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Ambu

Ambu


Elle avait tout. Tout pour elle, et en même temps rien. Elle le savait, elle se rendait bien compte que toutes les possessions du monde ne lui ramèneraient pas ce qu’elle avait perdu. Elle savait qu’elle se sentirait à jamais vide. Elle était vide. Elle le serait toujours.
Quand Mélissa était partie, c’est son envie de vivre, ses rires, ses désirs qui étaient partis avec elle. Elle se souvient des après-midis à discuter, des confessions échangées à l’aube, aidées par l’accumulation des bouteilles. Elle se souvient du premier regard que Mélissa lui avait lancé, elle n’avait plus jamais voulu autre chose que ses yeux posés sur elle.
Il est de ces moments qui marquent et qu’on n’oublie jamais vraiment, malgré tous nos efforts, malgré tout ce qu’on fait pour avancer. Il y a de ces moments qui vous changent et vous définissent.
La première fois qu’elle l’a vue, elle s’était étonnée de ses yeux et de ce qui émanait d’elle. Elle avait toujours aimé ça, lire dans les gens et les comprendre. Elle passait beaucoup de temps à imaginer la vie des gens qui l’entouraient. Avant Mélissa, elle avait toujours vu juste, elle n’était jamais étonnée, et rien ne la surprenait. Les gens réagissaient de manière logique, se comportaient habituellement et se conformaient à toutes les normes qu’il était possible d’inventer. Mélissa ne ressemblait à rien de ce qu’elle avait connu. Putain, jamais elle n’aurait pu la prévoir.
Mélissa était indéfinissable. Elle était différente. C’est bien le seul adjectif qui lui correspondait. Mélissa se plaisait de la banalité de la vie, elle se voyait comme la défense personnifiée de la simplicité. Mélissa n’avait aucune putain d’idée d’à quel point elle était un doigt d’honneur aux normes sociales. Tout chez elle était un «va te faire foutre » aux habitudes, aux routines, aux dîners du dimanche chez les parents, aux échanges forcés entre voisins, à la poésie bidon et aux mensonges par omission.
Elle avait été aspirée dans la vie de Mélissa. Personne ne lui a demandé ce qu’elle voulait et si l’occasion se représentait, elle n’en voudrait plus. Elle n’irait pas à la soirée de Julie dans un bar miteux, elle ne proposerait pas une deuxième tournée, elle n’oublierait pas son porte-monnaie, créant le timing parfait à leur rencontre et elle ne demanderait jamais à la fille étrange ce qu’elle buvait. Non, si elle avait le choix, elle ferait tout à l’envers.
Elle pourrait dire adieu à ce qu’elle a ressenti pour elle, ce qu’elle ressent toujours d’ailleurs, dire adieu aux débats sans fin qui finissaient en dispute, dire adieu aux moments de douce quiétude qui semblaient mystiques, dire adieu à ses lèvres, dire adieu à leur complicité et à la sensation profonde qu’elle avait d’être comprise. Totalement comprise, comprise dans son entièreté et pour ce qu’elle était. Oui, elle se débarrasserait de tout ça si elle le pouvait.
Elle était en colère. Elle était en colère parce qu’elle était partie, qu’elle n’avait même pas pris la peine de récupérer ses affaires et parce que, putain, il n’y a rien de normal dans le fait de rendre quelqu’un totalement accro à soi pour mettre les voiles. Elle lui en voulait d’être partie, elle ne lui pardonnerait jamais.
Mélissa était partie et depuis elle avait arrêté de respirer. Elle restait suspendue dans le temps, elle restait coincée aux instants qui leur appartenaient et qu’elle n’arrivait pas à oublier.
Chacun de ses mouvements était lent, elle se sentait noyée et son esprit ne semblait pouvoir ne se concentrer sur rien d’autre. Le manque. Un manque profond, atroce, intense, un manque qui coupe le souffle et qui fait suffoquer.
Oui, elle aimerait pouvoir la faire disparaître de son esprit.
Pour l’instant, la seule chose qu’elle pouvait voir disparaître étaient les cendres de Mélissa. Jetées à la mer.
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Ambu


Il était trop tard. Trop tard, pour retourner en arrière. Trop tard, pour supprimer les mots acides qui étaient sortis de sa bouche. Elle ne pourrait pas récupérer la bombe qu’elle avait lancée.
Elle ne s’en était pas voulu d’abord. Seulement, le temps avait fait son affaire, il avait adouci les angles, il avait calmé la tempête et là voilà, seule face à la violence glacée de ses mots partis trop vite.
Depuis ce fameux jour, elle ne peut pas s’empêcher de se refaire la scène, de revisiter les lieux, de revoir l’expression de stupeur que son venin avait provoquée.
Elle ne s’était pas excusée, il était trop tard maintenant.
Elle s’était promis de le faire. À chaque jour, son nouveau serment, sa fausse promesse et sa fausse bonne volonté. Des excuses, elle en avait. Elle croulait sous les excuses, elle respirait ses excuses et elle les buvait ses excuses. Elle s’était convaincue de sa bonne raison. Oui, elle y avait cru, mais il était trop tard.
Il était trop tard pour dire pardon. Il était trop tard pour rattraper ses mots figés dans l’air. Ses mots qui s’étaient glacés et qui avaient créé un fossé. Elle n’avait jamais trouvé la force de le franchir et elle ne pourrait jamais le faire.
Trop étouffante, trop distante, trop gentille, trop méchante, trop ivre, trop sobre, elle lui avait tout reproché. L’accumulation des non-dits lui avait joué des tours et elle avait craqué.
Ça aussi, c’était son excuse.
Accepter la faute à mi-mot, se délivrer de tous remords et faire comme si cela ne la touchait pas.
Non, il était trop tard, sa mère ne lui accorderait plus jamais la parole. La haine était ancrée, la dispute scellée et la discussion impossible. Essayer serait un suicide émotionnel.
Se convaincre que ça va quand même, se convaincre qu’elle s’en sort bien toute seule et surtout, se convaincre que c’est trop tard.
Elle avait accepté la culpabilité comme colocataire, parce qu’accepter ses torts reviendrait à remettre en cause l’essence même de ce qu’elle était. Elle n’était pas une fille à sa maman, elle était forte, indépendante, autonome, débrouillarde, heureuse, seule, et sa mère lui manquait.
Sa mère lui manquait et cette révélation fut l’équivalente d’une douche froide, d’un bain d’iceberg et d’un jacuzzi de glacier. Elle n’avait aucune excuse, elle s’en voulait, elle avait merdé.
Il était trop tard, elle le savait en sortant son téléphone. Il était trop tard, elle en avait conscience en composant son numéro.
Il était trop tard, ou comme le suggérait la voix acidulée de sa mère, peut-être pas.
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