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Michel Ettewiller

mailto:michel-ettewiller@galaxian.fr.

Passionné de Science-Fiction, de Fantastique et de Création... J'ai écrit depuis 2016 deux romans de SF appartenant à un Cycle, Data Song (Livre Premier : Le Jeu des Lunes - Livre II : Sagittarius). Je travaille depuis quelques semaines sur un troisième roman, qui relèvera davantage du Fantastique. Je compte reprendre le Cycle des Lunes (Data Song) dès que j'aurais terminé ce troisième roman...Une dernière chose : graphiste de formation et plasticien, je réalise mes propres "unes" de couverture (toujours en niveaux de gris, car je raffole du noir et blanc).

Retrouvez-moi dans ma page Facebook : https://www.facebook.com/michel.ettewiller.1/ et dans mon site perso : https://www.galaxian.fr . - michel-ettewiller@galaxian.fr.

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œuvres
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défis réussis
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"J'aime" reçus

Œuvres

Michel Ettewiller

À l’affût sous son porche habituel, Simone Morandis le zieute depuis un moment. Adossé contre le volet métallique de l’épicerie du Chinois, il glisse au ralenti sur son flanc droit à mesure qu’il s’assoupit. De son demi-sommeil, il sort encore par à-coups, juste le temps de porter à ses lèvres son litron de rouge et d’avaler une lampée. Mais ces sursauts de conscience se raréfient.
Simone Morandis attend encore un moment. Le temps que l’enfoiré s’endorme tout à fait. Elle scrute la rue Saint-Denis, les zones d’ombre, en particulier, là où peuvent se planquer les gens de son espèce. Les nocturnes. Rassurée, elle traverse la rue et trottine vers l’ancien légionnaire, parfaitement silencieuse dans ses vieilles baskets. Précautionneusement, elle ouvre son rasoir et s’agenouille devant Maurice le connard, défait le bouton qui ferme le col de son blouson militaire et lui tranche la carotide. Elle se décale aussitôt du côté opposé à l’artère afin de n’être pas souillée par le sang, qui sourd par saccades de l’atroce entaille.
— Ça, enfoiré, c’est pour les pipes à un Euro ! chuchote-t-elle à son oreille.
Elle voit, avec une joie mauvaise, s’ouvrir les yeux de l’homme. Il la fixe d’un regard dans lequel luit, malgré la stupeur alcoolique, une lueur de compréhension et de terreur. Il tente de parler, mais ne peut qu’émettre une sorte de gargouillement, tandis qu’un fluide sanglant suinte de la fente de ses lèvres.
— Cette fois, connard, c’est moi qui t’encule !

Simone Morandis voudrait que cet instant de pure jouissance se prolonge à l’infini. Mais la lueur d’intelligence dans le regard de Maurice ne dure guère que deux ou trois battements de cœur. Les derniers. Elle attend que le sang se tarisse, puis fouille sa victime à la recherche de son portefeuille — il contient un billet crasseux qu’elle se hâte de déplier : dix Euros. C’est mieux que rien. Elle dégage le sac à dos, sur lequel s’est affalé le cadavre. L’ancien légionnaire pourrait y avoir caché d’autres billets ou des objets ayant quelque valeur. Elle se redresse et, bizarrement, consulte sa vieille Timex : il est trois heures moins le quart. Elle passe à son épaule les bretelles du sac ; il pèse des tonnes, mais elle ne peut le fouiller maintenant. Elle doit s’éloigner du lieu de son crime. Le mot la fait ricaner.
— Sincères félicitations pour ce meurtre sordide !
Simone Morandis se retourne. Un chat — noir, bien sûr — lève vers elle son regard magnétique.
— Merde ! jure-t-elle. Si les chats se mettent à parler…
Elle plaisante, bien sûr. Les chats ne parlent pas. Mais, alors, qui a parlé ? Elle pivote sur les talons : personne !
— Coucou, Simone ! Eh oui, c’est bien moi qui te cause… dans ton esprit.
— Bordel de merde. Je deviens barjo ou quoi ? Dans mon esprit ?
— Ne t’inquiète pas, Simone : ce que tu entends n’est pas la voix de ta conscience, puisque tu en es totalement dépourvue — de conscience. Vous, les Humains, appelez cela « télépathie ».
Un rire d’ironique mépris résonne en elle, la cingle.
— Sors de ma tête, saloperie ! crie-t-elle.
— Non, Simone, je ne vais pas sortir. Je vais rester dans l’intéressant cloaque qu’est ton âme. Ton âme, d’ailleurs, tu vas me la vendre.
— Je t’ai dit de foutre le camp, saleté !
— Tss-tss ! Simone, Simone, il va falloir améliorer ton langage !

