Madame H, 85 ans
Comme trois fois par semaine depuis quatre mois, j’arrive devant le portail de Madame H et sonne la cloche (une vraie cloche). Après deux minutes d’attente (le temps qu’elle trouve sa clé), le rituel du début de séance commence.
Madame H ouvre sa porte d’entrée et crie en haut de l'escalier :
« c’est qui ?!
C’est l’orthophoniste ! répondis-je
Oh je pensais plus à vous ! » s’exclama ma patiente.
Je souris car c’est ce qu’elle me dit à chaque fois que je sonne.
Madame H me salue et me fait entrer chez elle. Je sais, par sa fille, qu’elle a eu rendez-vous au centre mémoire pour divers examens afin de comprendre d’où proviennent ses difficultés de mémoire. Madame H m’explique ne pas avoir tout compris de son rendez-vous avec le médecin neurologue mais a compris qu’elle aurait peut-être une maladie provoquant ces difficultés. En effet, je ne le dis pas à ma patiente mais je sais qu’il s’agit très certainement de la maladie d’Alzheimer. A ce moment-là, ma patiente n’affiche plus une mine souriante mais plutôt un air inquiet, elle se questionne sur l’avenir, essaie de se rassurer en se disant qu’elle n’a jamais eu de problèmes de santé mais a peur du futur et de perdre sa « tête ». En même temps, qui n’aurait pas peur ? Elle ne comprend ce qu'il se passe, pourquoi elle oublie ses mots, pourquoi elle oublie ses rendez-vous ou ce qu'elle a mangé au déjeuner. Mon rôle est donc de la rassurer et de lui redonner confiance mais je suis peinée de la voir si touchée, elle qui est tellement optimiste et joyeuse d’habitude. Je me dois de trouver les mots justes pour l’apaiser. Je les trouve et réussit à calmer ses angoisses partiellement. Nous commençons la séance. Lorsque la séance se termine, Madame H me remercie et, de manière totalement inattendue après un bref aurevoir, en refermant le portail, elle me dit chaleureusement « Heureusement que je vous ai ! ». Je sens dans son regard un immense merci silencieux. Mes yeux brillent à leur tour et je tente un sourire des plus expressifs malgré ce masque bleu qui gratte. A ce moment-là, je me sens emplie de joie et j’ai une immense gratitude pour le métier que j’exerce. Un métier humain, parfois difficile mais surtout riche de relations gratifiantes.
Merci madame H pour ce tendre instant.