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MARQUE

Défi
MARQUE


Tu nais. Après, ça se complique...
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MARQUE


La chaleur m’accable
Le chien langue pendante
Dort sous le palmier.
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J’ai froid. Il fait toujours froid dans ce dortoir. J’arrive pas à dormir. Je regarde le Jésus en plâtre qui pendouille sur sa croix. J’ai envie de lui cracher dessus. Quand j’entends le curé qui vient faire sa ronde, je fais semblant de dormir. Je ferme les yeux et je respire fort avec la bouche. Je déteste Jésus, Dieu et tous les curés. Et papa aussi. Mais je vais m’échapper. Je vais y arriver. Les autres fois, j’étais pas prêt. J’étais pas assez fort. Ils m’ont cogné. Cul-nu, devant tous les autres. Mais j’ai serré les dents. J’ai pas pleuré, même pas gémi. Puis ils m’ont laissé une semaine dans le cachot puant sous la sacristie. Mais cette fois, ça sera la bonne.

Ce matin, à la messe de sept heures, j’ai vu que Gaël était en train de se toucher le zizi pendant l’homélie. J’étais content de le voir, parce que je savais que ça faisait du mal au bon dieu et aux curés. Plus tard, en trempant mon crouton de pain sec dans le lait, j’ai pensé au diable. Peut-être que lui pourrait m’aider. Mais je savais pas comment lui parler. Et j’étais pas sûr non plus qu’il existe.
En sortant du réfectoire, Gaël m’a donné un coup de pied dans les tibias. J’ai eu mal et je lui ai foutu mon poing dans la gueule. Il a saigné de la lèvre. Ça m’a fait plaisir. Je suis petit, mais je me laisse pas faire. Jamais.

Tous les jours, après les vêpres, y a le catéchisme. Avec l’abbé Hillou. Lui, je le déteste. Enfin, je les déteste tous, mais lui plus que les autres. Quand je serai grand, je reviendrai et je ferai tout brûler, la chapelle, les classes et surtout les curés. Et Hillou en dernier, sur l’autel, au milieu des hosties. Puis je partirai en Afrique, là où il y a des lions et pleins d’animaux qu’existent pas ici. On dit qu’il fait chaud tout le temps là-bas. Et qu’il y a pas de curés. Ils ont tous été mangés par les lions et les crocodiles parce qu’ils peuvent pas courir vite avec leurs soutanes. Tout à coup, Hillou a pointé son doigt crochu vers moi : « Pierre le nabot, va au presbytère me chercher le Deutéronome. Il est sur l’étagère du haut, celle des anciens testaments". Il devait y avoir un piège. Il m’avait jamais rien demandé dans le genre. La haine et les coups de martinet étaient les seules choses qui nous unissaient. Mais peu importe, l’occasion était trop belle d’échapper quelques instants à ces histoires de dieu vengeur et à sa passion pour les sacrifices et les égorgements.
L’air frais m'a fait du bien. Il n’y avait personne sous le cloître. Les arcades grisâtres me paraissaient presque accueillantes. Même le préfet de discipline qui montait la garde devant le presbytère m'a laissé passer sans faire trop d’histoires. Et je me suis retrouvé devant un pan de mur couvert de livres posés sur des étagères de bois grossier. J'ai jeté un œil à tous ces vieux bouquins pleins de poussière et de sornettes. Exode, Lévitiques, Ecclésiaste, Lamentations… Je me demandais comment ces curés, aussi cons qu’ils soient, pouvaient lire ce genre de trucs. Le Deutéronome était bien là, entre le Pentateuque et un gros pavé de grammaire latine. Je jetai un oeil à la pièce : une chaise, un bureau, un crucifix et un tableau de la Madone aux larmes de sang. Le bureau contenait trois tiroirs. J’essayai de les ouvrir. Tous étaient fermés à clef. Sauf celui d’en bas. Dedans, il y avait un crucifix et un livre, aussi vieux que les autres, « Les Cent-Vingt journées de Sodome ». Il n'avait pas l'air d'un livre sacré, à cause de l'illustration de la couverture : pas de croix, ni de prophète ensanglanté. Juste des femmes nues. Et leur attitude ne ressemblait en rien à celle de la Vierge Marie ou des religieuses. Je coinçai l'ouvrage dans mon pantalon, à l’arrière, caché sous ma blouse.
Dans le dos, je sentais cet objet irradier une chaleur violente et douloureuse. Je savais que c’était la brûlure du mal et j’en éprouvais un plaisir violent. Je n’avais plus qu’une hâte : déchiffrer ces mots que j’espérais les plus païens et blasphématoires possibles.
….
La messe de vingt-deux heures s'acheva enfin. Je me précipitai dans le dortoir et cachai mon trésor sous l’oreiller. J’avais négocié avec Éric la lampe de poche que son père, qui était riche, lui avait offerte. Ça m’a coûté trois semaines de petits déjeuners. Mais ça valait le coup. Sitôt l’extinction des lumières, je me suis enfoui sous les couvertures et plongé avec délice dans ces histoires de supplices, de sang et de puanteur. C’était horrible, mais je savais que je faisais le mal et ça me faisait du bien. Des fois, ça me faisait drôle dans le ventre. Je sentais que quelque chose se passait en moi. C’était peut-être le diable qui prenait possession de moi. Pendant des semaines, j’ai lu et relu ces lignes maudites et formidables. J’en oubliais tout le reste.

