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Agraf

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– Grand-père, pourquoi est-ce que grand-mère est morte ?
– Ça te fait peur la mort, dis petit ?
– Je trouve ça triste.

Grand-père se leva de son fauteuil, fit quelques pas jusqu'à la double-porte vitrée qui menait à la chambre, qu'il referma ; non sans avoir jeté un œil au-dedans. Sa femme attendait toujours la crémation, pâle dans son linceul, entourés de couronnes mortuaires. Il retourna vers l'âtre du feu, y plaça une bûche et se rassis. Il invita son petit-fils à s'installer sur ses genoux.

– Je vais te raconter l'histoire de l'origine de la mort si tu es d'accord... Oui ? Très bien alors écoute. Au commencement il n'y avait rien. Rien du tout tu comprends ? Il n'y avait même pas de temps. Le néant absolu. Tu imagines l'horreur... Rien à voir, rien à goûter, rien à sentir, à faire. Rien de rien ! Du reste il n'y avait personne alors ça ne changeait pas un brouzouf à l'affaire mais... Mais quelque chose s'est produit !

Disant cela, il tira sa vieille montre à gousset de son peignoir et l'agita sous le nez du petit. Elle scintillait de mille feux dorés dans la lumière profonde des braises. Enclenchant le chronographe, il la porta à l'oreille de l'enfant qui entendit le tic-tac effrené de l'aiguille ainsi que le vrombissement du marteau derrière l'or poli par l'usage du couvercle.

– Le rien se scinda en deux. Il y avait rien d'un côté, rien de l'autre, bien sûr ! Mais il y avait aussi et surtout quelque chose entre les deux, tu comprends ? Ce qui les différenciait.

Il arrêta le chronographe.

– Tous les tics et les tacs que tu as entendus ils étaient tous semblable et pourtant aucun n'était le même que le précédent. Et si l'horloge devait repartir, tous les tic-tac que tu entendrais ne seraient pas les mêmes non plus. C'est là la différence. Cette différence fondamentale entre le rien et le quelque chose. C'est pour ça que ta mami a arrêté de respirer.

Alors le petit se mit à pleurer. Grand-père rangea la montre dans sa poche et déposa l'enfant au sol. Il prit un coussin de sur le fauteuil et s'installa à côté de lui. Attendant quelques instants qu'il arrête de pleurer, il poursuivit :

– Allons allons. Voilà, prends un mouchoir. Je vais te parler de Chronos. C'est le premier à s'être aperçu qu'il y avait deux rien. Ça lui a fait drôle au début, tu imagines ? Il ne comprenait pas ce qu'il ressentait, c'est normal. C'était la première fois pour lui. Comment tu ferais toi si tu t'apercevais que rien n'avait de sens ici et que pourtant, là ce n'était pas mieux, c'est insensé il s'est dit Chronos ! Insensé !

Le grand-père se prit à rire, bientôt rejoint par son petit-fils qui ne comprenait pas très bien ce qu'il se passait, mais était content de rire avec son papy.

– Oui voilà, ça l'a fait rire ! C'est pour ça qu'il est écrit dans la Bible que lit ta maman "Au commencement était le Verbe" ; c'est ça le verbe, c'est quand tu rigoles ! Ahah ! Et Chronos a ri et il a ri si fort qu'il s'est produit quelque chose d'incroyable.

L'enfant était captivé. Il ne comprenait pas un traître mot de ce qui lui était dit, mais il pouvait voir dans les yeux de son grand-père une lueur un peu magique qui provoquait des explosions de couleurs dans sa tête.

– Il faut que tu saches que si quand je parle tu m'entends c'est parce que tu as des oreilles. À cette époque il n'y avait pas d'oreilles et lorsque Chronos s'est pris à rire, son rire s'est perdu dans le néant. Il s'est tordu, se muant en cris et de ces cris naquirent des pleurs, qui formèrent les premiers océans. Maintenant il y avait de l'eau. C'est dans l'eau qu'est apparue la vie mais à cette époque il n'y en avait pas encore. Sous l'eau il fallait bien qu'ill y ait quelque chose alors il y eut la terre. C'est à ce moment très précis que... Tu as une idée de ce qu'il s'est passé ?

Le garçon secoua la tête. Non il ne savait pas.

– Chronos s'aperçut qu'il y avait lui, et qu'il y avait la Terre. Et donc ? Tu ne sais pas ? Et donc il y avait quelque chose d'autre. Quelque chose qui le séparait de la Terre. Il décida d'appeler ça Amon Râ. Chronos ne rencontra jamais Amon Râ et il ne sut jamais s'il existait vraiment, mais il le ressentait au plus profond de lui. Comme il y avait maintenant de la terre et de l'eau, il décida de consacrer une part égale de sa personne aux deux. Il se coupa donc en deux et remplit la moitié de son corps de terre et l'autre moitié d'eau... Il n'y a rien qui te surprend ?

L'enfant baissa les yeux sur le tapis et rougit comme s'il avait fait une bêtise.

– On ne peut pas vivre avec deux moitiés de corps ! Évidemment Chronos ne pouvait pas le savoir puisque c'était le premier à essayer. Au début, tout allait bien pourtant. Les deux s'entendaient à merveille et étaient d'accord sur tout. Mais le temps passant ils commencèrent à trouver ennuyeux de s'appeler pareil et décidèrent de se trouver un autre prénom. Le Chronos qui était en bas choisit un prénom qui rimait avec bas : Gaïa. Le Chronos qui était en haut choisit un prénom qui contenait "haut" : Océanos.

