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Christian Mauceri

Défi
Christian Mauceri

Première minute Ezorius L’hyperloop a été le premier moyen de transport collectif martien. La liaison Jezero-Arcadie est certainement la plus ancienne, trois mille kilomètres en moins de trois heures, une capsule de trente passagers toutes les heures. Jezero la capitale aux mille dômes, Arcadie l’industrieuse dont les dômes miniers s’éparpillent au pied du mont Alba. Arcadie la rebelle, Arcadie la blessure au fond de son âme. Il regarde le paysage par la fenêtre : dire que les premières capsules étaient aveugles. Superintendant Ezorius Baldech chargé de la lutte antiterroriste : comme il aurait été fier de ce titre trente ans plus tôt. Aujourd'hui il se sent tellement fatigué.  Il est plongé dans ses pensées quand une femme d’une soixantaine d’années s’assied à côté de lui : - Alors Ezorius ta femme ne te manque pas trop ?  Il la regarde stupéfait. - Qui êtes-vous ? - Je suis l’une des rescapées du massacre d’Arcadie. Tu ne vas pas me dire que tu ne te souviens pas, quand même ? Tout ce sang, ça ne s’efface pas comme ça, même un boucher comme toi doit se souvenir.    Edora  Vingt ans qu’elle attendait ce moment ! Elle adore voir passer les émotions dans son regard : étonnement, colère, douleur. Pour ce qui est de l’étonnement, il ne va pas être déçu. Elle ouvre la cache dans son bras et en sort l’extracteur. Bien sûr il y a du sang partout et elle adore son air dégouté. - Tu vois cette chose Ezorius ? Elle va m’aider à te faire cracher le morceau. Elle rit. - Vous êtes complètement folle ! bafouille-t-il.  Il déclenche la procédure de sécurité. Elle est prête. La capsule commence à décélérer : dans quatre minutes elle se sera arrêtée, et les commandos d’intervention qui survolent la ligne en permanence cerneront la zone, ils seront  accompagnés de leurs saletés de journalistes embarqués. C’est parfait. Il a activé son armure, une lueur bleutée l’entoure.
- Tu as toujours été un sacré couard, dis donc. Je te fais peur ? Une pauvre femme avec un bras en capilotade : un vrai héros !
Il ne répond pas.
- C’est comme quand tu as laissé ta femme se faire égorger sous tes yeux pour protéger ta précieuse petite peau ?
Elle a tapé juste, ses souvenirs remontent : d’une pensée elle lance l’enregistrement. Elle sait ce que l’extracteur est en train de récupérer. La voix de ce chien disant : « Je ne peux donner suite à votre requête c’est absolument impossible ! » Et l’horrible gargouillement pendant que le regard épouvanté d’Anna se fiche dans sa mémoire.
Elle continue, impitoyable :  - Et les enfants de l’hôpital, espèce de salaud ?  Là encore, les souvenirs remontent, la voix affolée du lieutenant : « Mon colonel, si l’on continue d’avancer nous allons écraser les gosses. » La caméra tactique du lieutenant renvoie l’image de dizaines d’enfants attachés, allongés par terre, ils sont terrifiés. Là encore sa voix neutre : « Lieutenant avancez, c’est un ordre ! » Les enfants disparaissent avalés par le capot du blindé. Bon, l'extracteur doit être calibré maintenant. Plus besoin de finasser, elle peut passer en force. Deuxième minute Restitution Il a suivi la procédure : arrêt d’urgence et activation de l’armure. Il est inquiet pourtant, cette folle a l’air absolument sure d’elle, triomphante même : pourquoi ? Il ne risque absolument rien derrière son armure conçue pour résister à un impact direct d'une bombe d’une kilotonne. Les groupes d’intervention vont arriver dans trois minutes et ce sera fini. Il décide de l’ignorer. - Tu sais qui va débarquer avec tes petits copains, espèce de lâche ?