J’ai senti tout à coup un courant d’air glacial. Ma couverture, mon refuge, m’avait été arrachée par Hillou. Il était là, le salaud, avec son sourire cruel et satisfait. Et moi, j’étais en pyjama, la lampe de poche à la main. Je me suis senti con juste avant que la peur me noue l’estomac. Il a pris le livre, l’a regardé, puis m’a juste dit : « à genoux ! ». Il a enlevé sa ceinture et il a cogné. Longtemps. Plus que d’habitude. Quand mon pyjama gris est devenu rouge et qu’une petite flaque de sang a commencé à se répandre à ses pieds, il s’est arrêté. Puis il a dit : « gravier, à genoux, jusqu’à nouvel ordre. ». J’ai passé toute la nuit agenouillé sur ces cailloux tranchants. Cent fois j’ai failli pleurer. Cent fois j’ai failli hurler. Mais je ne lui ai pas donné cette satisfaction. Et dans ma tête je me disais « Cette vieille bique va me le payer ! Un jour, c’est lui qui sera à genoux, à mes pieds ». Je sais maintenant que quand je serai grand, je serai tueur de curés. Et que je sauverai tous les enfants qu’ils gardent prisonniers.

La vie a continué. Repris son cours, comme ils disent. Moi, je n’avais qu’une idée en tête : retrouver ce livre. J’avais besoin de lire la suite. Et j’avais compris que ce livre était la base de mon évasion définitive. Mais comment ? Et surtout, où avait-il pu le cacher ? Il avait forcément changé d’endroit, et fermé à clé. Mes chances de mettre la main dessus étaient plus minces qu’un mannequin anorexique.
Deux semaines après, je décidai d’agir. J’attendis que la cloche sonne trois heures avant de quitter le dortoir par la fenêtre. Il y avait bien quatre mètres de hauteur, mais je suis souple et léger. Il faisait moins froid que d’habitude. À cette heure-ci, seuls deux curés patrouillaient de temps en temps. Il me fut facile de les éviter.
Et maintenant, où le chercher ce livre ? Je compris qu’il me serait plus simple de peindre le soleil en vert que de trouver un livre caché dans un monastère. La lune éclairait un peu la cour. J’avançai lentement, en restant près des murs ou sous les arbres, jusqu’au portail. Les grilles devaient atteindre les cinq mètres de haut, sans compter les rouleaux de barbelés qui les surplombaient.
Je suis resté de longues minutes à le regarder. Le franchir ? impossible. Puis j’ai pensé au dortoir, aux heures de prières en latin, au sourire malsain d’Hillou, aux coups de ceinture, au cachot. Puis à Sade et à Sodome. Et enfin à mon fumier de père. Tout était là. Tout était limpide. Jamais plus je ne ferai marche arrière. Mieux vaut crever éventré sur une grille que décérébré par des monstres.
Je jetai mon uniforme et toute la grisaille accumulée en moi durant toutes ces années. Puis j’entamai l’escalade.
Au loin, on entendait l’Afrique.
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En montant sur le navire, je jetai un dernier regard sur le quai. Elle était là, à me regarder partir en agitant son foulard rouge. Elle pleurait sûrement. Je lui fis un petit signe de la main avant d’aller poser mes affaires dans la cabine. Enfin, j’allais découvrir le monde. En échange de quelques heures en cuisine, à éplucher des patates et agrémenter aux mieux le contenu des boites de conserve.
Nous avions à peine atteint le grand large qu’une forte tempête se mit à agiter violemment notre embarcation. Une vague gigantesque coucha le bateau, à tel point que je me retrouvai enseveli sous les pommes de terre. J’entendis un énorme fracas. « Tiens, sans doute le grand mât qui a pété », ai-je pensé avant d’être englouti par la vague engouffrée dans l’immense brèche qui éventrait la coque.
J’eus la chance de pouvoir agripper quelque morceau de bois et la force de ne plus le lâcher.
La tempête cessa. Je m’évanouis.
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Oui, c’est vrai, j’ai été son amant, et alors ? Qu’est que ça peut te foutre ? Tu comptais la demander en mariage, ou quoi ? Je te vois bien, tiens, avec ton petit bouquet, en train de poireauter sous la pluie.