– C'est vrai tout ce que tu dis Papy ?

– Bien sûr ! C'est comme ça qu'a commencé la mort : par un changement. Une différence. Comme le néant du début, Chronos s'est scindé en deux et ça a fait trois : Gaïa, Océanos et Chronos. Mais ce n'est pas fini ! Car Gaïa en eut bientôt marre d'être en dessous et elle demanda à Océanos de changer de position. Lui il avait ses petites habitudes et il ne l'entendait pas de cette oreille. Alors la Terre entra dans une fureur noire. Des volcans explosèrent partout, crachant mille flammes. L'Océan ne comptait pas se laisser faire et les deux s'affrontèrent ; ce fut une bataille terrible ! C'est ainsi qu'a continué la mort. Les deux finirent par se tuer l'un et l'autre. Du corps de Gaïa naquirent les premières fleurs et les premiers arbres. De celui d'Océanos les premiers animaux et poissons. Mais tu dois commencer à comprendre comment ça marche. S'il y avait les animaux d'un côté et les plantes de l'autre, il y avait aussi...

– Un troisième ?

– Oui ! La mort. À partir de ce moment là, les plantes à leur mort se transformèrent en animaux. Et les animaux en plantes.

– Mami aussi elle va se transformer en plante ?
– Elle m'a demandé de nourrir la terre autour du citronnier de ses cendres. Comme ça l'été prochain elle sera un peu avec nous quand on boira des citronnades !
– Des citronnades de mami ?
– Oui, voilà ! C'est l'héritage de Chronos. Parce qu'il n'y avait rien et que maintenant il y a quelque chose. Et que parfois, nous avons quelque chose, ou quelqu'un. Et nous le perdons. Tout ça n'est possible que grâce à ceci [il sortit une nouvelle fois sa montre, qu'il rapprocha de l'oreille du garçon]. C'est parce que chaque tic est différent des autres qu'il est précieux. Ta mami le savait, c'est elle qui m'a offert cette montre, il y plus d'un demi-siècle tu te rends compte ? À l'intérieur il y a une inscription gravée ; "O tempora". Tu vois ? Là, regarde. C'est du latin. Le O forme un cercle et tempora, qui veut dire "le temps" eh bien c'est écris dedans. Mais si tu observes attentivement, l'écriture sort du cercle.

Le grand-père entendit les crissements d'une voiture que l'on gare sur du gravier. Les parents allaient rentrer d'une minute à l'autre et sa belle-fille n'aimait pas trop qu'il raconte des histoires à son fils. Le moment était venu de finir.

– Le cercle, c'est le temps. C'est ce qui marque le début et la fin de toutes choses. C'est ce qui contient ; comme un vase contient l'eau et retient les plantes de tomber par terre. Le temps nous contient nous du néant. Quand elle a fait graver ces lettres qui débordent, elle a voulu scinder le cercle. Il y a nous, il y a le néant. Et il y a... autre chose.

La porte d'entrée s'ouvrit et les parents entrèrent accompagnés d'un tourbillon de neige.

– C'est une belle montre et tu en hériteras un jour. J'aimerais que tu penses à ça plus tard quand tu te souviendras de nous. Allez, file rejoindre ta maman !
– Désolés, nous avons pris un peu plus de temps que prévu, nous sommes allés dîner. Le petit a mangé ? Oh ce n'est pas important on lui prendra un Happy Meal sur la route. Il se fait tard. Il ne vous a pas trop embêté j'espère ?

L'enfant se jeta dans les bras de sa mère. Le fils, lui, alla retrouver son père au coin du feu.
– Ça va aller papa ? Tu tiens le coup ?
– Oui. Merci de vous être occupés des papiers tous les deux. Je n'aurais pas eu la force. Et puis ça m'a fait du bien de voir le gamin. Vous devriez passer plus souvent...
– Oui, c'est vrai. Nous allons essayer de venir pour Noël. Je ne sais pas si ma femme aura des congés, tu sais qu'elle travaille beaucoup...
– Bien sûr, bien sûr ! Allez, vous allez être en retard. La route est encore longue jusqu'à chez vous. Je vous voit demain à la cérémonie ?
– Je serai là. Le petit sera à école par contre. Et à l'hôpital en ce moment, avec la grippe... Elle ne pourra pas s'absenter deux jours de suite, ils ont besoin d'elle. Tu comprends j'espère ?

Le grand-père acquiesca en silence. Il dit au revoir, posa une nouvelle bûche dans l'âtre et retourna s'asseoir à son fauteuil.

Dans la voiture qui les ramenait à la maison, l'enfant repensait à toutes les histoires de son grand-père. Sa maman lui avait dit que sa mami se trouvait au paradis maintenant, mais qu'est-ce que c'était ? Le "autre chose" énigmatique du papy ? Repensant aux histoires des uns et des autres, une pensée lui traversa l'esprit.

– Dis maman, j'ai une question...
– Oui mon chéri ?
– Est-ce que Jésus c'est le fils d'Amon Râ ?
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Jouer de la langue, s'amuser de l'esprit. Chacune de ces petites histoires vous y conviera !
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En réponse au défi "Écrire l'absurde"
La discussion surréaliste d'un journaliste avec un gilet jaune.
Bonne lecture
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