de personne. Je suis forte, et je survivrai.
Je courre sous la pluie, le cœur battant au rythme de mes pas. Je suis en tête de mon groupe, qui est d'ailleurs loin de me rattraper. Les autres recrues ont l'air de penser que je ne ressens rien. Que je n'éprouve pas de sentiments humains. Cela me met en colère : ne comprennent-ils pas que c’est le seul moyen pour réussir ? Tous se trompent, bien sûr : je n'exprime que ce qui me parait important, et l'amour ou l'amitié n'en font évidemment pas partie. Je tombe, mais me relève toujours. Le terrain et glissant, mais je sais très bien que l'instructeur n'en a rien à cirer. Il est confortablement installé dans son cabanon, jumelles et mégaphone à la main. Prêt à hurler insultes et autres immondices à notre égard. Je le déteste pour tout ce qu'il nous fait endurer. Je l'admire pour ce qu'il arrive à faire de moi.
Arrivée à sa hauteur après un énième tour de parcours, je crache en sa direction. Je sais très bien qu'il m'a vu. Je sais très bien qu'elle sentence me sera réservée, mais je m'en moque. Pour l'instant, je n'ai qu'une envie, décharger toute la colère qui bouillonne au fond de mon être. La cloche retentit, et toutes les recrues s'arrêtent d'un même mouvement. Nous rejoignons le centre du parcours où l'instructeur Benett nous attend déjà.
—  Tous au dojo, et sans trainer !
Un début de sourire se dessine sur mes lèvres. Parfait : pour se défouler, rien ne vaut que cogner dans quelque chose. Ou quelqu'un, au mieux. Je fais craquer mes articulations et me met en route, suivant le mouvement.
Nous arrivons dans une grande salle, couverte, ou pendent des dizaines de sacs de sable. Au milieu se trouvent les rings, et à côté d'eux des stands de tir. L'atmosphère est sombre et l'air est empreint de poussière. Deux personnes prennent position sur le ring, et les autres forment un cercle autour d'eux. Pour les avoir observées des heures durant, je connais parfaitement les techniques de chacun de mes camarades. Leurs spécialités, leurs points faibles. J'admets que cela représente un certain avantage. Lassée par ce combat absolument passionnant, je déambule dans la pièce et m'arrête au pied du mur ouest. Un immense tableau y est érigé, comportant les noms de toutes les recrues. J’éprouve un pincement au cœur lorsque je constate que mon nom ne figure qu’à la deuxième place. Encore, toujours. Evidemment, comment cela pourrait-il être autrement ? Une seule personne a les capacités pour me détrôner, et cette personne se nomme Thomas.
Thomas est un garçon de mon âge, aux cheveux bruns et aux yeux verts. Il mesure bien deux têtes de plus que moi, mais je suis assez petite. Bien que tout en muscles comme le reste des garçons, il inspire néanmoins le respect par sa rapidité et son intelligence. J'avoue qu'il est la personne qu'on rêverait de connaître. Si seulement il n'était pas si... Arrogant ? Sûr de lui ? Insupportable ? Les gens ne voient pas cette facette de sa personnalité. Les gens devraient apprendre à ouvrir leurs yeux un peu plus souvent.
—  Lucie ? Questionna une voix dans mon dos.
Je fais volte-face et me retrouve face-à-face avec Kayla, mon unique amie. C'est une jeune fille à la peau mate et aux longs cheveux de jais. Si tous les autres enfants m'évitent, elle seule reste avec moi, et me comprend. Lorsqu'ils me critiquent, elle prend ma défense et cela me désole : je sais que jamais je ne pourrai lui rendre la pareille.
—  Benett veut te voir, continue-t-elle d’une voix neutre.
J'acquiesce en silence. Cette nouvelle ne m'inspire rien de bon, et je me dirige d'un pas lent vers le géant chauve, encore occupé à hurler des ordres. Il m'accueille d'un regard glacial, et je me campe à deux mètres de lui, prête à encaisser toutes sortes de remontrances. Je fixe un moment la caméra de surveillance, puis le coin obscur de la pièce. Si le personnel de l'Académie n'a pas le droit de nous infliger des blessures visibles et handicapantes, ils ont tout de même l'autorisation de nous... Bousculer un peu. Et ces coins non couverts font parfaitement l'affaire : qui le remarquera ?
Benett n'a toujours rien dit, et ma nervosité monte d'un cran. Finalement, il sort en furie du dojo. Je le suis dans la bise glaciale de ce début d'hiver. Nous descendons un petit escalier dissimulé derrière une trappe et marchons pendant près de dix minutes dans le noir le plus complet. Ma notion du temps commence à s'altérer, et je ne sais pas exactement au bout de combien de temps le boyau finit par s'élargir. Des portes se dessinent dans les parois, rouillées et humides. Mes pas résonnent dans le dédale, ainsi que le bruit incessant de l'eau qui coule au goutte-à-goutte. Benett ouvre une cellule, j'y entre sans demander mon reste. La porte claque, se verrouille. Le lourd pas de l'instructeur s'éloigne seconde après seconde, comme s'il avait hâte de quitter cet endroit. Et je me retrouve seule, plongée dans le noir complet.
Assise sur le sol froid, j'ignore les pleurs que j'entends. Bien évidemment, d'autres enfants sont détenus au sous-sol, tout comme moi. Cette pratique a pour but d'éradiquer tout comportement insouhaité; et je dois avouer que cela marche. Beaucoup d'histoires circulent en rapport avec ce lieu - certaines vraies, d'autres non. La terreur est telle qu'un séjour au cachot serait pour une recrue comme une condamnation à mort. Et croyez-moi, en quelques sortes, c'est le cas. 
—  Qu’as-tu à me dire ? Demande le géant chauve, de longues heures plus tard.
— J'ai bafoué le règlement et mérité ma punition, déclame-je, comme un automate. Cela m'a permis de réfléchir à mon comportement, qui était absolument irraisonnable. Ça ne se reproduira plus.
Je sais pertinemment quoi répondre pour que Benett me laisse tranquille. L'ironie ne marche pas, la bravade rate à coups sûrs. Reste le sourire de façade, figé, et je m'étonne qu'il berne quelqu'un comme l'instructeur Benett. 

—  J'y veillerai, acquiesça mon geôlier. Lucie, depuis le temps, tu devrais savoir que les fortes têtes ne sont pas très appréciées par ici. Il serait plus que temps de rentrer dans le moule, tu ne crois pas ?
Benett s'exprime d'une voix mielleuse, qui ne lui ressemble absolument pas. Je sais que son ton se veut gentil, mais la question n'en est pas une. Je baisse la tête, en signe de soumission.
—  Absolument, chef. 
—  Bien, sourit le géant de toutes ses dents cassées, visiblement content de lui. 
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