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Nell Gabier

Paris.
Défi
Nell Gabier

Dans le wagon en forme de carlingue, je prends place à côté d’un hublot. Pour jouir de la vitesse, je fige mon visage au froid de la glace. Et puis non, en dix secondes je change d’avis. Plutôt regarder la vie. Cinq minutes, pas le temps de me dérober. Aucun livre ne s’ouvre, aucun portable n’est branché sur les oreilles, aucune tablette n’est allumée. Nous sommes tous assis, c’est obligatoire. Soudain, j’aperçois un voyageur avenant. Son siège est à deux mètres du mien. sa veste est restée fermée, inutile de se mettre à l’aise. Le train s’élance, cabre nos respirations. La surprise fige nos traits, aucune envie de dissimuler. Quatre minutes pour nous rêver astronautes. La légende de l’infini à portée des fourmis. Rivés à nos dossiers, le buste coincé par la ceinture de sécurité, nos seuls mouvements se limitent au mains, arc-boutées sur les accoudoirs. La pression nous statufie. Nous nous regardons, trois minutes pour nous scruter, deux minutes pour nous fantasmer. Nous nous sourions, nos regards échangent des numéros de téléphone, des adresses mail, pas postales, c’est trop long à penser. Une minute pour nourrir l’imagination d’une possibilité. Ca y est, le train ralentit puis se fige. Nous nous levons pour descendre. Les portables se rallument, les téléphones sonnent, le train-train reprend dès que nous reprenons pied. Les fourmis retournent à leur terrier.
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Défi
Nell Gabier

Faire bombance d'un cassoulet un jour de fête.
Le lendemain c'est sûr, on a mal à la tête.
Avec au ventre un certain ballonnement.
Toute la douleur vient de la fermentation.
Une saucisse de trop et c'est la damnation.
La grosse armada des pets retentissants commence.
Et avant de passer au petit coin : patience.
Ne plus quitter le saint siège, évacuer tranquillement.
Contracter d'abord puis relâcher complètement. Et à l'avenir déguster cette recette avec parcimonie en repérant les toilettes.
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Défi
Nell Gabier

Aurore. Réveil. Anniversaire. Café. Bottes. Parapluie. Port. Mer. Plage. Rivage. Ecume. Sable. Inscription. Amour. Défunt. Mouette. Envol. Ciel. Sourire. Paix. Vie.
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Nell Gabier