Tu sais, mec, j’ai fait la Sibérie. Trois ans à me les peler et à bouffer de l’hermine et du cochon des steppes. Tout seul. J’ai même été à deux doigts de me taper un grizzli. Et toi, tu viens me bassiner avec ces broutilles. Je te la laisse, t’inquiète. T’es peut-être sa dernière chance de pas finir vieille fille. Moi, je t’ai juste ouvert la voie, de quoi tu te plains ?
Quoi ? moi, un misanthrope ? Tu me fais rire. C’est pas parce que je peux pas blairer les mecs comme toi que je suis misanthrope. Et tu ferais mieux de t’acheter des pompes neuves et de l’inviter au restau, plutôt que venir me faire chier. Dans pas longtemps, tu seras vieux, un vieillard souffreteux, valétudinaire et pitoyable. Et seul. Et quand on recouvrira ton cercueil, tu te diras « il avait raison, le mec de Sibérie »
Je te dis ça comme ça. Penses-y.
Et oublie-moi.
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J’allais éteindre l’ordinateur quand j’ai attendu appeler.
- « Eh ! toi, oui, toi ! »
Je jetai un œil sur l’écran. Là, sur ma page Ward 2013, quelque chose remuait. Les mots semblaient se déplacer par petits bonds. La voix reprit :
- C’est bien toi qui écris des petits textes à la noix ?.
- Euh ? Oui, ça m’arrive…
- Tu ne me reconnais pas ? Un guignol rigolo, vulgaire et pitoyable, ça ne te dit rien ? Je suis le « toi » qui se dégage de tes écrits, celui que tu ne veux pas voir. Je suis celui qui joue le rôle du nigaud, de l’immoral ou du paumé. Tu me fais assumer tes rôles minables, tes échecs et tes regrets. Tu te crois drôle, avec ton ironie à la con ? C’est tout juste navrant. D’ailleurs, ton « second degré » est si confus que tu es sans doute le seul à le percevoir.
- Eh ! Attends ! T’es dur, là ! Je veux juste m’amuser à écrire des historiettes, sans prétention…
- Ah, la prétention, parlons-en ! Tu écris comme si tu étais humble, mais l’arrogance et la vanité suintent de tes pages. Tu n’es qu’un orgueilleux contrarié, un humilié revanchard. Regarde-toi, regarde comment tu te comportes sur les réseaux sociaux. Ose dire qu’au moment où tu te connectes, tu n’es pas un peu anxieux. Tu espères que tes conneries ont été likées et tu redoutes par-dessus tout le néant, le rien, le vide. Tu as peur de voir que personne n’aime tes trucs. Tu te rends malade si ton post est là comme un con, tout seul. Personne n’a daigné le commenter, ni même laisser un petit « j’aime » par compassion. Alors tu t’apitoies sur ton sort. Tu te traites de minable et de nul. D’ailleurs, sur ce point, tu n’as pas tout à fait tort.
Je me sentais nauséeux, l'âme déchirée et complètement perdu. Et j’en avais assez entendu. J’appuyai sur la touche « on/off » pour que tout s’arrête. Il continuait son cruel réquisitoire.
- Tout ce que tu veux, c’est être aimé ! Tu voudrais que tout le monde t’aime et te respecte ! Tu es prêt à tout pour y arriver. Aucun honneur. Aucune dignité. Mais le pire, c’est…
L’écran s’éteignit. Je restai là je ne sais combien de temps, hébété, blessé au plus profond de mon âme, la gorge nouée jusqu’aux tripes.
Je n’ai plus jamais écrit une ligne.
Ni approché un ordinateur.
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Je ne peux plus le supporter. Tous les soirs, il est là, face à moi, avachi, une bière à la main. Et il reste là pendant des heures à me fixer avec cet air stupide. Il est laid, il est vulgaire. Et ça rote, et ça pète, et ça mange comme un porc. J’ai envie de lui cogner dessus, de lui enfoncer la tête dans sa pizza. Mais je reste là, impuissante et résignée.
Qu’ai-je donc fait pour mériter ça ? Moi qui ai toujours rêvé de liberté, de grands espaces, pourquoi suis-je condamnée à cette vie médiocre, à ce triste enfer quotidien ? Que la destinée peut donc s’avérer sombre et injuste !