Simone Morandis décoche un coup de pied que le félin esquive avec une élégante décontraction. Son rire, cette fois, est presque amical.
— Le mieux, reprend-il, est que je te convainque par la démonstration de mon pouvoir sur toi. Première leçon : je peux faire de toi mon pantin.
La clocharde tente de chasser cette voix intérieure dont elle pressent le pouvoir. Mais elle ignore comment faire et si, d’ailleurs, la chose est possible.
— Action ! lance le chat.
Et Simone laisse tomber sur l’asphalte le sac à dos de sa victime et se rue contre la vitrine d’une boutique de fringues. Elle se met à en marteler la glace de son front en comptant les coups à haute voix.
— Trente ! répète avec elle le chat télépathe. Alors, qu’as-tu décidé ? Nous faisons affaire ? Non ? Comme tu veux, Simone. Continuons donc cette démonstration avant de passer, éventuellement, à quelque chose de plus sérieux. Par exemple, pourquoi ne pas admirer ta beauté, à laquelle tant d’hommes ont rendu hommage ? Enfin, ajoute-t-il dans un ricanement intérieur, « hommage » n’est peut-être pas un mot approprié…
Simone Morandis s’ébroue comme un boxeur sonné.
— Dégage ! gueule-t-elle en esquissant un mouvement de fuite stoppé aussitôt par la volonté de la bestiole. Car elle ne peut qu’obéir. Alors, elle se déshabille en tremblant de rage et de honte, puis exécute un strip-tease horrifique et grotesque dont elle aperçoit le reflet sur la vitrine maculée de son sang. Atterrée, elle voit s’agiter au son d’une musique orientale — que siffle dans sa tête ce connard de chat — une espèce de grosse dondon qu’elle refuse de regarder, mais qu’elle voit pourtant.
Elle contemple sa chair boursouflée qui ballotte au rythme de l’affreuse pantomime, affronte le rictus de rage impuissante qui lui déchire la gueule et découvre ce qu’il lui reste de dents.
— Qu’as-tu fait de ta vie, Simone ? dit le chat.

La question la met en rage. Elle n’a pas besoin de ce con de chat pour savoir ce qu’elle est. Une vieille pute, une criminelle (ah ! ah !), une pocharde en train de crever d’une cirrhose alcoolique. Soudain, et à sa grande surprise, elle se met à pleurer. Sur elle-même, sur la victime qu’elle a été durant toutes ces années. Trente années à sucer des bites ! Trente années à se faire enfiler par des porcs. À se shooter et à picoler pour oublier sa déchéance. Elle pleure en se remémorant les trahisons de ses hommes et la violence de ses maquereaux — les mêmes, souvent. Elle se souvient des regards de mépris ou, pire, des mines apitoyées des passants de la rue Saint-Denis, du temps qu’elle tapinait.
— Je me suis fait baiser toute ma putain de vie ! gueule-t-elle dans la nuit.
— Simone, je sens que nous avançons ! dit le chat. Quid de notre petite transaction ?
— Fous-moi la paix, saloperie !
— N’y compte pas, Simone !
Des cris de souffrance et d’effroi jaillissent de sa gorge. Une chaleur de four l’enveloppe : elle cuit !
— Arrête, le Chat ! C’est d’accord !!!
La douleur disparaît d’un coup. Son cœur s’apaise. Elle peut de nouveau réfléchir. Que lui arrive-t-il ? Est-ce qu’elle rêve ? Elle en doute : « On ne souffre pas comme j’ai souffert dans un rêve ». Est-ce qu’elle devient dingo ? Là, elle hésite. Les fous savent-ils qu’ils sont fous ? Rien à foutre ! décide-t-elle, elle n’est pas folle. Elle ne veut pas être folle ! Elle éprouve simplement — comment dire ? un fort sentiment d’irréalité ?
— Joue le jeu, lui conseille le chat. Adapte-toi.
— D’accord ! répète-t-elle. Tu peux l’avoir, mon âme. Pour ce qu’elle vaut… Combien, au fait ?
— Ah ! Ah ! C’est ainsi que je t’aime, Simone.
— Heu… Attends, le Chat ! Te vendre mon âme ? Ça veut dire que je vais mourir ?
Cette histoire de « vendre son âme » lui rappelle quelque chose. Un truc biblique ou un genre de fable, lui semble-t-il. Une arnaque, en tout cas, ça elle en est sûre.
Le rire du félin résonne en elle, apaisant et chaleureux, subtilement réjoui, étrangement séduisant.
— Ne t’inquiète pas, Simone, il n’est pas question que tu meures dans ce corps ! Cette histoire de « vendre ton âme » n’est qu’une simple analogie, une référence à quelque chose que j’ai trouvé dans ton esprit, parmi tes souvenirs perdus.
— Je préfère ! Donc, qu’est-ce que je gagne ?
— Un nouveau corps, Simone.
— Un nouveau corps ? C’est quoi, cette connerie ?
— Je te montre, Simone. Mais pas ici. Éloignons-nous d’abord du théâtre de tes exploits. Nous devons te trouver des vêtements. Dans un endroit discret, de préférence. Chez Léa, par exemple. Mais avant tout, récupère tes affaires : évitons de laisser des traces de ta présence auprès de ce cadavre. Non ! Inutile de remettre tes frusques : nous allons les jeter. Plus loin.

