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Oiseaunirique

Cognac, Charente.
Oiseaunirique
Le Tigre est un roman court qui parle de Jésus, un jeune homme révolté aux allures d'ado attardé, qui en veut à son père et au monde entier. Mais son père, on s'en rend compte assez vite, n'est pas n'importe qui et ça change un peu tout à la façon de voir leur histoire et ses implications...

Oscillant entre la réalité et l'onirisme, le Tigre flirte largement avec le genre du réalisme magique.
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Oiseaunirique
Dissimulée, parce qu'elle prend appui sur des images pour exister.
Sur Instagram, je la publie accompagnée d'images (dont elle est parfois inspirée).
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Oiseaunirique
Un cri de coeur craché dans l'eau salée. Ce que je pense de l'océan.
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Défi
Oiseaunirique

Quand le temps ne suffit pas ? On te répondra probablement qu'il faut courir, le plus vite possible. Ou bien au contraire, aller très, très lentement... en arrière, pour chercher ce qu'on a pu faire par le passé, ne pas le répéter, le réparer, peut-être. Aller tout aussi lentement en avant, pour observer, prendre tout son temps voire... s'arrêter, pourquoi pas ? On n'en serait pas à une folie près. On ne peut pas faire comme si c'était ordinaire, cette histoire de temps qui manque, on ne peut pas rester au milieu, avancer ou reculer... moyennement, sans avis, sans visage. On ne peut pas rester au sec, il faut se mouiller. Il faut trancher, être avide, aviser, décider. Décider ce qui est le plus important : en faire le plus possible, ou bien alors faire du mieux que l'on peut. Ce n'est pas évident, mais c'est indispensable. Décider...
Je l'ai bien vu, là, que le temps ne jouait pas avec moi. C'est de ma faute, c'est moi qui l'ai laissé passer et, quand je l'ai compris, j'ai essayé de courir après le train, évidemment, qui ne le ferait pas, mais bon... On se doute bien que, si on pouvait rattraper un train en courant, on n'aurait pas eu à les inventer. Ils font bien leur travail de train. Ils vont vite... et moi pas. Alors j'ai regagné ma maison, le corps frissonnant de pluie. J'ai remplacé la fraîcheur du dehors par un cocon douillet. J'ai pris une glace dans le congélateur et tourné mon fauteuil favori vers la fenêtre, une couverture douce comme un chat sur les genoux et puis maintenant, je contemple avec une satisfaction douloureuse l'orage qui gronde et j'attends que se déchaîne mon apocalypse. C'est beau d'abandonner, aussi, parfois. Quand tout est trop gros, trop grand, quand la vie presse et oppresse, quand le cœur s'emballe, mais dans du cellophane. Quand tu es fatigué·e à force d'essayer. Quand elle part et que tu n'as rien pu faire. C'est beau de savoir s'affranchir de l'instinct, un instant, de ne pas céder à l'impulsion animale et vaine de courir. L'animal en toi, il veut s'échapper, ne pas laisser le temps le dépasser, bien sûr, bien sûr qu'il veut courir dans le désordre et hurler. Rejoindre la meute apeurée. Mais toi, tu le vois bien, que ça ne sert à rien, parfois. Qu'il faut juste se demander ce qu'on veut vraiment sur le moment. En profiter en souriant, pendant l'effondrement.
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Défi
Oiseaunirique