Il se lève, approche et tend vers moi son doigt gras et sale. Je frissonne de dégoût. Je ne supporte plus qu’il me touche. Il finira par s’endormir. Je bénéficierai alors de quelques heures de répit. Et je rêverai, imaginant mille destinations paradisiaques.
Bientôt tout cela sera fini. Bientôt, je partirai. Pour de bon.
Loin, très loin.
Jusqu'au cimetière des téléviseurs.
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Une horde de Morgors venait d’envahir la citadelle. Au-delà des murailles effondrées, entre fracas d’épées et flots de sang, les soldats harassés ruisselaient de rage et de peur.
Pendant ce temps, moi, j’étais devant la télé. Je regardais un programme culturel. Une réflexion sur la richesse et la gloire. J’écoutais attentivement le présentateur, un homme élégant qui semblait toujours de bonne humeur, révéler la véritable raison qui avait poussé Angélina à quitter Brad.
- « Papa ?
- Oui, ma chérie ? »
C’était Lila. C’est ma fille. Elle avait un cahier à la main.
- « Papa, je ne comprends pas bien les hypoténuses au carré, tu peux m’expliquer ? »
Je sentis un frisson glacé me parcourir du haut du crâne jusqu’aux orteils. J’étais pétrifié malgré les flots d’adrénaline qui s’infiltraient sauvagement dans tout mon organisme.
Les maths. La géométrie. Mon cauchemar. Je n’avais jamais rien compris à tous ces triangles, ces bissectrices, ces petits carrés dans les coins les moins serrés.
J’inspirai le plus discrètement possible une grande goulée d’air avant de la rejeter lentement. Normalement, ça me calme.
- « Oui, bien sûr, ma chérie. Mais avant, papa a un peu de travail. On va le faire tout à l’heure, promis ! »
- « Tout à l’heure ? Ça veut dire avant de manger, quand même ?
Elle repartit. Je bondis de mon siège, poussai le bouton « On » de l’ordinateur, m’agaçai du temps qu’il lui fallait pour démarrer et, papier-stylo à la main, je m’installai.
En tapant « hypoténuse » sur Gogol, j’eus une pensée pour tous les papas qui avaient vécu sans Gogol. Comment diable avaient-ils pu faire ?
Il me fallut deux heures et visiter une cinquantaine de sites spécialisés, De « Prof Trop Cool » à « Les mathématiques, c’est pas automatique » en passant par « La trigo, c’est rigolo ».
Soudain, ce fut le choc ! « J’ai compris ! Le carré de l’hypoténuse ! et les deux autres côtés, au carré aussi. »
Je fus pris de vertiges, une chaleur intense m’envahit, aussitôt suivie d’une violente jubilation. Je me mis à chantonner puis même à danser.
J’éprouvais enfin la satisfaction de l’honnête homme qui a accompli son devoir.
Et maintenant, je savais : j’étais un héros.
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- Tiens ! ça alors ! Je suis surpris de te voir ici. Comment vas-tu ?
- Bien, je vais bien. Je regardais le ciel. C’est curieux, il était bleu, mais un bleu singulier, presque turquoise mais pas exactement.
- En effet, voilà qui est étonnant. Certaines choses de la vie sont vraiment étranges. Ah, voilà un banc là-bas. Nous pourrions peut-être nous-y asseoir ?
- Excellente idée. J'apprécie d'être assis. J'ai constaté récemment que je me fatiguais moins assis que debout.
- Ah ? Je ne me suis jamais posé la question. Regarde toutes ces fleurs autour de nous. Il est probable que nous soyons en été, ou, pour le moins, au printemps.
- Je ne crois pas, regarde, on aperçoit aussi des oiseaux. Les oiseaux vivent en hiver. Enfin, au moins les oiseaux d’hiver.
- Mais non, regarde, les arbres sont si touffus, si luxuriants... Si nous étions en hiver, ils seraient nus.
- Pas forcément, ils font peut-être partie des privilégiés dotés d'un feuillage persistant. Eux ne sont jamais contraints de dévoiler leur nudité.
- C'est vrai. Mais, pour être honnête, le sort des arbres ne me préoccupe guère.
- Ah ? Et pourquoi donc ?
- Regarde les. Ils voient tout, ils savent tout. Ils ne disent jamais rien, mais ils n'en pensent pas moins. Ils sont sournois.