Simone Morandis récupère la poussette dans laquelle s’entasse tout ce qu’il lui reste de sa vie. Le Chat l’oblige à la vider dans la poubelle d’un immeuble, puis à l’abandonner un peu plus bas, de l’autre côté de la rue. Il ne lui permet de garder qu’un sac en plastique contenant ses papiers et quelques photos.
— Dépêchons-nous, Simone ! Nous devons te rendre présentable.
Simone Morandis se met en marche vers la Seine. Elle s’habitue à son état de marionnette. S’y trouve confortable. Elle est nue, mais ne s’en soucie pas. Elle n’a même pas froid, bien qu’en cette nuit de mars, la température ne soit guère clémente.
— Au fait, qu’est-ce que tu es, le Chat ?
— Un dieu, selon tes critères d’Humaine.
— Je n’ai pas de dieu !
— Tu m’as, moi.
— Le dieu des chats ?
— Cette petite créature n’est pour moi qu’un corps transitoire. Je l’abandonnerai dès que je serai vraiment installé en cette âme que tu m’as si spontanément concédée.
— Tu n’as pas répondu à ma question, le Chat. Pas réellement.
— Je suis énergie, Simone.
Simone Morandis s’absorbe dans d’intenses cogitations.
— Comme l’électricité ?
Le chat ricane.
— Je suis toutes les énergies. Plus tard, tu comprendras…
— Quand je serai grande ? ironise-t-elle.
— Quand notre symbiose sera effective.
— J’ai hâte, le Chat ! dit-elle en se demandant ce que signifie exactement « symbiose ».
— Arrête de m’appeler ainsi : je suis davantage dans ton esprit que dans le sien. Encore un instant, et je l’aurai entièrement abandonné. D’ailleurs, regarde, il nous quitte.
— Comment veux-tu que je t’appelle, alors ?
— Appelle-moi Mère. Comme tous mes autres Enfants.
— Mère ? Je ne suis pas ta môme !
— Tu vas pourtant renaître de mon esprit. Comme bien d’autres créatures avant toi.
— Renaître ? Comment ?
— Tu es sur le point de le découvrir, Humaine !
Simone se tait. Elle sent le soudain agacement de l’esprit qui est en elle et aussi, lui semble-t-il, une vague menace. Elle décide de se taire un moment. D’observer la suite des événements — si événements il y a.
Quarante mètres avant la rue Réaumur, elle bifurque sur sa gauche et s’engage dans l’impasse du Levant, au fond de laquelle brillent les lettres de néon rose de l’enseigne de Chez Léa. Elle n’est plus qu’à quelques pas de sa devanture quand un fourgon de la Police passe en trombe devant l’impasse, gyrophare allumé. Quelqu’un doit avoir signalé le meurtre de Maurice.
Toujours sous l’emprise de la Mère, elle s’approche de la porte du magasin et en brise la serrure d’une violente poussée de la paume.
— Aïe ! glapit-elle comme son poignet se casse avec un bruit sec. Ça fait mal !
— Cela ne se reproduira plus. J’adapterai ton nouveau corps à l’énergie que j’ai mise dans celui-ci. Cesse de geindre, et trouve-nous un miroir !
Simone Morandis s’enfonce entre deux rangées de penderies surchargées de robes et de manteaux. Elle se plante devant la glace qui recouvre entièrement le mur du fond et se regarde avec un mélange de dégoût et d’effroi. La lumière rose du néon se reflète sur le plafond et les murs de la boutique ; dans cette aube électrique, son corps nu lui semble plus difforme que jamais. La maladie irradie de cette chair livide, suinte de son regard tragique.
— Quand tu veux ! murmura-t-elle.
— Maintenant !
Son reflet s’estompe, se brouille. Un fourmillement la parcourt tandis que frémit sa peau. Brusquement, elle cesse d’éprouver la moindre sensation.
— Il vaut mieux que tu ne ressentes pas ce que je vais te faire, Simone. Ta métamorphose te paraîtrait sans doute assez douloureuse.
Le rire mental qui suit exprime une ironique compassion. Il faudra qu’elle apprenne à rire ainsi.
— Merci pour ta sollicitude !
Elle aurait aimé pouvoir répondre sur le même ton, genre : « Merci pour l’anesthésique, mon bon docteur ! ». En plus classieux, bien sûr. Mais quelque chose se passe en elle qui exige toute son attention. Des zones de son corps se déplacent, se réorganisent. Des couches de chair glissent les unes par-dessus les autres, se dissolvent ou s’amalgament. Son ventre se creuse ses seins se redressent et se gonflent. Ses membres se musclent et sa peau se lisse