Sourires et murmures d’avenir. Le clair de lune rend incandescents les corps des deux amants. Une séparation se prépare. Les caresses échangées cette nuit sont attentives, mémoires des tièdes reliefs dont chacun se nourrira pendant l’année à suivre.
Maintenant, l’homme est parti de l’autre côté de la terre, mettant un point d’orgue à leur liaison.  Le temps se fige pour elle. Sa chambre de jeune femme redevenue sage lui donne la nausée. Dans ce monde organisé à deux, la solitude est maladie.
Son amour boiteux n’a plus de miroirs pour trouver l’équilibre. Elle erre avec les gestes mécaniques d’une amnésique qui se souvient du passé d’autrui, mais plus du sien. Pour ne pas laisser le vertige la désagréger, elle se donne des étapes, se raconte des histoires, des retours de semaine prochaine. Quand elle marche dans la rue, elle recrée l’illusion de l’ombre aimée et de son pas cadencé, mais sa pensée est seule pour battre le tempo.
Et puis les journées défilent : le bureau, les autres, les coups de téléphone de fin d’après-midi qui ne sont plus pour elle. Elle a inclus les fuseaux horaires dans son quotidien : leurs deux vies ont désormais six heures de décalage et quand elle dit bonjour à son miroir, lui, là-bas, se dit bonsoir. Ce simple calcul brouille les cartes et rompt la symbiose dont ils se vantaient tant. Le seul plaisir qui lui reste est la cérémonie du soir quand d’un trait épais à l’encre grasse, elle efface chacun des jours trop longs de son calendrier.
Un matin, enfin, une première lettre lui parvient. La partition des mots offre à ses sens la sérénade de l’amant. Alors, elle se remet à vivre et à sourire au soleil qui a installé son été sur la cité. Elle pense à son quotidien futur : n’a-t-elle pas de raison de rire ? Comment le doute a-t-il pu entamer sa confiance ? La journée passe et sa tête batifole, caressée par les mots. Le soir, elle s’endort, apaisée, le bout de papier plaqué contre son ventre. Paix de quelques nuits.
Mais ce fragile écran des retrouvailles fictives s’efface, usé par la réalité. Jour après jour, sa vie se métamorphose en un seul et même dimanche d’été. Elle hait les dimanches et déteste les étés. C’est le jour dédié au vide. C’est la saison des abandons. Le silence de la ville s’est ajusté à celui de son corps, le gris bétonné l’habite et étouffe ses pensées. Pourtant, elle réussit parfois à s’évader et à s’envoler au gré de l’air moite qui donne aux trottoirs des brillances de miroirs déformés. Les trois quarts des habitants sont partis en troupeau polluer les plages des catalogues. Les rideaux de fer des commerces sont baissés. Les terrasses bariolées des cafés se sont déguisées en vacances, mais sur elle le leurre ne prend pas.
Elle a froid.
Sa solitude est l’effet de la multitude. Triste compensation.
Elle a faim de son corps, de sa voix. Déjà, sa mémoire la trahit. Les traits de l’absent s’estompent dans le livre des songes. Son visage n’est plus qu’un masque flou. Le seul recours pour le matérialiser reste la lettre qui se fendille tant l’usent ses multiples relectures.
L’existence de l’autre se dilue dans le jus vénéneux de la distance.
Alors elle se raccroche à ses sens.
La chemise qu’il portait la veille du départ l’accompagne dans le noir. L’odeur aigre-douce qui s’en dégage lui offre un sursis. Fossile de la moiteur sucrée d’une émotion intense, elle rassure ses narines inquiètes. Le fin tissu, serré dans sa main crispée, alimente ses désirs.
Mais l’absent qui la hante l’ensorcelle et la fuit.
Bientôt, le parfum âcre s’évapore et la lettre n’est plus qu’un papier froissé. L’encre s’est effacée, elle ne veut plus rien dire. C’était une autre vie. Lui reste l’impression d’avoir accumulé des trésors que le temps, tel un rapace, dévore puis recrache dans l’oubli.
Un soleil de plomb fond sur la ville. Les gens sont agressifs, les contacts électriques. On l’attend, cet orage libérateur d’un été qui semble être là depuis toujours.
Soudain, son être engourdi s’agite. Pourquoi ne pas y avoir pensé plus tôt ? Elle se précipite sur le dernier tiroir de sa commode, vieux meuble aux formes lourdes et arrondies. Dans ce minuscule grenier à miracles s’amoncellent des collections inachevées de galets, de timbres, de cartes postales. Ses mains bousculent ces objets fétiches, témoins de sa vie. Elles fouillent, rejettent, déchirent, brisent. Enfin, elle le découvre, ce paquet de lettres aux amours de papier.
Émue, elle écarte avec des gestes fébriles les missives abîmées. Et puis elle l’aperçoit, docile et patient, dormant entre deux pages. Camaïeu noir et blanc, vieilli, taché d’ombres brunes : le portrait est intact. C’est bien lui, même si les années ont accroché depuis à son regard de jeune fauve, un peu de sagesse et de maturité.
Leurs sourires s’étaient rencontrés dans la salle d’un bar zinc et billard. Assise près d’une glace qui lui permettait de l’espionner, il n’avait pas été dupe et l’avait bientôt rejointe l’interrogeant en guise de présentation « puis-je m’espionner à vos côtés ? » Prise d’un fou rire, elle avait salué l’aube au creux de ses bras.
La photo a la force du souvenir et lui permet, le soir même, de s’endormir, réconfortée par son mirage attentif et généreux.
Aussitôt, elle l’idolâtre. Grâce à elle, sa mémoire peut enfin lui jouer le refrain des grandes émotions passées, des caresses échangées et non plus solitaires.
Son Dieu est de retour et c’est ce qui la perd.
Obsédée par la recherche d’une présence qui ne peut être, elle opère un transfert sur le bout de papier aux coins écornés : dieu ou démon, il devient nuit après nuit son confident, son amant, son maître à penser. L’idole aux traits éternellement figés remplace l’être de chair. L’ayant oublié, elle l’a recréé.
Son plaisir est inespéré, total. Désormais, il lui appartient, rien ne peut plus les séparer.  Sa solitude vaincue la quitte à la mi-temps de l'automne.
Et puis les jours raccourcissent, les terrasses des cafés prennent des allures de plages vides. Les parasols repliés sur leurs socles gîtent sous la bise, tels des voiliers nus au bout des jetées. Accompagné du chuchotis mouillé de la pluie fine qui dégouline contre les vitres, l’hiver s’installe, et précipite dans son souffle glacial les dernières feuilles mortes dans les caniveaux.
Maîtresse d’une chimère, elle en est maintenant esclave. Comment peut-elle préférer l’amour d’un papier sale à celui d’un être vivant dont le retour est imminent ? Si elle acceptait de jeter un œil dans sa boîte à lettres, elle y verrait un abondant courrier. Qu’importe ! Comblée par son amour de papier, elle n’a que faire de celui de l’autre. Manger des yeux son idole lui suffit. Il lui faut pourtant accomplir le dernier acte.
Pour la dernière fois, ses talons usés foulent les rues de son quartier. Elle va se faire photographier, elle aussi. Il faut à son amant une autre elle-même, insensible à la fatigue, aux faiblesses temporelles.
Les passants remarquent ses pas hésitants et n’osent plus juger son visage aux traits flous. Ils ignorent qu’ils ne la reverront plus.
Une semaine plus tard, l’amant revient de son voyage.  À son tour, il l’attend jour après jour.
Le studio reste rangé, chaque meuble bien à sa place.
De longues nuits passent.
Le remord, qui le ronge puis lui ferme les yeux, l’empêche de remarquer au-dessus du calendrier aux dates effacées, deux petites photos épinglées au mur. Pour elles, une journée de plus s’ouvre sur leur bonheur éternel.
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Nell Gabier

Il est des lieux tourmentés et prédestinés au tragique, et quand le malheur les accable, on ne peut que crier à la fatalité. Il en est d’autres, au contraire, qui attirent la paix, le bien-être, la félicité. C’est la logique des choses et l’être humain ne peut que rarement intervenir. Il participe un peu, subit beaucoup. Parfois, et plus souvent qu’on ne le croit, il arrive que cette logique s’embrouille, confonde les donnes.