- C'est une façon de voir les choses. Tiens, écoute, on dirait un tintement de cloche. Il y a sans doute une église pas loin. Nous sommes probablement un dimanche.
- Peut-être, mais s'il s'agit d'un enterrement ou d'un mariage, nous pouvons être n’importe quel jour de la semaine. Enfin, surtout s’il s’agit d’un enterrement…
- Le son des cloches me fait souvent penser aux anges, avec leurs grandes ailes et leur chemise de nuit blanche.
-Il m'est arrivé de rencontrer un ange, une fois. C’était par une nuit sombre, le long d’une route solitaire de campagne, alors que je cherchais un raccourci que jamais je ne trouvai.
- Ah ? et ensuite ?
- D'emblée, il m'a paru fort amical. Nous avons bavardé quelques temps, de tout, de rien. Je me souviens m'être senti en confiance avec lui, comme si nous nous connaissions depuis toujours. C'était vraiment quelqu'un de bien.
- Cela ne me surprend pas. Ce sont des gens bien, en général. Il est certaines professions ou il n’y a que des gens bien, comme les pompiers ou les infirmières. Et les anges aussi. Ils méritent tous des louanges.
- Il est juste un détail qui m’a mis mal à l’aise. Au moment du départ, il m’a paru si gauche et veule que j’en ai éprouvé de la pitié. Ses ailes de géant l’empêchaient de marcher.
- Oui. C’est l’inconvénient des ailes trop grandes
- Mais que vois-je ? N’est-ce pas le coucou des bois qui vient faire sa danse nuptiale devant la coucoune des bois ? Je n’avais pas vu le temps passer. Il est grand temps pour moi de rentrer.
- Ce fut un plaisir, Nous pourrions nous revoir cet été, ou cet hiver ?
- Ce sera avec plaisir. Un dimanche de préférence.
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Mon frère, Gaston était maître de conférences à l’université de Pyongyang, au département « torture et manipulation ». Il est revenu pour le mariage de notre sœur. Puis il est resté, évoquant le climat de là-bas qui ne lui réussissait pas et son allergie au pollen de magnolia argenté qui lui causait de terribles démangeaisons.
Il s’est installé à la maison, à glander sur le canapé et descendre mes bières. Un jour qu’il n’y avait rien à la télé, il a feuilleté « La Philosophie pour les Nuls ». Il a trouvé ça génial.
Dès le lendemain, il s’est mis à écrire. Des trucs bizarres. Faut dire qu’il a toujours été un peu fêlé. Il n’avait pas quatre ans le jour où il a peint le chat en vert. Le chat n’a pas apprécié. Papa et maman non plus.
Toujours est-il qu'il s'est mis à pondre des pages et des pages. Quelque temps plus tard, il a même trouvé un éditeur qui a accepté de le publier. J’ai trouvé ça louche. Cela dit, c’était une excellente nouvelle : il a pu louer un appartement et, enfin, débarrasser le plancher.
Sa première œuvre, « Métaphysique de la translucidité des mœurs » est sortie cette même année. Par solidarité fraternelle, j’ai tenté de la lire. Mille quatre cents pages de réflexions futiles et inintelligibles. J’ai déchiffré avec peine les trois premières avant de ranger le bouquin dans la bibliothèque, entre Nietzsche et Kant, au cas où il viendrait y jeter un œil. À la sortie de son second ouvrage, « Critique de l’ontologie phénoménologique et de la métaphysique des mœurs", j’ai balancé le livre direct à la poubelle.
Depuis, je l’évite. Il parait qu’il s’est trouvé une copine, une néo-Trotskiste végan qui pratique l'art du massage ayurvédique . Je n’ose même pas imaginer les discussions qu’ils peuvent avoir dans l’intimité. Bah, au fond, je m’en fous. S’ils sont heureux, tant mieux pour eux.
Mais quand ma fille m’a annoncé : "papa, je veux être philosophe, comme tonton !", je lui ai allongé une grande paire de baffes. Ça lui apprendra.
Du coup, elle est devenue call girl. Ça m’apprendra. 
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Des fois j’y pense. Au dernier passage. Au néant.
Et l’idée de fin me ramène toujours au début.