La stupéfaction lui arrache « un bordel de merde » qui manque carrément d’élégance, elle doit bien le reconnaître.
— Navrée ! s’excuse-t-elle. Je suis un peu déstabilisée…
— On le serait à moins, Simone.
Une rouquine du genre sublime se reflète dans le miroir, lui rend un regard impertinent. Elle ressemble à la jeunotte d’autrefois, mais en tellement mieux ! Jamais ses yeux n’ont eu cette couleur d’émeraude et sa peau cet éclat laiteux… Et ces seins opulents. ! Putain ! Elle est tout simplement fabuleuse…
— Qu’est-ce que c’est ? s’étonne-t-elle en réalisant que ses pieds nus baignent dans une flaque d’eau visqueuse où flottent des fragments de gelée sanguinolente.
— Ta maladie, Simone. Ce qui te tuait.
Simone Morandis reste un long moment plantée devant le miroir. Quelque chose l’agite, la trouble. Une sensation que la pauvre vieille pute harassée d’avant sa rencontre avec le chat n’a pas ressentie depuis fort longtemps : le désir. Elle caresse ses seins, les palpe, pinçote ses tétons, prend des poses, s’envoie des clins d’œil et des baisers. Pour un peu, elle se masturberait.
— Ne te gêne pas pour moi, susurre la Mère. Je ne suis pas contre un peu d’expérimentation.
— Attendons de mieux nous connaître…
— Un accès de pudeur, Simone ?
— De pudeur ? Tu déconnes ?

Un second véhicule de la Police passe devant l’impasse et rompt la fascination qui la rive devant le miroir. Des émotions qu’elle n’a pas éprouvées depuis bien longtemps l’envahissent : l’allégresse, et une certaine reconnaissance.
— Comment te remercier ? Mère, ajoute-t-elle après une courte hésitation.
Car ça n’a rien évident pour elle d’appeler Mère une espèce de divinité à la con.
Le silence finit par l’alerter. Elle s’arrache à la contemplation de ses formes voluptueuses et lève les yeux. Elle cherche son regard, mais celui qu’elle rencontre recèle une présence qui n’est pas elle. Une Étrangère l’observe avec une avidité qui la terrifie.
— Je t’avais promis que tu ne mourrais pas dans ton ancien corps, lui dit la Mère. Bye-bye, Simone !
Et dans son ultime seconde de vie, Simone Morandis comprend qu’elle s’est fait arnaquer. Encore une fois.


— THE END —
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Michel Ettewiller
Ce poème constitue une sorte de prologue du Livre Premier de Data Song. Il décrit assez fidèlement un cauchemar récurrent (*) que je faisais, il y a quelques années... Je l'ai rédigé en écoutant en boucle Full Moon, d'Anne Clarck, dont l'ambiance "musicale" correspondait à mon état d'esprit (d'alors).

(*) Cauchemar qui m'a inspiré également plusieurs illustrations (ou, plus exactement, plusieurs versions de la même "vision")...
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