Prenez le hameau des Fanges, dans un coin perdu au fond des Pyrénées. Je ne crois pas qu’il figure dans un quelconque ouvrage géographique ou touristique. Il est trop haut niché hors de portée des autoroutes. Livré aux sangliers, aux ronces et au chiendent, ils y règneraient en maîtres absolus si ne vivotait pas dans les vieux murs de la maison Bousier, le fils aîné.

Imaginez : quoi de plus paisible qu’un hameau de montagne. Quand j’aurai précisé qu’au début de cette histoire, il est envahi par la neige, vous n’y tiendrez plus et vous précipiterez chez votre agent de voyage pour y louer la ruine écolo qui vous retapera la santé pendant vos congés payés.
Pourtant malgré l’air pur, ce n’est pas une sinécure.
Le décor est placé et ce n’est pas du carton-pâte. C’est de la pierre, de la bonne vieille pierre qui pourrait ramener gros si le fils Bousier, seul maître de céans, ne dilapidait pas les sous des rares touristes danois ou allemands, dans les poches d’autres touristes, marocains ou colombiens. C’est qu’il n’est pas raciste, le fils Bousier ! Il vendrait bien l’artisanat rustique du monde entier à tous les badauds à pèze pourvu qu’il puisse replacer le pognon dans son commerce aux coûteuses illusions. Et ses parents là-dedans ? Bah, leurs vieux corps se sont barrés en claquant la porte d’ici-bas sans les prévenir. Alors, main dans la main, ces deux âmes blanchies aux cendres du foyer conjugal s’en sont doucement allées rejoindre d’autres galères.

Leur fils est donc seul. Il sniffe et, à l’occasion, deale. Ce n’est pas dit dans le scénario, mais à tous les coups c’est sûr. Sniffant au-dessus de ses moyens, il regarde bêtement la neige gommer la ligne d’horizon. Comme le rustre a eu une enfance de montagnard, regarder les flocons tomber lui rappelle quand il était petit, quand il croyait que cette simple intempérie était le savon qui s’échappait du ciel, quand celui-ci lavait son bleu, usé par les diverses successions des saisons, des changements de temps et de jours. Ce tendre souvenir soutire à notre mécréant, un moment repenti, la larme de l’émotion. Une seule devrait suffire, une autre pourrait le convaincre qu’il vit en pleine connerie.

Saisi par une soudaine envie d’air pur, il attrape son fusil, fidèle compagnon des jours blêmes, vécus à coups de règlements de compte. Harnaché dans sa parka au col de castor élimé troquée sur un marché aux puces, il glisse ses panards aux ongles incarnés dans des galoches dont les semelles, paraît-il, font ventouse sur la glace. C’est vrai que c’est efficace. Le voilà sur le pas de sa porte. Indifférent au froid qui gèle à grande vitesse l’eau stagnante du terrain vague qui lui sert de jardin. C’est d’une démarche de yéti, veule et borné, qu’il s’en va vers ce qui le préoccupe. Tel un vautour, il enfouit ce qui lui sert de tête dans ce qui lui reste de corps, une fois mis à part les côtes cassées, les tatouages classés « X » qui cachent ses cicatrices, la dernière étant une estafilade dentelée, faite des points de suture cousus sur son cou récemment malmené. Tout ce fatras de barbaque se serre les coudes pour maintenir ensemble des morceaux qui, jusqu’à présent, lui ont toujours été restitués. C’est que les temps sont durs pour les malfrats de son acabit. Dans le temps, il n’y a pas cinq années, c’était les jeunes qui montaient jusqu’à sa masure pour se procurer leur cure. C’était eux qui se payaient les dix bornes à travers la forêt ; encore eux qui usaient leurs semelles contre les silex de ce foutu chemin, le bien nommé Sentier du Diable. Las, la roue tourne et c’est lui maintenant qui est dans le pétrin et qui doit leur lécher les bottes à ces putains de blancs-becs. C’est ça ou crever la gueule ouverte. Faut avouer que dans le choix
c’est jouer la restriction. Alors pour remplir ses vieilles caries il se tape la route.