Il se concentre sur ses pensées et ne la regarde pas. Il entend soudain sa propre voix : « Je ne peux donner suite à votre requête… » Il regarde dans la direction d’où vient le son. Il reste bouche  bée. L’image d’Anna, l’horrible image qui le hante depuis des années est projetée sous forme d’hologramme dans l’allée centrale. Il entend la femme :
- Tu ne crois pas que les charognards  vont se régaler quand ils vont trouver ça ? Tu vois à quoi elle sert ma baguette magique ? J’aimerais bien voir la tête de ta fille quand elle va découvrir ta vraie nature ! Quand elle va contempler les derniers instants de sa maman... Appât  Il est à point. Elle sent la colère monter en lui. Elle voit la haine dans son regard.
- Ah, cette bonne vieille haine !  Tu ne dis rien ? Tu voudrais me tuer, là, tout de suite, n’est-ce pas ? Tu le voudrais mais tu es trop lâche. Comme c’est dommage ! Et puis avec cette armure, comment vas-tu faire ? Je vais être glissante comme une savonnette.
Ça y est ! L’aura bleutée disparait, c’est le moment qu’elle attendait, elle arrache de son bras la liane transgénique et la lance dans sa direction : elle s'enroule autour de lui instantanément, il est immobilisé, tout geste renforce l'étreinte. Elle triomphe :
- Le superintendant Baldech ficelé comme un vulgaire roti. Ha, ha, ha !
Elle est un peu déçue. Il n’y a aucune peur dans ses yeux, seule  l'acceptation fataliste de la situation.
 Troisième minute  Lieutenant Zacharias Satramontes Zacharias est immergé dans l’action. - Décompte avant contact.
- Trois minutes, lieutenant - Test com - Groupe rouge ? - Groupe rouge OK ! - Groupe bleu ? - Groupe bleu OK ! - Armina, tu le vois ? - Oui lieutenant, il a perdu les pédales, il a éteint son armure, elle l’a ligoté. - Pas bon, pas bon Il se retourne vers Hedrick assis à côté de lui : - Qu’est-ce que tu peux couper ?  - Tu sais que je ne peux rien couper - Arrête, pas avec moi ces conneries ! Qu’est-ce que tu peux couper ? - L’histoire de sa femme si tu veux - La femme et les gosses aussi - Les gosses, je ne peux pas - Bon, on verra, j’ai peut-être autre chose en échange - Quoi ? - Le lieutenant dans le blindé, c’était mon père, j’ai des enregistrements que personne ne connait - OK, on verra, tu as intérêt à ce que ça soit du lourd - Deux minutes trente, lieutenant - OK ! Il voit la capsule. Ils se rapprochent rapidement. Le temps est relatif Il fait le vide dans son esprit, il doit tenir deux minutes, cette folle est en train de le sonder. Il ne savait pas qu’un extracteur pouvait être à ce point miniaturisé. Soudain une boule de feu remonte sa moelle épinière et explose dans son cerveau. Il a le souffle coupé, il n’arrive même pas à hurler.  Elle le regarde, un rictus mauvais tord sa bouche : - Ben mon gros, tu croyais qu’on allait se faire des mamours ? C’est juste un avant-goût. On a deux minutes, et n’espère pas tomber dans les pommes : c’est de la bonne technologie qu’il y a derrière ma baguette. Je viens de la planter dans ta colonne vertébrale : tu m’appartiens.
Une autre onde douleur insupportable traverse tout son corps qui se cambre. - Les codes ! Il connait la technique, il ne peut s’empêcher de penser aux codes, l’extracteur a déjà dû les récupérer. Autre décharge insupportable. - Schémas tactiques ! Et ainsi de suite : organigrammes, plans à court terme, liste des agents infiltrés. Il serait incapable de s’en souvenir par lui-même mais l’extracteur le peut, il n’est plus qu’un océan de douleur. Soudain un calme immense l’envahit, sans qu’il sache comment, il se retrouve dans le bureau de Jaso Examar, le premier représentant.  