Il y a quelques années, j'ai rencontré une demoiselle pour le moins singulière.
C'était un vrai rayon de soleil roux, un tourbillon de fraîcheur innocent et doux. Elle voyait la vie des hommes comme certains de ces hommes voient le paradis ou le ciel, comme une infinité de possibles à exploiter et pour elle, les gens étaient tous des puits de richesses sans fond, tous autant qu'ils étaient. Elle portait très haut dans son cœur l'étendard de cette fabuleuse illusion. C'était le genre à te couper la parole en plein milieu d'une conversation de haut vol sur l'importance fondamentale de la bière dans les crêpes pour te demander, en te fixant dans les yeux avec intensité, sa petite main blanche, blanche comme la lumière posée sur la tienne : « Dis-moi, c'est quoi, ton plus beau rêve ? »
Sa gaieté, sa douceur et sa simplicité m'ont toujours donné envie de l'associer à un oiseau. Un petit oiseau, un petit symbole de liberté et de légèreté de l'âme qu'on pouvait voir se poser sur nos doigts quand on parlait à l'italienne. Et elle chantait, en plus... On se voyait très souvent pendant cette année-là, et je passais mon temps à essayer de lui faire voir la laideur des choses, pour qu'elle se prépare, pour lui éviter de souffrir trop fort de cette peste vicieuse qui ne mérite pas le si joli nom de désenchantement. Je m'efforçais de lui montrer les travers des hommes et l'impossibilité qu'on aurait toujours à déployer nos ailes sans se les faire briser dans un monde pareil. Et le plus beau, avec le recul, c'était de voir à quel point mes efforts étaient vains.
Et puis je suis partie, j'ai quitté la ville de notre rencontre. On ne se voyait plus. Elle est partie elle aussi, dans un autre pays. On a vécu nos vies, se donnant des nouvelles de loin en loin, sans détails, juste pour se signifier qu'on ne s'oubliait pas. Et vint ce fameux jour redouté : le jour où l'oiseau-soleil roux a perdu ses illusions. Quand, rentrée de son long séjour à l'étranger, elle m'a rendu visite, un sentiment de panique inexplicable s'est emparé de moi. Quand j'ai vu dans ses yeux, quand je n'ai pas vu dans ses yeux, quand je n'ai plus vu dans ses yeux... l'innocence. J'ai compris mon erreur passée. Triste. J'étais triste, infiniment, de la voir froncer les sourcils et de l'écouter parler avec amertume de ses expériences. Ses débuts dans le monde impitoyable du travail, ses ascenseurs émotionnels dans les étages codifiés de la société contemporaine qui encourage l'encéphalogramme plat et les faux-semblants, qui condamne la grandiose démesure et les sensations vraies. Quand j'ai vu qu'elle avait connu la tiédeur et le froid, quelque chose d'indéfinissable s'est allumé en moi. Une certitude sans appel et cristalline qui est venue brûler les barrages érigés par mon caractère pessimiste et mon peu de foi en l'Homme. Parce que je me suis refusée à laisser mourir un aussi joli feu, et puis sûrement parce qu'il y avait déjà un peu d'elle en moi, sans même essayer, elle m'a convaincue. Et maintenant moi aussi, je me cogne aux gens parce que j'ai des questions improbables à leur poser et des paillettes dans les yeux qui m'empêchent ou bien m'épargnent de bien voir.
Aujourd'hui, et à chaque fois je pense à elle, aujourd'hui je demande toujours aux gens quel est leur oiseau préféré. Et pourquoi ils l'aiment. Et je veux savoir tout de suite. Parce que c'est là qu'est souvent la seule beauté des gens, c'est quand on les prend par surprise en flagrant délit de sincérité, parce qu'on leur parle avec légèreté et qu'on leur montre qu'ils ont raison de ne pas se méfier, pour un instant, le temps d'un nom d'oiseau, le temps de dire sans le savoir quelque chose qui leur tient à cœur, sans se blesser.
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Oiseaunirique
Un chapitre, un péché capital illustré en mots.
Certains sont des textes assez anciens et très peu retouchés depuis, d'autres sont encore à écrire...
Certains sont ultra choupi, d'autres correspondent davantage à la couverture...
Surprise, surprise !
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Oiseaunirique