Oh, quand il était mioche, ce n’est pas cette balade qui le faisait plus chier. Elle était même fort à son goût. En fait, il la connaît mieux que tout le monde cette charmante virée, car c’était le sentier officiel de son école buissonnière. En dix bornes, il avait largement le temps de décider s’il allait élimer son cul sur les bancs sales de la classe ou contre l’écorce des arbres, à la recherche de quelques œufs à gober. Je laisse à votre esprit perspicace l’infinie jouissance de trouver la réponse. Il avait eu tout le temps nécessaire pour les observer, les petits animaux de nos forêts et campagnes. Il connaissait tout sur les mœurs de la buse, de la martre et de sa proie l’écureuil, du renard ou du sanglier. Combien de fois était-il resté immobile, planté au milieu des cailloux, à écouter pendant des heures les trilles du rouge-gorge, de la fauvette ou de la charmante mésange. Il savait bien que ces doux chœurs printaniers n’étaient qu’une frime esthétique au service de la défense du territoire. La nature n’a rien à foutre de l’art. Elle ne sert qu’une seule cause : apprendre à vivre et à survivre. Pendant toutes ces saisons passées à épier le comportement des bêtes, le mouflet avait bien retenu les leçons. Et il envoyait paître, à juste raison, les adultes qui essayaient de lui prouver le contraire. Aussi, aujourd’hui, toute la magie qui façonne le paysage où déambule péniblement notre bonhomme n’a aucun impact sur sa cervelle blasée. La neige retient de son passage de profondes empreintes, et les branches des taillis, frôlées par sa lourdeur, secouent des paquets silencieux qui s’écrasent derrière lui. En bas, dans la plaine autour du grand fleuve invisible, des corbeaux s’interpellent. Le ciel est habité de mauvaises intentions. Il neigera ce soir ou demain et le plus tard sera le mieux afin qu’il puisse finir sa tâche et revenir à la turne. En fait, loin de s’émouvoir sur la blancheur environnante, ses neurones d’enfoiré lui jouent la grande nostalgie. Elle était bien Paulette, pourquoi l’avaient-ils butée l’an passé ? C’était une meuf bien roulée, qui avait de la conversation, juste la quantité et la qualité qu’il lui fallait. Du sur mesure, quoi ! Elle était courageuse et tout. Certes un peu obtuse quant à certains principes, mais dans l’ensemble elle lui convenait plutôt. Ils avaient même fait un loupiot. Pas exprès bien sûr, mais quand même, ça compte. Le lardon allait naître au printemps, mais ils l’ont butée en plein hiver. D’une pierre ils ont fait deux coups. Bien joué les mecs. Et tout ça pour quoi ? Pour de la came qui n’avait pas été livrée à temps. Dans leurs cerveaux tronqués, ces connards n’avaient pas pu imaginer que le trafic, c’est comme les trains : ça peut avoir du retard. Alors voilà, lors de leur montée au taudis du dealer présumé fautif, ils avaient joué de la menace et de la torture auprès de la taulière enceinte pendant que son homme était absent. Il l’avait retrouvée dans un état que je n’oserai vous décrire et juste avant son dernier soupir, elle avait eu le temps, sur l’origine de son mal, de l’affranchir. Il savait pour quoi, il savait par qui. Lui restait plus qu’à se venger.

C’est pour ça qu’il a un peu la tête ailleurs en ce glorieux jour de beauté immaculée. Il n’en a même strictement rien à foutre. Pendant ces dernières semaines, il avait dû ravaler sa rage car le trop pressé avait été alpagué par les poulets pour une autre affaire et ce sont ses amis qui le lui avaient appris. Il avait dû attendre la libération du fautif. C’était chose faite depuis hier soir et pour le transformer en surgelé, c’était la bonne saison. Pouvait pas mieux tomber. On ne peut pas dire qu’il a un plan ; tout sera dans l’improvisation. C’est vrai, quand il prévoit, c’est toujours raté. Là au moins, il n’y aura pas de mauvaise surprise.

Le chemin accentue sa pente, ses pas ne sont plus très sûrs, la neige trompe la vue de l’homme des bois pourtant averti qu’il est. Pour éviter la chute, il s’accroche aux ronces qui transpercent ses gants. Ses mains doivent être rouge sang. Merde ! Il est en train de se faire avoir comme un bleu. Pourtant, il la connaît cette neige. Quand elle vient de tomber, on dirait que la terre polluée cache ses misères sous un manteau d’hermine, telle une fausse vierge à marier. Tout est vaporeux, irisé, idyllique. Sous ce tas d’innocence virginale, des crimes odieux se trament, s’exécutent. Mais la beauté rend amnésique, on oublie et on
admire. Plus tard, quand le beau miracle se sera mué en boue sale et verglacée, la mémoire reviendra, mais il sera trop tard. La blessure, prise dans la glace, s’éternise et le sang à jamais fixé dans la coulée brunâtre signe la cicatrice du temps. Et puis au printemps tout disparaît. Les belligérants, survivants du drame hivernal, se serrent les pognes et se lancent des « tchao, à l’an prochain ! ». La neige est une magnifique sangsue, un vampire aux dents blanches qui hypnotise toute vie. Notre homme en a maintes fois réchappé et c’est à pas de loup qu’il s’approche de la cabane où gîte sa future proie. La cheminée distribue sa fumée âcre et parfume au feu de bois les alentours. Il en prend plein le blase et retient comme il le peut un éternuement qui pourrait rendre suspicieux l’infâme. La neige enveloppe le crissement de ses bottes. L’autre n’entendra pas.

Le justicier se plaque contre un mur, se tasse contre les briques rugueuses, s’y griffe et s’y cogne, se faufile et s’abaisse au-dessous de chaque fenêtre. Soudain, il bloque sa respiration, pour mieux entendre celle de l’autre. C’est qu’il l’entend haleter le salaud, et drôlement fort encore. Quand même, avoir si peu de pudeur. L’ennemi est occupé avec une dame. Il a raison, ça réchauffe et ça entretient la forme. Le tueur lève la tête et jouit du spectacle. Tout absorbé à sa tâche, l’autre ne se rend compte de rien. En fait, leurs souffles changent de tempo.
Il ajuste son tir. Leurs rythmes s’accélèrent, leur danse du ventre est synchro, les reins se choquent, s’emboîtent. Soudain, un spasme secoue leurs carcasses. Ils ont trop joui, se sont éclaté le thorax.
Il n’y a pas à dire : baiser le jour de sa mort est vraiment un mauvais sport.