Quatrième minute Diversion La voix d’Armina résonne dans son implant cochléaire - Intrusion lieutenant, intrusion, système compromis, elle a du le griller !
- Éteint tout, passe en manuel C’est maintenant la voix de Stylax le chef du groupe rouge : 
- Départ missile à onze heures
- Impact ? - Quinze secondes - Armina, tu le vois ? - Oui, évitement sans problème, mais retard à prévoir - Tu peux nous lâcher à combien ? - Court de trente secondes  Stylax encore : - Guêpe en approche - Une guêpe ? - Oui lieutenant, ils seront sur site avant nous - Merde, merde !  Dérobade Ce gros porc vient de claquer, ce n’est pas de bol ! Elle voit la guêpe s’approcher : excellent tempo ! Elle retire l’extracteur, le range soigneusement. Utiliser leurs propres codes pour envoyer ces informations à leur nez et à leur barbe et se tirer : ce doit être le plus beau coup jamais tenté depuis le début de la guerre. Elle passe son casque et se tient recroquevillée sur elle-même les mains sur la nuque. Elle commence à compter : - Un, deux … dix, la porte vole en éclat !  Deux hommes entrent, l’attrapent et la portent littéralement à l’intérieur de la guêpe. Ils s’asseyent, s’harnachent, l’un d’eux fait un signe de la main, l’accélération l’écrase sur son siège. C’est fini.   Cinquième minute  Confidences Jaso le regarde gravement. - Mon cher Ezorius si jamais vous vous souvenez de cette rencontre c’est que vous êtes entre la vie et la mort. Nous avons décidé d’implanter de faux souvenirs dans votre esprit parce que vous êtes surveillés par la rébellion depuis plusieurs mois maintenant. Edora Desost, celle-là même qui a donné l’ordre d’exécuter votre femme à Arcadie il y a bientôt vingt ans, a monté un plan minutieux pour vous enlever et vous extorquer nos codes. Vous avez vous-même proposé de profiter de l’occasion pour tromper leur organisation et couvrir nos agents infiltrés. Il fallait pour cela vous laisser piéger, et révéler quelques codes au milieu d’un flot de fausses informations qui nous permettront de mieux les manipuler. Nous savions que les trente dernières secondes de l’opération seraient cruciales. Notre idée pour vous faire sortir de ce piège a été de vous faire mourir pendant l'inévitable séance de torture. L’équipe qui sera chargée de vous secourir et qui n’est bien sûr pas au courant de notre subterfuge n’aura pas plus de quinze secondes pour vous ramener à la vie. J’espère que nous aurons l’occasion de parler de tout ça de vive voix mais je ne voulais pas prendre le risque de vous perdre sans vous dire que vous êtes sans conteste l’homme le plus courageux qu’il m’ait été donné de rencontrer. Celui que j'admire certainement le plus. 
 Sauvetage Armina compte : - Neuf, huit, sept, …, deux, un, top ! Go, go !
Décharge d’adrénaline, Rouge et Bleu prennent position, et sécurisent les abords de la capsule. Zacharias se rue à l’intérieur, sur ses pas Armina et Hedrick scellent l’entrée avec un gel d’urgence, et pressurisent le cockpit. Zacharias se précipite vers le corps inerte d’Ezorius, lui passe un masque à oxygène, et commence un massage cardiaque. Armina lui fait une injection d'urgence et sort le défibrillateur :
- Un, deux, trois ! Pousse-toi Zach, choc ! Un, deux, trois…
Hedrick regarde les deux hologrammes, il entend Ezorius  :  « Lieutenant, avancez, c’est un ordre ! » Il a coupé son enregistreur : image et son. Zacharias est un homme de parole, il le suivrait en enfer, alors… Épilogue Post-mortem Eliana Baldech regarde le mont Alba au loin, son père adorait cette pièce. Sur le bureau il y a une photo de sa mère, ses yeux se brouillent. Elle doit aller reconnaitre le corps, le premier représentant l’a personnellement appelée pour lui dire qu’on passerait la chercher. On sonne. Un jeune officier se tient sur le seuil, il est un peu guindé :  - Lieutenant Zacharias Satramontes Mademoiselle, c’est moi qui dois vous accompagner.
Ils montent dans la bulle de liaison qui attend un peu plus loin. Elle ne reconnait pas l’endroit vers lequel ils se dirigent. - Où allons-nous lieutenant ? - Je ne suis pas autorisé à vous le dire Mademoiselle. Elle ne lui dit pas ce qu’elle lui aurait dit en d’autres circonstances.
Ils entrent dans une propriété luxueuse, il l’a conduit dans un grand salon : - Si vous voulez bien attendre un moment.
Elle en a maintenant vraiment assez : - Écoutez lieutenant, ça suffit, ramenez-moi tout de suite chez moi !
Elle entend une voix familière dans son dos :
- Cesse de martyriser ce pauvre homme, c'est lui qui m'a sauvé la vie tout de même !
 Cinq minutes dans l'hyperloop Jezero-Arcadie Il repasse le message. Zacharias le regarde : - Je connais bien cette histoire des gosses de l'hôpital, Hedrick. Mon père m'en a souvent parlé : guerre psychologique. Des leurres sophistiqués capables de tromper nos senseurs. Technique efficace car ils utilisaient souvent des boucliers humains. Tu trouveras le rapport complet attaché, il n'est pas encore déclassifié, tu as risqué gros en coupant les enregistrements, je risque gros en te transmettant ça. 
Il s'arrête un instant.
- La rébellion cherche à provoquer des chocs émotionnels, peu importe la vérité. Le superintendant déjà calomnié, le soi-disant boucher d'Arcadie en train de donner l'ordre de rouler sur des enfants. Voilà ce que beaucoup retiendraient, voilà ce que certains de tes collègues exploiteraient sans vergogne. Aujourd'hui il est mort, ne salissons pas sa mémoire, respectons ses proches. 
Il lui sourit.
- Utilise ça au mieux si jamais on te cherche des noises. Au fait, j'ai vu ton reportage « Cinq minutes dans l'hyperloop Jezero-Arcadie, » c'était super, j'ai cru que j'y étais.