Aux générations de paysans, aux siècles de misère, qui m’ont permis de voir le jour.
À ce gamin joufflu, aujourd’hui enseveli sous les années
Aux rires, aux disputes, aux cabanes dans les bois.
À ce bonheur qui n’est accessible qu’aux enfants. Celui qu’on ne vit qu’une fois.

À mes 10 ans, à la fin de l’enfance
À ce lugubre pensionnat catholique, à ces semaines interminables sous les tristes arcades des cloitres silencieux
Au collège, au bon Dieu, aux curés, et à leurs fausses promesses .
Aux humiliations, aux injustices,

Aux premiers vrais amis, ceux qui sont restés.
Aux premières amours frustrées, aux premiers désirs comblés, aux premières angoisses de chopper le HIV
À celle avec qui je suis resté et aux magnifiques enfants qu’elle m’a donnés
À celle qui a fini par me jeter et aux magnifiques enfants qui sont restés
À toutes ces années perdues à travailler, au temps que je n’ai pas pris pour exister, aimer et respirer,

Au temps qui m’a rongé, comme il m’a échappé
Au bitume auquel j’ai, jusqu’ici, échappé
À la solidarité, à la sincérité, à la lucidité
À tous ces bouts de vie éparpillés, tous ces espoirs déçus
À tout ça...

Des fois j’y pense
Mais des fois j’y pense plus,
À travers les carreaux, il pleut, ou il fait beau,
Et, au fond, c’est bien comme ça.
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Ma femme est une péripatéprostipute. Et encore, c’est un euphémisme. Elle est tout simplement la déesse de la péripatéprostiputation, réputée de Melbourne à Saïgon . Elle a même sa page Wikipédia, entre le divin marquis et Brigitte Lahaie. Faut dire qu’elle n’a rien d’une matrone. Ses formes feraient défroquer n’importe quel séminariste. Elle est tellement bandante que, même avec un collier de saucisses autour du cou, elle emballerait Brad Pitt en deux temps, trois mouvements. Le bon côté, outre un accès quasi permanent à sa sublime intimité, c’est que j’ai plus besoin d’aller bosser, vu qu’elle ramène un salaire de PDG coté au CAC40…
Le mauvais côté, c’est que, comme elle a été élevée dans un cartel mexicain, elle ne s’en laisse pas conter. Faut pas déconner avec elle, quoi. Et c’est valable pour moi aussi. L’autre jour, un quelconque bélître qui voulait négocier les tarifs a eu la mauvaise idée de la traiter de pouffiasse. Mal lui en a pris. Les flics ont même pas pu identifier ses restes.
Faut dire qu’elle est vraiment pas commode. Des fois, elle me fait flipper… Elle a toujours dans son sac un Bull Dog calibre 8mm et une lame dans la botte droite. Et la maison ressemble de plus en plus à une armurerie. Le cellier est rempli d’armes de toute sorte : grenades, Kalashnikov, missiles anti-char… Il y a même une faux, comme celle de la Mort. J’ai jamais osé imaginer pourquoi elle avait ramené ça, ni ce qu’elle comptait en faire..
J’évite d’y penser en m’occupant. Je cuisine, je lave, je fais les courses. L’après-midi, je regarde « les feux de l’amour ».
Ah l’amour ! Il surgit toujours là où on ne l’attend pas.
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