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Défi
Nell Gabier

Lumière dans la brume,
Lignes noircies avec ma plume
Orage,  nuages, pluie.
S'écrit l'histoire dans la nuit
la page se tourne puis s'enfuit.
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Défi
Nell Gabier



Sourires et murmures d’avenir. Le clair de lune rend incandescents les corps des deux amants. Une séparation se prépare. Les caresses échangées cette nuit sont attentives, mémoires des tièdes reliefs dont chacun se nourrira pendant l’année à suivre.
Maintenant, l’homme est parti de l’autre côté de la terre, mettant un point d’orgue à leur liaison.  Le temps se fige pour elle. Sa chambre de jeune femme redevenue sage lui donne la nausée. Dans ce monde organisé à deux, la solitude est maladie.
Son amour boiteux n’a plus de miroir pour trouver l’équilibre. Elle erre avec les gestes mécaniques d’une amnésique qui se souvient du passé d’autrui, mais plus du sien. Pour ne pas laisser le vertige la désagréger, elle se donne des étapes, se raconte des histoires, des retours de semaine prochaine. Quand elle marche dans la rue, elle recrée  l’illusion de l’ombre aimée et de son pas cadencé, mais sa pensée est seule pour battre le tempo.
Et puis les journées défilent : le bureau, les autres, les coups de téléphone de fin d’après-midi qui ne sont plus pour elle. Elle a inclus les fuseaux horaires dans son quotidien : leurs deux vies ont désormais six heures de décalage et quand elle dit bonjour à son miroir, lui, là-bas, se dit bonsoir. Ce simple calcul brouille les cartes et rompt la symbiose dont ils se vantaient tant. Le seul plaisir qui lui reste est la cérémonie du soir quand d’un trait épais à l’encre grasse, elle efface chacun des jours trop longs de son calendrier.
Un matin, enfin, une première lettre lui parvient. La partition des mots offre à ses sens la sérénade de l’amant. Alors, elle se remet à vivre et à sourire au soleil qui a installé son été sur la cité. Elle pense à son quotidien futur : n’a-t-elle pas de raison de rire ? Comment le doute a-t-il pu entamer sa confiance ? La journée passe et sa tête batifole, caressée par les mots. Le soir, elle s’endort, apaisée, le bout de papier plaqué contre son ventre. Paix de quelques nuits.
Mais ce fragile écran des retrouvailles fictives s’efface, usé par la réalité. Jour après jour, sa vie se métamorphose en un seul et même dimanche d’été. Elle hait les dimanches et déteste les étés. C’est le jour dédié au vide. C’est la saison des abandons. Le silence de la ville s’est ajusté à celui de son corps, le gris bétonné l’habite et étouffe ses pensées. Pourtant, elle réussit parfois à s’évader et à s’envoler au gré de l’air moite qui donne aux trottoirs des brillances de miroirs déformés. Les trois quarts des habitants sont partis en troupeau polluer les plages des catalogues. Les rideaux de fer des commerces sont baissés. Les terrasses bariolées des cafés se sont déguisées en vacances, mais sur elle le leurre ne prend pas.
Elle a froid.
Sa solitude est l’effet de la multitude. Triste compensation.
Elle a faim de son corps, de sa voix. Déjà sa mémoire la trahit. Les traits de l’absent s’estompent dans le livre des songes. Son visage n’est plus qu’un masque flou. Le seule recours pour le matérialiser reste la lettre qui se fendille tant l’usent ses multiples relectures.
L’existence de l’autre se dilue dans le jus vénéneux de la distance.
Alors elle se raccroche aux odeurs, aux sons.
La chemise qu’il portait la veille du départ l’accompagne dans le noir. L’odeur aigre-douce qui s’en dégage lui offre un sursis. Fossile de la moiteur sucrée d’une émotion intense, elle rassure ses narines inquiètes. Le fin tissu, serré dans sa main crispée alimente ses désirs.
Mais l’absent qui la hante l'ensorcelle et la fuit.
Bientôt l’odeur s’évapore et la lettre n’est plus qu’un papier froissé. L’encre s’est effacée, elle ne veut plus rien dire. C’était une autre vie. Lui reste l’impression d’avoir accumulé des trésors que le temps, tel un rapace, dévore puis recrache dans l’oubli.
Un soleil de plomb fond sur la ville. Les gens sont agressifs, les contacts électriques. On l’attend, cet orage libérateur d’un été qui semble être là depuis toujours.
Soudain, son être engourdi s’agite. Pourquoi ne pas y avoir pensé plus tôt ? Elle se précipite sur le dernier tiroir de sa commode, vieux meuble aux formes lourdes et arrondies. Dans ce minuscule grenier à miracles, s'amoncellent des collections inachevées de galets, de timbres, de cartes postales. Ses mains bousculent ces objets fétiches, tous signatures d’une vie. Elles fouillent, rejettent, déchirent, brisent. Enfin, elles le découvrent, ce paquet de lettres aux amours de papier.
Émue, elle l’écarte au hasard, séparant la liasse aux pliures comme un vieil accordéon cassé. Et puis elle l’aperçoit, docile et patient, dormant entre deux pages. Camaïeu noir et blanc, vieilli, taché d’ombres brunes : le portrait est intact. C’est bien lui,  même si les années ont accroché depuis à son regard de jeune fauve, un peu de sagesse et de maturité.
Leurs sourires s’étaient rencontrés dans la salle d’un bar zinc et billard. Assise près d’une glace qui lui permettait de l’espionner, il n’avait pas été dupe et l’avait bientôt rejointe lui demandant en guise de présentation « puis-je m’espionner à vos côtés ? » Prise d’un fou rire, elle avait salué l’aube au creux de ses bras.
La photo a la force du souvenir et lui permet, le soir même, de s’endormir, réconfortée par son mirage attentif et généreux.
Aussitôt, elle l’idolâtre. Grâce à elle, sa mémoire peut enfin lui jouer le refrain des grandes émotions passées, des caresses échangées et non plus solitaires.
Son Dieu est de retour et c’est ce qui la perd.
Obsédée par la recherche d’une présence qui ne peut être, elle opère un transfert sur le bout de papier aux coins écornés : dieu ou démon, il devient nuit après nuit son confident, son amant, son maître à penser. L’idole aux traits éternellement figés remplace l’amant de chair. L’ayant oublié, elle l’a recréé.
Son plaisir est inespéré, total. Désormais, il lui appartient, rien ne peut plus les séparer. Vaincue, la solitude la quitte à la mi-temps de l’automne.
Et puis les jours raccourcissent, les terrasses des cafés prennent des allures de plages vides. Les parasols repliés sur leurs socles gîtent sous la bise, tels des voiliers nus au bout des jetées. Accompagné du chuchotis mouillé de la pluie fine qui dégouline contre les vitres, l’hiver s’installe, et jette dans son souffle glacial les dernières feuilles mortes dans les caniveaux.
Maîtresse d’une chimère, elle est maintenant son esclave. Comment peut-elle préférer l’amour d’un papier sale à celui d’un être vivant dont le retour devient imminent. Si elle acceptait de jeter un œil dans sa boîte à lettres, elle y verrait un abondant courrier. Qu’importe ! Comblée par son amour de papier, elle n’a que faire de celui de l’autre. Manger des yeux son idole lui suffit. Il lui faut pourtant accomplir le dernier acte.
Pour la dernière fois ses talons usés foulent les rues de son quartier. Elle va se faire photographier, elle aussi. Il faut à son amant une autre elle-même, insensible à la fatigue, aux faiblesses temporelles.
Les passants remarquent ses pas hésitants et n’osent plus juger son visage aux traits flous. Ils ignorent qu’ils ne la reverront plus.
Une semaine plus tard, l’amant revient de son voyage.  A son tour il l'attend, durant de longs jours.
Le studio reste rangé, chaque meuble bien à sa place.
De longues nuits passent.
Le remord qui le ronge, puis lui ferme les yeux, l’empêche de remarquer au-dessus du calendrier aux lignes effacées, deux petites photos, épinglées au mur. Pour elles, une journée de plus s’ouvre sur leur bonheur éternel.