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Défi
Christian Mauceri

Instant zéro, je débarque. Je crie, on m'attrape par les pieds, ça fait mal, il fait froid, le bruit est assourdissant. On m'abandonne dans un lieu étrange. Je crie encore un peu, mais je dois m'économiser, je m'endors.


Instant cent cinquante-sept millions et des poussières, je me pisse dessus. Je pleure, ça pique. Elle arrive, elle n'est pas contente, mais elle reste douce quand elle me nettoie. Elle me prend dans ses bras : « tu es mon petit Indien, il ne faut pas faire pipi dans sa culotte, tu es grand maintenant. » J'aime son odeur, j'aime sa voix, je suis soudain heureux.


Instant trois cent quinze millions et des poussières. Ils m'attendent, je sais que je ne peux m'échapper, je dois faire face. Je dis : « à quatre contre un, c'est facile... » Ils rigolent : « t'as cas nous prendre les uns après les autres ! » De toute façon je ne fais pas le poids face au plus faible d'entre eux. Le plus gros s'avance, j'essaie de lui placer un coup de pied dans les roustons, mais il pare sans effort, et c'est sans effort aussi qu'il me colle une raclée. Je rentre, elle me demande pourquoi je suis dans cet état, j'ai honte, je suis une chiffe molle.


Instant six cents millions et des poussières. J'ai claqué la porte. Il y a eu des cris, des déclarations définitives, il m'a giflé : « c'est comme ça que tu parles à ta mère ? » Je suis allongé dans un champ de Provence, je suis heureux, je suis libre.


Instant sept cent cinquante-sept millions et des poussières. Elle est venue au procès, elle est belle, et digne. J'ai honte au fond de moi, je vais la perdre. À la sortie du tribunal j'essaie de l'embrasser, mais on m'emmène : deux mois fermes, ce n'est rien, est-ce le début, est-ce la fin ?


Instant huit cent quatre-vingt-trois millions et des poussières. Je sors de l'oral. Je suis tombé sur une leçon et un exercice que je connais sur le bout des doigts, je suis sûr que c'est dans la poche. Je m'assois sur les marches à la sortie du bâtiment, il fait beau, je flotte sur un nuage, très haut là-bas dans le ciel bleu.


Instant neuf cent quatre-vingts millions et des poussières. Elle est toute petite, sa mère a déjà oublié la douleur et la regarde avec une immense tendresse, elle vagit, une larme coule sur ma joue.


Instant un milliard soixante-douze millions et des poussières. Elle veut un second enfant, moi aussi, elle veut une maison, moi moins, mais ce que femme veut... La maison est petite, mais elle a une cheminée. Elle n'est pas très confortable, mais on peut faire du bruit. Je dois faire soixante kilomètres pour aller travailler, mais elle est à dix minutes du sien.