La première fois que je l’ai vue, j’ai discrètement pincé l’intérieur de mon bras, là où c’est vraiment tendre, et il m’a fallu pas mal de maîtrise pour retenir le petit cri qui allait m’échapper pour venir confirmer que tout était réel. La place ensoleillée et pailletée d’oiseaux becqueteurs, l’animation sur les quais, l’odeur du printemps qui s’enfuyait vers l’été et puis elle. Elle et sa forêt de boucles brunes et lâches, un sourire qui envahissait son visage comme un lierre enchanté, cette fossette haut placée qui dansait sur sa joue, son corps menu décoré par une adorable robe orange qui mettait en valeur le rosé de sa peau, les rousseurs de son petit nez. J’en suis restée con, j’en ai bafouillé comme une adolescente, j’en ai eu la tête qui bourdonne, un instant. Un spontané mais incongru « Tu es si jolie » s’est battu en duel avec un poli « J’aime beaucoup ta robe » dans ma gorge serrée. La raison a gagné, le second a franchi mes lèvres, vainqueur sans panache mais j’ai cette fois, cette fois qui n’était pas coutume sur bien des points, préféré éviter un choc frontal.
La première fois que je l’ai vue nue, dans ma tête a sifflé un gouailleur ouvrier de la tour Eiffel admirant une paire de jambes parfumée Guerlain depuis son périlleux perchoir. J’étais un peu ivre – c’était de sa faute – et j’avais le corps plein d’abeilles, celles de l’excitation, de l’attente. Celle de l’appréhension, aussi.
On m’avait dit plein de choses. Tellement de choses. On m’avait dit que c’était différent, que ça n’avait rien à voir, on m’avait dit que c’était la même chose. On m’avait dit que c’était limité, illimité, tendre, violent, que je changerais d’avis, que je virerais de bord.
Tout ça et plus encore.
Par contre, on ne m’avait rien dit de la douceur de sa peau, des abeilles toutes rassemblées sous mon crâne qui sont parties en folle danse nuptiale quand je l’ai touchée, des frissons de mon ventre abandonné à ses doigts. On ne m’avait pas dit les fous rires à la fois nerveux et sincères de l’exploration. On ne m’avait rien dit, ignorant qu’« on » est toujours, sur la joie de faire sa joie du bout de ma langue. On ne m’avait pas dit son regard alangui et ses joues empourprées, sa façon d’avoir l’air si sûre d’elle tout en me disant qu’elle ne sait pas du tout ce qu’elle fait.
On avait raison et tort sur toute la ligne.
On ne savait pas, et « on » là c’est aussi elle et moi, on ne savait pas qu’on pouvait créer quelque chose d’aussi joli sans savoir ce qu’on fait. On n’avait pas vu venir la sérendipité des sensations, des émotions. On voulait y croire, on voulait essayer, pour voir. On a bien fait.
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Défi
Oiseaunirique