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Nell Gabier

Tu es parti, je n'ai plus ri.
Je n'avais pas imaginé ta mort, je fus prise de remords.
Je n'avais rien prévu, tu m'as prise au dépourvu.
Quand je voulus écrire ma détresse, je fus débordée par le stress.
De ma tête, de mon cœur, de mon clavier, les mots s'éloignèrent. J'étais expulsée d'une sphère câline qui n'en était plus une. Sans toi, j'étais devenue un point sans majuscule.

Je courus après ces mots, les appelai à revenir dans ma tête et au bout de mes doigts, leur demandai de faire un effort. Je leur rappelai que j'avais toujours été gentille avec eux, que je les avais toujours respectés, qu'avec moi, ils avaient toujours fait ce qu'ils voulaient.
Moqueurs, ils m'invectivèrent : "eh bien, on veut que ça continue. Non, mais, regardez la". Et ils persiflaient "bouh, elle est veuve, elle est veuve, c'est bien fait pour elle, on ne la verra plus heureuse, elle a bu son miel, maintenant elle va devenir vieille."
Les mois passèrent, je chassai les secondes vides à coups de verres pleins. De larmes, pas de vin.
Quoique !
Puis, peu à peu, rebelle à l'apitoiement, je taisais mon désarroi. J'avais faim de vivre, de rire, de renouveau.
Il fallut alors affronter la réalité : écrire des contes ne me disait plus rien. La fiction était moins inventive que la vraie vie. Alors, écrire, à quoi bon ! La Faucheuse avait emporté mon Imagination jusqu'à ce qu'un soir je décidai qu'elle n'aurait pas ma raison. J'allais me battre.
D'abord, j'achetai de quoi redevenir un être humain, bien dans ses guêtres, bien dans sa peau. De nouveaux vêtements, de belles expositions, de belles randonnées. Les semaines passèrent et les activités dans diverses associations ne m'offrirent pas l'humanité recherchée. Revancharde, puis apaisée, je décidai d'apprivoiser ma solitude. En assez peu de temps, bonne élève, bien motivée, j'appris à l'apprécier. Si je voulais que les mots me reviennent, je devais être heureuse avec moi-même. L'objectif était ambitieux, l'entraînement fut extrême.