Instant un milliard soixante-dix millions et des poussières. Elle est pleine de vie, sa mère est épuisée, mais ravie de la voir prendre le sein et téter immédiatement. Sa soeur est inquiète, je ne sais pas la rassurer, je ne le saurai jamais. Je croyais ne pas pouvoir aimer un second enfant, je la tiens dans mes bras, toute incertitude est balayée.


Instant un milliard trois quatre-vingt-sept millions et des poussières. Je suis parti il y a cinq jours de Saint-Jean-Pied-de-Port, j'arrive à Santo-Domingo-la-Calzada. J'ai terriblement mal aux fesses, j'ai perdu ma protection de selle en montant à Roncevaux, trainer mes cent kilos jusqu'au col n'a pas été une partie de plaisir, j'ai poussé mon vélo la moitié du temps. Dans l'auberge de pèlerins mon voisin est un brésilien, il est jeune, maigre, barbu, et porte autour du cou une grosse croix en bois attachée par une corde, il repart au Brésil le lendemain, il ne pourra aller jusqu'à Saint-Jacques. Dans un sabir d'espagnol et d'anglais, je lui explique que je suis prêt à abandonner, que j'ai trop mal. Il sort de son sac à dos une protection de selle en silicone et une pommade pour soulager mes douleurs. Il les a transportées sur des milliers de kilomètres sans en avoir l'utilité pour me les offrir au moment ou je fléchissais. Miracle, synchronicité ?


Instant un milliard six cent quarante millions et des poussières. Je n'ai pas le trac, je me sens bien. Il y a là ceux que j'aime, parents, amis, mais aussi d'anciens et de nouveaux collègues, mon directeur, le jury. Je soutiens la thèse que j'aurais dû soutenir vingt-cinq ans plus tôt, il fallait clore ce chapitre. Je suis heureux, mais je sens qu'il y a là quelque chose d'un peu dérisoire.


Instant un milliard huit cent trente millions. Le médecin me regarde : « Je ne vais pas vous cacher que c'est sérieux, très sérieux, vous êtes en train de faire un infarctus. » Ça fait un mal de chien, vraiment. J'ai un peu la trouille. Les pompiers sont sympas, tout le monde est sympa, efficace. Je me laisse aller.


Instant un milliard huit cent soixante millions et des poussières. Il est minuit, il fait très chaud encore, je poste ce petit texte.
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Défi
Christian Mauceri
Je ne suis pas trop sûr que cela rentre dans la catégorie définie par le défi...
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Défi
Christian Mauceri

Je te reconnais toi qui prétends t'appeler Caïn. Je connais ton nom. Tu es le diviseur, l'accusateur, le séducteur. Tu n'es pas un être mais un principe, c'est ainsi que tu es immortel. Tu n'as ni liberté comme l'homme, ni puissance comme Dieu. Le poing rageur que tu tends vers le Créateur ne t'appartient pas, d'ailleurs rien ne t'appartient, tu n'es qu'un vent mauvais qui souffle parfois dans le coeur des hommes. Le vent qui a souillé Caïn et l'a poussé à commettre l'irréparable. Voici ce qui te caractérise : la ténèbre, l'absence de lumière.
Mais les mots que tu as mis sous les doigts de cet homme ont un sens qui te restera à jamais inconnu, car le verbe est Dieu, le verbe est en Dieu là où tu n'iras jamais. Je ne m'adresse plus à toi (ne parle-t-on à rien ?), mais à cet homme. 
J'ai écrit un jour que l'oeil dans lequel je vois Dieu est l'oeil même par lequel Dieu me voit. C'est de cet oeil que tu parles, homme des temps à venir. Celui-là même que tu voudrais aveugler comme te le susurre le séducteur. Appeler dieu ton Créateur ne te rend pas moins créature. Car tu le sais depuis longtemps maintenant : le sceau de Dieu dont tu es marqué est précisément la mort, c'est ce qui te fait créature. Lorsque Dieu eut terminé la Création, il dit que cela était très bon, or chez nos frères juifs, c'est ainsi qu'on désigne la mort, le sceau de Dieu sur la Création.