J'ai déjà écrit, je le sais. J'écris encore et tu ne le sais pas.
La violente présence de ce trou noir, immense et immensément vide, dans le coin de mon cœur où tu étais blottie. Tu ne sais pas, car je ne le savais pas non plus. C'était si tendre, toi et moi, si pétillant. Je m'en rends compte maintenant, j'ai cru que la fin serait aussi douce pour moi. Mais j'étais bien naïve... Peut-être que tout le reste de ce gros cœur pathétique va s'effondrer sur lui-même à l'infini, tant que tu ne reviendras pas remplir ce vide en forme de toi. Je me traîne et j'attends, et je ne sais pas quoi. Je finirai probablement par comprendre - ou je comprends déjà mais je ne veux pas - à quel point c'est définitif : je ne poserai plus jamais ma bouche sur ton épaule nue, je ne sentirai plus jamais ton dos enroulé contre mon ventre, je ne caresserai plus ton sourire aigu. Je n'ai plus le droit, je crois. Et à chaque fois que je te vois, maintenant qu'on ne se touche plus, ton rire me fait venir les larmes aux yeux, du bleu de compète, du bleu de soulagement forcené. C'est si bien, comme ça, t'avoir là, savoir que tu n'es pas complètement loin. C'est doux et corrosif à la fois. Un mal pour un bien. Pleurer quand tu t'en vas et que le vase déborde, ça n'est pas grand chose au fond, quand on a ri ensemble et qu'enfin, j'ai pu respirer. Peut-être qu'un jour, quand je n'aurai plus peur que tu t'enfuies, quand je serai sûre que tu pourras m'entendre sans voir poindre l'inquiétude ou pire, la gêne, sur tes traits délicats... un jour où il fera beau, comme la première fois que je suis sortie de chez toi, le sourire aux lèvres et le soleil dans l'œil ; peut-être que ce jour-là, j'oserai te dire à quel point tout s'emballe encore en moi, quand je pense à toi. Le gentil tourbillon des sens qui se sont emmêlés dans ma tête, ces lumières fabuleuses braquées sur moi et dans lesquelles j'ai envie de noyer mon regard. J'ai voulu croire qu'on serait éternelles ou presque, et je savais que non, mais je ne veux - non, toujours pas - comprendre pourquoi. Je ne veux pas, parce que je vis avec mon espoir comme on vit avec un mal incurable, et que tant que dans mon corps, il en restera la moindre trace... on ne pourra rien pour moi. Mais ça ne m'empêche pas de vivre, de remplir ma vie de gens, de remplir mes jours de sourires qui, si je les chéris, brillent bien moins que les tiens. Qui sait, je pourrais finir par guérir et ne garder que les rires sans faire déborder le vase ? Mais d'un autre côté...
Peut-être que j'ai raison ? Raison de rêver ta peau. Allez, viens, cours dans mes bras sous la pluie comme dans les films. Il y a des rêves qui se réalisent, parfois.
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Oiseaunirique

Aujourd’hui, la nuit n’a pas le même son que d’habitude. Elle ne bruisse pas, elle… retentit. J’avance sur ce chemin noir que je connais par cœur et qui, d’ordinaire, est bordé d’un silence ouateux, soufflé, moelleux. Ce chemin file presque droit. Il m’aide à rassembler en rang d’oignons toutes mes pensées, mes désirs, mes frustrations, mes fautes, aussi. Tout ce fatras qui a peuplé le jour pour faire le tri avant d’entrer chez moi, une fois venue la nuit. Aujourd’hui, je ne peux pas. Ce bruit étrange et omniprésent change la texture de ma nuit, fait crisser le sable noir différemment sous mes pas sur ce chemin ami. Il m’intrigue. C’est comme un chuchotement, mais très fort et insistant. Un halètement bourdonnant. Je veux presser le pas mais à peine ai-je commencé que je m’abstiens : je m’aperçois rapidement que, si je vais plus vite que d’ordinaire, le son de mes pas se dédouble, comme un écho qui disparaît quand je ralentis. Me suivrait-on ? Je m’arrête et pourtant, le son de mes pas se poursuit. C’est bien le mien, je le reconnais. La solitude rend attentif… Je scrute l’obscurité autour de moi, mais mes yeux ne me sont d’aucune utilité : j’ai beau ne rien voir, le son s’amplifie, se dessine jusqu’à devenir vraiment très précis. Je finis par comprendre ce que c’est. Ce n’est pas un chuchotement, c’est un rire ! Un rire sans voix, étouffé mais irrésistible, un peu comme ceux qui prennent par surprise les Hommes pendant un enterrement. J’essaie désespérément de voir d’où il provient, voir, oui, mais il n’y a rien, je le sais bien, qu’il n’y a rien… à part moi. Serait-ce une manifestation du Malin ? Serait-ce lui qui m’a retrouvé après tout ce temps et me regarde paniquer en se gaussant dans le noir ? Au bout d’un moment, à ce rire étouffé se joint le tonnerre… Un, deux, trois, quatre roulements. L’évidence m’étreint. On me l’avait prédit : il frapperait quatre fois ! Je me campe sur mes jambes, plus besoin de rejoindre mon antre. J’attends. Je ne fuirai pas.
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Oiseaunirique
Comment serait il, serait-elle ?
Début d'un portrait.
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Oiseaunirique