Désormais, sous mon toit et derrière mes fenêtres, j'acceptais de rester assise, sans bouger, à l'affût des prémisses d'un retour à la paix. Ce fut l'expérience enrichissante d'un premier face à face immobile avec l'ordinateur. "Allez tu peux y arriver, mon petit", m'encouragea une âme. "Allez, encore un petit quart d'heure. Tu vois bien que tu peux le faire" chuchota la petite voix. Et ce furent les premières unités d'un temps où j'eus le courage de ne pas fuir, d'affronter les fantômes d'une situation d'antan, rassurante, et d'où j'avais été chassée. Ces minutes se nourrirent jour après jour de paix et chassèrent le chagrin. Ce n'était pas évident pour quelqu'un qui avait passer des mois à errer dans les rues à la recherche de l'oubli.
Être capable d'affronter sans bouger son bureau, c'était acquis. Ne plus courir à hue et à dia, c'était gagné.
Restait la prochaine étape, le plus gros morceau : retrouver les mots, les fréquenter de nouveau. Mais ils m'avaient fuie. Mais ils s'étaient moqués. Allaient-ils redevenir dociles ? Loin de moi, qu'étaient-ils devenus ? Existaient-ils encore ? Je ne lisais plus de livres, je ne pouvais donc les voir. Quant à ceux sur mes écrans, ils étaient trop à la merci d'un doigt maladroit. N'écrivant plus, ne lisant plus, un désert sans mots s'étalait devant moi. Zéro. Il fallait que cela cesse, imposer l'embargo pour endiguer ce fiasco. Illico, j'éteignais le micro, remplissais le stylo, étalais une première page. Et le miracle se fit : un sujet suivi de son verbe et d'un complément apparurent. C'était reparti.

Condition de réussite à ce nouveau départ : m'adapter à ma nouvelle lenteur. Dans ma vie d'avant et de toujours, elle n'avait pas eu droit de séjour. "Je n'ai pas le temps", avais-je l'habitude de répondre. Ensuite, durant tous ces longs mois, mon esprit avait été totalement vidé, tel un réservoir à récurer, à rénover. Asséché, nettoyé, il devait se remplir de nouveau. J'entrai en convalescence.

Puis, un certain matin,  des bouts de rêves remplis de mots s'accrochèrent, curieux, au bord de mes paupières. Ils voulaient débarquer sur le papier et y créer de nouveaux territoires.  Je compris qu'ils voulaient, enfin, se réconcilier avec moi. Je saisis avec excitation mon stylo, ouvris mon cahier et dans une sérénité retrouvée, les phrases, telles les eaux d'une rivière paisible, s'écoulèrent dans la fluidité de mes pensées. Nous étions de nouveau amis.




 

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Nell Gabier

Comment naquit l’Entente cordiale avec les Z’Humains

L’ombre protectrice qui a chassé la clarté du jour déclenche comme chaque soir le réveil du clan. Premier à ouvrir l’œil, vite imité par mes compagnons, je m’étire, baille à plusieurs reprises, me frotte frénétiquement les yeux et les moustaches puis entame à grands coups de langue ma toilette. Agglutinés les uns contre les autres, nos poils se touchent et je frôle l’arrière-train de mon amoureuse en train d’allaiter sa dernière portée, nos bébés. Après un court moment passé à se mettre en ordre de marche, nous sommes prêts pour entamer le premier travail de la nuit : quérir la nourriture. Mon flair perçoit vite un délicieux parfum. Les autres me font confiance. Normal, je suis le chef. Je sais où aller, donc eux aussi. Le nez en l’air, je nous mène droit vers une abondante provision de grains de blé et de maïs déposés à notre intention par Lui sur le plancher. Trottinant rapidement à la queue leu leu, nous nous dirigeons droit dessus. Après m’être servi largement, l’assouvissement de mon appétit me porte à être magnanime et apte au partage. Il en est toujours ainsi depuis que notre multitude s’est installée dans ce grenier. Vous l’avez compris je pense, nous sommes des souris. Des souris de la haute, des sauvages, s’il vous plaît, pas de vulgaires souris domestiques qui se vautrent dans les immondices de vos poubelles. Cherchant un abris pour l’hiver, nous avons investi cette demeure par un tuyau qui remontait le long du mur jusqu’à ce grenier et maintenant, nous y sommes très bien installés et nous prospérons comme il nous convient et en toute dignité.

Mais chut, j’arrête de vous causer, Ecoutez, Il arrive. Qui Il ? Prêtez l’oreille. Vous l’entendez ? Non ! Ah oui, j’oubliais, vos oreilles sont moins efficaces que les nôtres. Le Z'Humain arrive, l’Ambassadeur, un être hors du commun je dois dire. Puisque vous m'écoutez encore, c'est que je ne vous fais pas peur. C'est bien et je vous en sais gré. Alors, pour vous remercier de votre intérêt pour ma petite personne, je vais vous raconter mon aventure. Ah ah, je ressens des effluves d’impatience. Allez, installez vous confortablement. Prenez quelques grains de blé et écoutez mon histoire.