L'accusateur te fait accuser Dieu d'un châtiment injuste. Ne vois-tu pas que sans cet oeil par lequel Dieu te voit, le crime ne serait plus ni bien ni mal ? Que les principes dont tu es si fier que tu les appelles droits de l'homme te sont inspirés par cet oeil ? Que sans châtiment il n'y a pas de rédemption ? Et d'ailleurs qu'as-tu fait de la Rédemption toi qui es sans espérance justement ? Ou plutôt toi qui n'a pour toute espérance que Dieu lève son châtiment pour te laisser retourner à l'état de bête.

L'amour de Caïn est l'amour du meurtre. Le diviseur te fait voir dans les écritures ce qui n'y est pas. N'est-il pas évident que cet oeil que tu te plais parfois à appeler conscience est en chacun de nous, et que le meurtrier est mal venu de se plaindre du rappel de son forfait ? Qui pleure Abel quand la compassion va vers son meurtrier, et que l'on est las de la justice que réclame son sang ? Ne voit-on pas la marque de la division quand on se soucie plus du brigand que de ceux qu'il roupille ? Quelle paix sans justice ? 

Enfin, je voudrais conclure sur une critique de l'étrange idée que tu développes selon laquelle il suffirait de se pardonner pour trouver l'absolution. On peut et l'on doit se repentir. C'est à dire changer d'état d'esprit bien plus que regretter, se détacher des passions qui nous ont amenés à commettre le mal. J'ai écrit un sermon sur le détachement qui est à mes yeux la plus grande des vertus. Mais cela suffit-il ? Bien sûr quelqu'un disposé à prendre les armes contre Dieu, quelqu'un se considérant comme son égal comme il est assez courant de le faire en ton temps, n'hésitera-t-il pas à se donner l'absolution. Mais, comme disent les gurus de ton monde, si tu lâchais prise un instant, si tu arrivais à te détacher de ton hubris, que penserais-tu de cette idée qu'un homme puisse n'avoir de comptes à rendre qu'à lui-même ? Que penserais-tu d'un homme qui abdiquerait toute conscience pour satisfaire le désir de toute puissance d'un nourrisson ?

Voici mon ami du monde qui vient, ce qu'un homme d'autrefois pense de l'apologie de Caïn.
Que la paix soit avec toi.
Eckhart von Hochheim.
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Défi
Christian Mauceri

L'air monte dans mes narines, descend dans mes poumons. La vie. Ne pas agir. Je voudrais faire durer la sensation de plénitude qui s'irradie dans le plexus, mais c'est impossible. L'air remonte et s'échappe par ma bouche entrouverte. Relâchement, abandon, le cycle se poursuit malgré moi. Ça respire, et ça pense. J'observe. L'air monte dans mes narines. Je suis une étincelle qui brille le temps d'une inspiration et s'éteindra à la fin d'une expiration.
- Sois joyeux dans ce souffle, car la vie elle-même est un souffle qui passe.*
La rue s'anime, les chats jouent dans l'escalier, les lits craquent, la maison s'éveille. Inspiration. Expiration comme un soupir. L'image de mon vieux chien proche de son dernier souffle s'impose, elle s'accroche un instant, nostalgique. Je reporte mon attention sur la vie qui entre à nouveau en moi. Être. Échapper un instant à la dictature des pensées : je pense donc je ne suis pas.
Je ne peux maintenir mon attention. Autre image : mon père agonisant. Sa cage thoracique se soulève puis retombe. Il reste longtemps en apnée : est-ce son dernier souffle ? Non, une autre longue inspiration, elle résonne douloureusement en moi. Autre image : je plonge, je retiens mon souffle, je descends avec les autres enfants, en bas les langoustes semblent ne pas nous voir. J'en saisis une, et ne la lâche pas malgré les battements furieux de sa queue. Je remonte vers la surface, j'émerge dans le soleil, j'aspire l'air goulûment, je suis éternel, je ris.