Est-ce que tu as déjà réfléchi au bruit de la peau ? Ce mouvement organique et frémissant qui se manifeste en continu sur l'enveloppe de ton corps ?
Tu passes ta main le long de ton bras et tu les entends chuchoter, tous les deux. Si on le fait tous ensemble, c'est comme le son d'une cascade, en secret.
La vibration du cœur pas loin des côtes, qui fait résonner la peau. La vraie mélodie, quand deux peaux se rencontrent. Celle des caresses, la pression avide d'un corps sur un autre, qui chante et qui se colle et qui claque et qui se rompt, parfois.
Le bruit de la peau. Un chuintement animal et rassurant pour lequel on peut tuer.
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Oiseaunirique

Il s’est tourné sur son tabouret de cuir noir, il s’est tourné vers moi, cachée derrière ce paravent d’où personne d’autre ne me voyait et il s’est jeté sur moi avec ses yeux. Ses yeux gris, verts, bleus, ses yeux qui savent pas se décider entre toutes les couleurs froides qui existent. Des yeux trop vrais pour ne pas être fous, qui s’en foutent de faire peur. Dans la bulle d’appréhension où je me trouvais, il a tout explosé sans même s’en apercevoir, quand il m’a regardée à ce moment-là. Il a détruit une à une toutes les craintes et le trac qui s’amoncelaient sous ma peau, il a enfoui mes tremblements sous terre et m’a projetée sur la grève, à l’heure bleue. La pluie inondait mon visage et l’eau salée, verte, presque tiède éclaboussait mes jambes pendant que je courais sur le sable gris et les galets, sans bouger, dans ses prunelles. De l’autre côté du paravent, il y avait un discours qui se faisait et il y avait plein de gens assis partout où ils pouvaient, qui m’attendaient. Qui nous attendaient, tous les deux.
Il souriait, un peu, pendant que ses yeux mettaient mon cœur tout nu pour s’y attacher très fort, un moment. Seulement un moment. Je crois que ça l’a amusé, je crois qu’il ne savait pas. Je crois, parce que jamais je ne saurais ce qu’il pensait, vraiment. J’étais pétrifiée, le corps entièrement figé dans cette eau rageuse où mon esprit courait, cette eau pleine de galets qui crissent sous les pieds, sourdement. Il a continué à me tenir en joue pendant quelques secondes, sa bouche fermée sur plein de mots qu’il n’avait pas besoin ni envie de dire, ces mots qui débordaient de son sourire en coin. Et puis le discours s’est terminé, les applaudissements ont arraché ses yeux des miens et il s’est tourné vers le piano, me laissant gentiment me rappeler où j’étais. Ce regard-là, depuis, il ne me l’a plus refait.
Mais là, pendant que je reprenais mon souffle après cette course effrénée sur le rivage pluvieux, j’ai continué à le regarder. De profil, il se laisse approcher de l’œil, mais de l’œil seulement. Tu peux toujours le regarder, en fait, mais tu le toucheras jamais s’il ne le veut pas. Les sourcils doucement froncés, il jouait, laissant partir ses mains comme si elles savaient toutes seules où aller, les surveillant seulement de loin, du bout des cils. Parfois il relevait la tête, les yeux fermés, une expression de concentration extatique, presque douloureuse cachée dans ses lèvres qui savent tellement, tellement bien se taire. Ses mâchoires se crispant imperceptiblement sur certaines notes, sur ses joues mangées par l’ombre d’un feu tendre, il donnait l’impression de retenir très fort tout ce qu’il y a d’émotion en lui, avec la même difficulté que lorsqu’on dompte un fauve sans vouloir le blesser. Je me souviens l’avoir trouvé très beau, dans cet effort, dans cet instant. Prodigieusement intense.
Aujourd’hui, je me dis qu’il doit penser que le piano parle pour lui. Que tout ce qu’il ne dit pas, on l’entend quand même, quand on écoute bien et quand il le veut, lui.
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