Le Z'Humain habitant cette maison a décidé de me garder, moi, tout d’abord.
C’était par un soir pluvieux. Nos multiples familles m’avaient fait confiance, après que je leur avais indiqué l’abri que je nous avais dégoté. une maison assez grande, surtout haute, avec un grenier. Nos femelles avaient mis bas, et tandis que nos petits tétaient goulument,  nous, les mâles, avions profité de la première nuit pour partir à la découverte de ce nouveau territoire. Nous trottinions les uns derrière les autres le long des poutres poussiéreuses quand soudain, une de mes pattes ayant trébuché, j’étais tombé. Pris de panique, tout le monde s’était alors enfui. En quelques secondes, je me retrouvais seul, sur un plancher recouvert de meubles, d’objets humains de toutes sortes. Et puis soudain, ce fut la panique, les marches d’un escalier craquèrent. Quelqu’un allait surgir. Je ne savais pas encore ce que c’était, Z'Humain ou animal, et je tentais de me cacher. Sauve-qui-peut : je ne trouvais rien pour m’abriter. S’il s’agissait d’un prédateur, s’en était fait de moi. Mes congénères allaient élire un autre chef et ce serait fini. Désespéré, je me plaquai contre une pile de livres et attendis l’issue. La porte s’ouvrit en grinçant, laissant entrer l’intrus. Ses pas ne ressemblaient pas à ceux d’un animal. Aucuns bruits de fourrure, de coussinets ou de griffes. Ce n’était ni chien, ni chat ni rapace, mais le danger restait et mieux valait demeurer caché. Le bruit inquiétant se rapprochait de ma cachette. Je restais immobile. Puis, une ombre me surplomba. Immense. Son propriétaire devait être grand et resta longtemps immobile au-dessus de ma tête. Je gardais les yeux rivés au sol, espérant qu’en ne regardant pas, je ferai disparaître ce cauchemar. Mais non, au lieu de passer son chemin, ou de m’attaquer, l’être restait immobile. Que faisait-il ? Qu’attendait-il ? Cela dura un temps infini, lui et moi immobiles. Il semblait être devenu un de ses meubles. Et moi j’aurais souhaité en devenir un, mais je sentais mes propres odeurs dues à la peur. S’il les détectait, c’était fini. Le regard toujours plaqué vers le sol, je devinai au bout d’un certain temps que son ombre bougeait. Allait-il s’en aller, enfin ? Peut-être ne m’avait-il pas vu. Mais l’ombre, au lieu de disparaître, obscurcit soudain totalement ma place. J’entendis un léger craquement puis fût enveloppé par la tiédeur d'une respiration proche. C’était un souffle léger, sans aucun sentiment d’agressivité, ni besoin de communiquer. C’était doux, presque parfumé. Davantage étonné qu’apeuré, j’osais tourner légèrement ma tête pour le regarder. Il fallait en finir. Et puis j’avais faim. J’étais seul. Ma tribu m’avait quitté. M’avait abandonné. C’était normal. C’était la loi. Quand enfin mes yeux furent suffisamment tournés pour découvrir à qui appartenait cette ombre inhabituelle, je découvris qu’il s’agissait d’un Z’humain. Un mâle. Il s’était accroupi juste au-dessus de moi très lentement et avait réussi à faire fuir ma peur. Il avait ensuite tendu sa main vers moi, sans doute pour me toucher. Je restais méfiant, bien sûr, mais la confiance arrivait, peu à peu. Puis ce fût le contact. Il me caressa très doucement le dos puis le ventre, et moi, je lui léchouillai les doigts, scellant notre pacte.
C’est ainsi que l’Entente cordiale débuta entre les Z’humains et mon peuple. Et c’était grâce à quelqu’un de mon clan, moi.
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Nell Gabier

Tiens, bonjour, comment vas-tu ? Et maman et tes filles et Fifi… Eh papa, arrête de t’appuyer sur mes épaules, tu me fais mal. Bonjour papa.
En arrivant dans sa chambre claire donnant sur le parc de la propriété, j’enlevais mon manteau puis m’installais près de son bureau recouvert de livres, de matériaux d’écriture en tous genres, dictionnaires, magazines ferroviaires. Pour l’instant c’est moi qui viens te voir… Alors arrête de me demander des nouvelles des autres et fais moi la bise.
C’est toujours comme ça que mes visites à sa maison de retraite débutaient. Alors, à petits pas vaillants dans ses charentaises dépiautées, il rejoignait son siège. Après quoi, je l’interrogeais sur sa santé.. Oh ben ça va, ça va…. j’ai un siècle, mais il n’a pas l’intention de passer l’arme à gauche, le Jojo.. Tiens, regarde, touche un peu pour voir. Il repliait alors son bras et posait sa main à l’épaule. touche là.. Je touchais le biceps sec comme un pied de vigne. Ah oui, dis donc, tu as de sacrés biscoteaux, papa. Bravo. Comment tu fais ça ? Et de se mettre illico à faire ses exercices avec sa canne, chaque mouvement accompagné d’une respiration bien apprise. Tu as vu ce que j’arrive à faire ?  Bravo, c’est super, papa. Surtout continue à le faire… Et dans tes écrits, tu en es où ? Ah, ben là je retrace l’histoire des mouvements ouvriers au 19ème siècle… et il me sortait ses feuilles d’écriture où mots et chiffres, hiéroglyphes en capitales, racontaient à coups de griffes minuscules mais fidèles la grande Histoire. Et puis, tu sais, je continue mon dessin avec Jeanne d’Arc. Ah, la Jeanne ! après les locomotives, la passion de sa vie. Je suis sûre que là où tu es maintenant, avec elle, tu es le plus heureux des manants.
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Nell Gabier

RIEN
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Nell Gabier

Requiem champêtre,

Dans les champs verfeuillants la florie se déploie,
Les tigeois tourbillonnent et s’envalsent à tout va,
Levaille et ventolet donnent envie de ripaille
Aux mirlirats déployés en rangs de bataille.
Las, l’ardu soleil d’août darde ses rayons drus,
Dépouille, brûle et dépoile les maïseux poilus.

Laborantin boursier, laisse en vie les bousiers.

Les abeilles s’étiolent sans le pollen des prairies,
Les cadavres des six pattes embouteillent les galeries,
Et les terres bétonnées oubliées par les vers,
Laissent s’encolliner les chambres des taupinières.
Exclusifs du profit, actionnaires et chimistes,
Vos prés chimiqués souffrent des produits pétroliers.


Laborantin boursier, laisse en vie les bousiers.


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