*Omar Khayyam
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Christian Mauceri

La mer verte, troublée par l'agitation des vagues, était parsemée de moutons que soulevait le vent. Sur la rive, le sable du désert formait de longs voiles tournoyants qui se mélangeaient aux embruns. Il n'y avait personne, des épaves de bateaux se dressaient comme des fantômes rouillés à moitié ensablés. Il restait là des heures, assis dans sa 2CV, une bouteille de Johnny Walker à portée de main fumant cigarette après cigarette. Il n'était rien, à peine une autre épave échouée parmi d'autres. Sur sa droite, au loin, la Cherka, bidonville aux pauvres bordels, cloaque d'une cité perdue entre sable et mer. La Cherka, son havre aux odeurs de poisson séché et de vase, où il s'endormait le soir dans une petite chambre que lui louait une maquerelle. Qui eut reconnu le fringuant officier qu'il fut autrefois ?
Mai 1940, reconnaissance au-dessus du front. Quel front ? Leur terrain change de ville chaque jour tant la progression allemande est rapide. Depuis la verrière d'observation du Potez 63-11, les panzers ressemblent à d'insignifiants petits insectes. Les traçantes de la flak montent lentement vers eux puis accélèrent follement, l'avion est chahuté, les impacts font un bruit de sable que l'on projette sur des tôles. C'est la deuxième passe, la première fois ils n'ont pas pu photographier leur objectif. Une douleur fulgurante lui déchire le bas ventre, puis les ténèbres l'engloutissent. Il apprend plusieurs jours plus tard qu'il est désormais un chapon.
Il se souvenait de cette insupportable pitié. Elle lui rendait bien visite au début, mais à quoi bon ? Il fut suffisamment désagréable pour qu'elle cesse assez vite, les fiançailles furent rompues quelques semaines plus tard. Il mit longtemps à retrouver son autonomie. Par un accord tacite, sa mère et lui n'abordaient jamais le sujet. Ils restaient des heures ensemble dans le salon, silencieux, feignant de lire. Les flonflons de la libération n'arrivèrent jamais jusqu'à eux. Lorsque sa mère mourut, il prit des dispositions pour l'entretien de la propriété et s'enfuit. Il partit s'engloutir en Afrique quelques images de Conrad en tête. Sur ce continent fabuleux, il découvrit la mesquinerie et l'alcool. On le disait homosexuel, ce qui l'arrangeait. Il devint connu pour son ivrognerie, ses moeurs dépravées, sa fréquentation louche des autochtones. Seul son penchant pour l'alcool était vrai, il aimait la compagnie des boys, leur gentillesse et leur distance. Il aimait les beïdanes aussi, leur endurance, leur connaissance du désert. Il apprit le toucouleur, le wolof et l'arabe, s'éloigna toujours plus de ses compatriotes. Sa connaissance du monde obscur des indigènes le rendait utile aux administrations et aux entreprises.
Il partait des jours durant dans le désert, rejoignait des tribus et suivait à pied les dromadaires avec des amis. Plus d'alcool sous le ciel nu, pas de mots inutiles, de longues marches, le vent et le soleil purificateur, les nuits glaciales aux étoiles à nulles autres pareilles.
Il revenait vers la ville, comme on retourne au vice. Il aurait pu devenir musulman et disparaître dans le désert, purifié des miasmes du monde. Il y avait souvent songé, ce n'était pas la peur d'être relapse qui le retenait, le Dieu du désert l'avait converti depuis longtemps en son for intérieur. Non, il ne pouvait pas avouer son infirmité et il n'aurait pas pu la cacher non plus, il n’aurait pas pu sceller cette vie nouvelle par un mensonge. Il restait donc prisonnier de cette zone frontière, seul face à lui-même. Il avait longtemps résisté à l'alcool ne voulant pas ressembler à la plupart des autres pèlerins venus de la brume. Mais un jour il avait rencontré un camarade de promotion au consulat, toute fuite était impossible, l'autre savait qu'il avait été blessé, mais savait-il de quelle façon humiliante ? Ils avaient parlé un moment, un malaise s'était installé et sous un pauvre prétexte il avait fui. Cette nuit-là, il but jusqu'à en rendre l'âme, et les nuits suivantes aussi. C'est ainsi qu'il découvrit le néant de l’ivrognerie. Quelques semaines plus tard, il quittait Dakar pour Saint Louis, les portes du désert s'ouvraient un peu plus bas, il entra.
Maintenant, seul dans sa 2CV, il contemplait les vieux bateaux venus mourir là, des rafales de vent secouaient la voiture, il ne pouvait déjà plus attraper la bouteille. Il ferma les yeux, la fin était proche maintenant.
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